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Pédocriminalité: «Les évêques se lavent les mains et leur conscience à bon compte»

Les collectifs de victime sont très critiques alors que les évêques réunis à Lourdes ont voté le principe d’une «somme forfaitaire» à verser à celles et ceux qui ont été abusés dans le passé par des clercs pédophiles et dont les affaires sont prescrites.
par Bernadette Sauvaget
publié le 9 novembre 2019 à 17h41
(mis à jour le 9 novembre 2019 à 18h25)

L'affaire risque de tourner très vite au conflit entre la hiérarchie catholique et les collectifs de victimes de pédophilie dans l'Eglise. Réunis à Lourdes, les évêques ont approuvé, lors d'un vote samedi, le principe d'une «somme forfaitaire» à verser à celles et ceux qui ont été abusés dans le passé par des clercs pédophiles et dont les affaires sont prescrites. Du point de vue de la Conférence des évêques de France (CEF), il ne s'agit pas d'indemnisation, ni de réparation, qui dépendent, selon Eric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, «de la justice de notre pays et de la justice canonique (interne à l'Eglise, ndlr).».

A Lourdes, les mots ont été soigneusement pesés, trop justement pour les victimes. Figure de proue de la lutte contre la pédophilie dans l'Eglise, Olivier Savignac, à la tête du collectif Foi et résilience, n'y va pas par quatre chemins : «Les évêques se lavent les mains et leur conscience à bon compte.» Le langage épiscopal est perçu comme un évitement par les victimes.

«C’est un geste. Même si ce n’est pas satisfaisant, nous devions le faire»

De fait, ce n'est pas uniquement une bataille sémantique qui a eu lieu entre les évêques au cours de leurs débats à Lourdes. «Ils sont loin d'être d'accord entre eux», remarque Jean-Luc Souveton, prêtre du diocèse de Saint-Etienne et ancienne victime lui-même, présent à l'assemblée plénière de la CEF. Ce qui est en jeu, c'est en fait la reconnaissance de la responsabilité explicite de l'Église. Les évêques se sont soigneusement gardés de la formuler clairement, donnant l'impression un dossier mal ficelé et d'être très en dessous des procédures mises en place par d'autres épiscopats, notamment en Belgique et en Suisse.

«L'épiscopat ne prétend pas régler totalement la question. Avec de l'argent, nous ne réparerons pas le préjudice. C'est un geste. Même si ce n'est pas satisfaisant, nous devions le faire», répond, à Libération, l'un des responsables de la CEF.

«Nous ne comprenons pas cette marche forcée de l'épiscopat. L'impression qui se dégage, c'est que les évêques agissent dans la précipitation, une manière, pour eux de balayer rapidement le problème», explique, de son côté, Jean-Pierre Sautreau, à la tête d'un collectif de victimes en Vendée. Bastion du catholicisme, ce département est secoué depuis un an par un vaste scandale de pédophilie, des centaines d'abus sexuels commis des années cinquante à soixante-dix, au petit séminaire de Chavagne-en-Paillers, mettant en cause une quinzaine de prêtres, la plupart aujourd'hui décédés.

«L’épiscopat redoute les conclusions de la commission indépendante» 

Les victimes auraient majoritairement souhaité que les évêques attendent les conclusions de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église), mise en place, il y a un an et présidée par Jean-Marc Sauvé. «C'est très habile de leur part, s'insurge encore Olivier Savignac. Je crois que l'épiscopat redoute les conclusions de cette commission.» Devant la presse, Eric de Moulins-Beaufor, t le patron des évêques, a assuré, lui, que l'épiscopat tiendrait compte des remarques de la Ciase et ajusterait son dispositif s'il le fallait.

Quoi qu'il en soit, il devrait être en place avant les conclusions de la Ciase, connues seulement au printemps 2021. Lors de leur prochaine assemblée générale en avril 2020, les évêques devront se mettre d'accord sur la somme forfaitaire allouée aux victimes. Selon plusieurs sources présentes à Lourdes, le montant ne devait pas excéder quelques milliers d'euros, vraisemblablement entre trois et quatre mille euros. «Tout dépend des fonds dont nous disposerons», précise un responsable de la CEF.»

«Pour ma part, je ne veux pas de cet argent de m…, réplique, très vertement, Jean-Pierre Sautreau. L'activiste se dit prêt quand même à faire la démarche, non pour lui-même mais pour reverser le montant à «d'autres victimes qui seraient dans le besoin.»

Pour les victimes, il n'y a pas eu suffisamment de concertation en amont pour penser le dispositif. «Ce que nous voulons, c'est la mise en place d'une commission indépendante qui traiterait des indemnisations», appuie Jean-Pierre Sautreau. Celui mis en place par la CEF stipule que ce sera l'évêque de chaque diocèse qui prendra contact avec les victimes. Une aberration pour celles-ci : «Certains ne veulent rien avoir affaire avec l'Église et ne souhaitent pas rencontrer un évêque», plaide Jean-Pierre Sautreau.

L'épiscopat doit trouver aussi les moyens de financer le fonds de dotation, destiné au versement de ces sommes forfaitaires. L'une des pistes commence à susciter, elle aussi, une levée de boucliers : un appel aux dons des fidèles. «Pour ma part, cela me gêne, reconnaît Jean-Luc Souveton. Nous ne sommes pas en train de faire la quête.»

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