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Olivier Babeau: «Le port du casque pour les vélos? L’État n’a pas à nous protéger de nous-même!»

Call the Midwife avec Bryony Hannah, Jessica Raine et Helen George, (Saison 1), 2012. Rue des Archives/Rue des Archives/BCA

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Des députés de la majorité proposent, dans un amendement, de rendre obligatoire le port du casque et du gilet à vélo. Pour Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, une telle mesure reflète la propension de certains politiques à justifier leur existence en votant des mesures liberticides.


Olivier Babeau est professeur d’université et président de l’Institut Sapiens. Il a publié Éloge de l’hypocrisie (éd. du Cerf, mars 2018).


FIGAROVOX.- Un amendement déposé par des députés de la majorité à la loi sur les mobilités vise à rendre obligatoire, pour les usagers de vélo et de trottinette, le port du casque et du gilet de haute visibilité. Ces équipements représentent-ils un gain de sécurité suffisant pour légitimer une obligation légale?

Olivier BABEAU.- À première vue, quoi de plus indiscutable qu’une mesure ayant pour objet de mieux protéger l’usager de ces transports particulièrement exposés au danger?

Ce qui gêne dans ce projet est moins sa lettre que le mouvement dans lequel il s’inscrit. Il traduit une fois de plus cette volonté de normer le monde, volonté qui est l’une des caractéristiques les plus frappantes de notre modernité. Tout accident est devenu un scandale. Il ne doit pouvoir traduire que deux choses: le manque d’une réglementation ou l’observance insuffisante de celle qui existe. Le réseau protecteur ne doit souffrir aucune zone blanche. Il s’agit d’un fantasme de toute-puissance qui me semble se rapprocher de celui que la psychologie attribue aux enfants en bas âge. Ne plus reconnaître la Moïra antique, le destin, c’est ne pas reconnaître le rôle de la chance ou de la malchance dans la réalité des existences, et la possibilité que les deux prennent leur part dans nos vies. La conséquence d’une telle vision est une pernicieuse volonté d’ingénierie sociale, autrement dit d’organisation des interactions, de mise en ordre des pratiques et des pensées. Or plus notre modernité rêve d’étendre l’ordre, plus on voit qu’elle crée du chaos. La sagesse traditionnelle savait faire droit aux désordres, aux excès dionysiaques pour mieux les canaliser — comme dans les institutions du carnaval ou des lupercales. La modernité nie cette part d’ombre du monde, et prétend instituer un monde solaire. C’est s’exposer au retour incontrôlé de nos zones d’ombre.

Un responsable politique doit en permanence démontrer qu’il sert à quelque chose.

La conséquence inéluctable de l’écheveau des règles censées nous protéger contre le monde entier, y compris contre nous-mêmes, est une profonde déresponsabilisation. Les protections et réglementations peuvent avoir l’effet inverse, en donnant par exemple trop confiance dans le système de régulation, on abaisse le niveau d’attention et l’auto-discipline. En matière d’accidents de voitures, une expérience a montré que l’absence totale de signalisation était moins accidentogène. Dans certaines conditions, les gens en déplacement se coordonnent spontanément mieux que lorsqu’un tiers tisse l’espace de contraintes censées faciliter les choses. C’est, comme dans le domaine économique, une manifestation de notre manie de centraliser la coordination au lieu de laisser les ajustements mutuels se faire.

Le port du casque devrait-il relever de la liberté de chacun?

Il s’agit moins, on le sent, de baisser la mortalité en soi que de succomber à ces deux péchés capitaux de l’action politique: la volonté de justifier son existence d’une part, le transfert de responsabilité d’autre part.

