L’impossible repos de Lucas : « En politique, la déconnexion est vue comme une faute professionnelle »

 UNSPLASH/CC/LUIS VILASMIL

Témoignage  Le repos, il ne connaît pas vraiment. A 30 ans, ce chef de cabinet d’un président de région garde en permanence l’œil rivé sur la boucle WhatsApp de son équipe.

« L’Obs » consacre cette semaine sa couverture à « L’art perdu de se reposer ». A cette occasion, nous avons recueilli des témoignages de plusieurs personnes afin qu’elles nous racontent comment cette quête n’est pas toujours de tout repos. Voici le témoignage de Lucas (dont le prénom a été modifié) :

« En tant que chef de cabinet, je suis une part du cerveau des élus. C’est moi qui gère quand ils sont dépassés par la masse de travail. C’est un haut niveau de responsabilité, avec un vrai pouvoir de transformation si vous avez la confiance de l’élu. A 30 ans, c’est grisant d’avoir ce levier.

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Mais ce travail vous vampirise littéralement. Quand on suit une campagne, il est impossible de couper. Le droit à la déconnexion est un vœu pieux. Pire, c’est vu comme une faute professionnelle. On a l’obligation de se tenir au courant de tout ce qui se passe sur Twitter, dans la presse. On reçoit des messages tard dans la nuit, des coups de fil au réveil…

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En vacances, en moyenne, je suis sollicité tous les trois jours. Même si je suis en congé et l’élu aussi, s’il a une question, je dois y répondre. Il n’y a pas de limite, pas d’heures sup. On est payés convenablement, mais il n’y a aucun filtre.

L’ordre des priorités est le suivant : si c’est un mail, ça peut attendre ; si c’est WhatsApp ou un sms, c’est urgent ; si c’est un appel, il faut décrocher tout de suite !

La boucle WhatsApp, un outil meurtrier pour la paix de l’âme

Notre boucle WhatsApp contient toute l’équipe du cabinet. Je n’ai jamais plus de trois ou quatre messages de retard, vous ne pouvez jamais laisser des notifications s’accumuler. Quinze minutes de retard, c’est du temps perdu. Or si l’élu considère qu’il y a une crise, il y a une exigence d’immédiateté. La boucle WhatsApp est un outil meurtrier pour la paix de l’âme.

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Quand je reçois des WhatsApp du président, mon cœur fait un bond. Je laisse mon téléphone professionnel loin de moi en vacances, mais l’élu n’a pas de problème à appeler sur le perso, y compris pour lui réserver deux billets pour aller au stade ou au spectacle. Sans parler du fait qu’il me faut parfois vingt à trente minutes pour trouver une info, pour ressortir son agenda. Il y a une dimension enfantine chez les élus ; leur niveau d’autonomie est proche du néant.

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Une fois, j’ai fait un stage de voile, qui m’a permis une déconnexion totale. Sur le bateau, pas de réseau. C’était… absolument reposant !

Je suis engagé dans la lutte active contre le réchauffement climatique. Chaque jour où vous ne travaillez pas, où vous prenez du repos, vous avez l’impression de perdre du temps. Mais ça fait quatre ans que je fais ça, c’est épuisant. Et puis vient la désillusion, le constat que les élus ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Alors d’ici deux ans, maximum, je pense que je ferai autre chose. »

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