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Pourquoi changer de nom

Chaque année des milliers de Français demandent à modifier leur patronyme, leur prénom ou se choisissent un pseudonyme. Ce n'est pas anodin, tant ces informations contribuent à nous définir. Et d'ailleurs, est-ce si compliqué ?

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(©Yann Bastard pour les Echos Week-End)

Par Fanny Guyomard

Publié le 1 oct. 2021 à 11:00

Pas toujours facile de s'appeler Monsieur Labitte. « Surtout quand on est enfant », raconte ce monsieur en 1985, lors d'une émission sur Antenne 2 (Ces noms durs à porter, archives de l'INA). Mais ça lui a forgé le caractère : « Quand je suis arrivé à l'armée, je leur ai dit 'je m'appelle Labitte, je vous laisse huit jours pour vous amuser, mais après, ce sera fini.' Le neuvième jour, un petit malin a trouvé drôle de continuer les plaisanteries. Il est allé faire un petit stage à l'infirmerie. » Autour de 650 personnes porteraient le nom de Labitte dans le monde, selon le site Forebears…

Près de 4.300 demandes de changement de nom ont été enregistrées par l'état-civil en France en 2020 (2.900 en 2019 et 2.500 en 2017) et 1.800 ont été rejetées. Tout le monde est concerné, qu'il s'agisse d'un changement officiel ou sous la forme d'un pseudonyme, comme c'est le cas de nombreuses célébrités. Patrick Bruel, Sophie Marceau ou Marilyn Monroe ont ainsi estimé que ces pseudos de scène sonnaient plus glamour que Benguigui, Maupu ou Mortenson. Claude Lucien Moine chante son boogie rock, avant la prière du soir, sous le vocable qui sonne plus « ricain » qu'Eddy Mitchell et la chanteuse Katy Perry a choisi ce nom pour se démarquer de son homonyme, l'actrice Kate Hudson. D'autres personnalités prennent plutôt un pseudonyme pour être incognito, comme le dirigeant de la Corée du Nord Kim Jong-un, dit Josep Pwag sur son passeport brésilien. Et dans les années 1980, l'homme d'affaires Donald Trump parlait parfois dans les médias sous la couverture de John Barron. Les réseaux sociaux ont depuis facilité la multiplication de pseudos et répondu au fantasme de beaucoup : « S'inventer d'autres personnalités, se fabriquer un visage. Les gens ont besoin de rêver », observe la psychologue et psychanalyste Céline Masson.

Des pseudos pas si neutres

Vincy a plutôt changé de patronyme dans un souci de commodité : avec ses trois consonnes d'affilée, son premier patronyme (qu'il ne tient pas à révéler) était souvent mal orthographié, ce qui posait des problèmes de continuité administrative. C'est son employeur américain qui l'a pressé de prendre un nom « prononçable » : ce sera 'Thomas', clin d'oeil au saint du jour de sa naissance. Par ailleurs, lors de la déclaration de naissance, ses prénoms n'ont pas été enregistrés dans le bon ordre : il aurait dû s'appeler Cyril, et non Vincent, qui aurait dû être son deuxième prénom. Au lycée, Vincent a fusionné son premier et son deuxième prénom en «Vincy», manière de réparer l'inversion originelle. Une bizarrerie demeure, cependant : la Sécurité sociale ne prévoyait pas de case « Vincy » dans sa base de données de prénoms ! Sur sa carte vitale, il s'appelle donc « Vincent » en prénom, et « Vincy Thomas » dans la case du nom… Pas toujours simple.