Le premier est trop connu: un responsable politique doit en permanence démontrer qu’il sert à quelque chose. Le législateur est voué par nature à légiférer. La qualité des normes produites, et en particulier leur potentielle nocivité économique, étant très difficile à évaluer, le seul indicateur retenu est la quantité: un bon parlementaire est celui qui aura proposé le plus de propositions de lois et d’amendements. Les contraintes budgétaires étant très fortes, la cartouche populaire de la mesure coûteuse est inutilisable. De même que celle du prélèvement supplémentaire, celle-ci ayant trop servi. Restent les mesures dites «sociétales» comme la PMA et celles concernant la sécurité. Elles ne coûtent rien et font le job. On ne reprochera (presque) jamais à un responsable d’avoir créé un nouveau règlement. Une régulation est supposée par nature bonne, toute «dérégulation» étant toujours vécue en France comme une victoire de Satan sur les forces du bien.

La seconde motivation souterraine de la mesure n’est pas moins nocive: en réglementant, même si l’on sait que bien peu se plieront aux nouvelles obligations, on opère un transfert de la responsabilité. En cas d’accident, les assurances pourront reporter la faute et refuser des remboursements. L’État, quant à lui, pourra prendre prétexte des transgressions pour justifier les victimes et se dédouaner d’une faute qu’en effet on a trop tendance à lui attribuer.

La seule action vraiment sûre est de ne rien faire…

On comprend que des mesures soient nécessaires pour protéger les tiers de nos agissements. L’État est alors pleinement dans son rôle. Le problème survient lorsqu’il s’agit de nous protéger contre nous-même. Cette immixtion dans ce qui devrait être une décision personnelle, pourvu qu’elle soit éclairée, ouvre une brèche inquiétante dans la reconnaissance de notre capacité à nous autodéterminer. Si nous devons être contraints pour notre propre sécurité, ne devrions-nous pas a fortiori en tant qu’électeur être laissés libres de faire le choix de ceux qui vont nous diriger?

Le risque ne serait-il pas également de détourner certains usagers de ces modes de transport pourtant encouragés par les politiques publiques?

Ce n’est pas un hasard si le «gilet jaune», imposé pour les automobilistes, est devenu le symbole d’une forme de révolte contre le pouvoir. Il matérialise précisément ces règles qui à la fois renchérissent l’usage d’un bien et empiètent sur une part de notre libre arbitre. L’imposition du casque et du gilet aux vélos et trottinettes est assez comparable dans son principe aux 80 km/h sur route. Il existe toujours, et spécialement dans le domaine des transports, un arbitrage entre les risques et les inconvénients naissant des mesures censées les réduire. Poussé à la limite, l’argument des morts évités grâce à une vitesse abaissée de dix kilomètres par heure devrait obliger à l’immobilité. La seule action vraiment sûre est de ne rien faire… L’obsession du risque zéro est un leurre qui conduite petit à petit, par couches successives, à une réduction de nos libertés. Dans Globalia, Ruffin imaginait que les balades en montagne finissent par être bannies car considérées comme trop dangereuses. Les jeux dans les parcs pour enfants ont connu une incroyable aseptisation où l’intérêt est sacrifié au profit d’une sécurité hyperbolique. La promesse d’un royaume divin ayant disparu, celle de la prospérité économique n’étant plus assurée, l’État ne peut proposer comme seule perspective accessible que celle de la sécurité. Le citoyen moderne est de plus en plus condamné à vivre le frisson par procuration, sa propre existence étant enfermée dans le cocon ouaté mais si ennuyeux de la protection. Rousseau écrivait: «on vit tranquille aussi dans les cachots, en est-ce assez pour s’y trouver bien?».

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56 commentaires
  • Jean FABRE

    le

    La différence majeure entre le casque vélo et la ceinture de sécurité, c'est que cette dernière est à demeure dans la voiture. Et surtout, il suffit de regarder objectivement l'accidentologie pour constater que la réduction du risque entre les deux n'a rien à voir.
    Un choc sans ceinture à seulement 80km/h c'est blessures graves garanties, voire même la mort
    Un casque en vélo, avec des vitesses bien moindre à la base, ça n'est utile que dans un très faible pourcentage de cas.

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