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Une démarche profonde

Le dessinateur Julien Berjeaut, alias Jul, s'est lui aussi cherché un pseudo pratique. Mais la démarche est en réalité plus profonde : « Quand on est dessinateur de presse, il faut que la signature soit compacte. On cherche aussi le nom qui tape, qui amènera à la 'renommée'. On fait enfin attention à sa beauté calligraphique. Et puis, il y a une part symbolique : dans 'Julien', j'ai coupé le 'lien'. Je deviens mon propre déterminant, ma propre source. »Comme dans le cas de Cassius Clay, devenu Mohammed Ali à 22 ans lors de sa conversion à l'islam, ou le chanteur Cat Stevens, dont le vrai nom était Steven Demetre Georgiou, devenu par la suite Yusuf Islam en même temps qu'il interrompait une brillante carrière, le baptême peut marquer le passage vers un nouveau moi. Abel, 44 ans, raconte avoir changé son prénom vers l'âge de 13 ans « pour affirmer ma personnalité, marquer le passage de l'enfance à l'âge adulte ». Né Antoine, il a choisi son troisième prénom « car je le trouvais original et beau. ll me permettait aussi de garder mes initiales et le choix de mes parents ». Mais la manière de l'imposer fut plus radicale : du jour au lendemain, il n'a plus répondu qu'à Abel. Seuls ses parents ont encore le droit de l'appeler par son nom d'origine : « Ils ne s'y sont jamais fait. Mais aujourd'hui, j'en suis heureux car je me dis que je n'ai pas changé d'identité. Profondément, je reste Antoine. Si on prononce ce nom dans la rue, je me retourne, même si 90 % du temps je m'appelle Abel. »

Des traumatismes possibles

Le nom est ancré en chacun de nous. Alors quand la métamorphose est trop brutale et imposée, elle peut être vécue comme un traumatisme. « Surtout lorsque le changement survient à l'adolescence », signale Céline Masson, auteure d'Habiter son nom, une histoire française (Hermann, 2020). Certains enfants de juifs ont souffert que leurs parents francisent leur nom à consonance hébraïque après le traumatisme de la Shoah, afin de le rendre plus prononçable et d'échapper à l'antisémitisme. Ce n'est qu'en 2012 que l'Etat français leur a permis de retrouver leur véritable nom.

©Yann Bastard pour les Echos Week-End

Même ceux qui se renomment de leur propre voeu se ménagent une transition en douceur : plus de vingt ans après avoir coupé les ponts avec son père, Noémie(1) a par exemple décidé non pas de supprimer le nom paternel, mais d'ajouter celui de sa mère à sa carte d'identité. « C'est un long cheminement intérieur. Mais je ne me sens pas encore la patience ni la détermination pour enlever le nom de mon père. Je le remplacerai peut-être par le nom d'un futur mari, en conservant le nom légué par ma mère. J'aime l'idée de trait d'union, sans perdre le nom maternel que je me suis approprié. »

L'étape d'appropriation

Sevan, 23 ans, teste ce nouveau prénom depuis quelques mois, « mais ce n'est pas sûr qu'il me convienne à 100 %. Je dois m'y sentir bien. » Un des critères, c'est qu'il plaise à sa soeur. Et surtout, qu'il soit épicène, car Sevan a des doutes sur son genre, ce qui l'a poussé.e à changer de prénom, en le coupant d'abord, puis en l'abandonnant totalement. Mais il.elle ne le vit pas comme une rupture d'identité : « C'est plutôt une continuité. Ce n'est pas parce que j'ai un prénom différent que j'ai changé. »« Mon être est au-delà de mon prénom », le.la rejoint Océan. Quand il a décidé de devenir de sexe masculin, il a simplement coupé le « e » final de son prénom de naissance. « Cela me permet de garder mon histoire et c'est aussi un prénom qui évoque une grande liberté. » Lorsqu'il a entamé sa transition hormonale, changer de nom s'est vite imposé et l'a aidé à affirmer sa masculinité. Il a abandonné ses seconds prénoms féminins, qui étaient ceux de ses grands-mères, ce qui aurait été un frein à ce qu'il appelle son « geste de réappropriation de moi-même ». Il rapporte que d'autres transgenres gardent leur prénom de naissance, comme un pied de nez aux préjugés sur les prénoms qui portent en eux un sexe ou une origine sociale. « Ce serait super que tout le monde puisse choisir, à un moment de sa vie, son prénom. Ne considérez rien comme immuable, surtout quand il s'agit de vous-même. »

©Yann Bastard pour les Echos Week-End

Aujourd'hui, le prénom reste assez fixe, en France, « alors que dans de nombreux pays, le lien est moins fort : on donne par exemple à l'enfant, par respect familial, le prénom de la grand-mère, mais on l'appelle autrement au quotidien », indique Baptiste Coulmont, professeur de sociologie à l'Ecole normale supérieure Paris-Saclay. C'est un peu l'histoire que nous raconte une Française née Hélène, qui a grandi en Grèce où les petites filles sont surnommées Koukla  (« petite poupée »). « On m'a toujours appelée Koukla et je me suis toujours présentée comme telle », raconte celle qui a changé ses papiers notamment pour pouvoir voter au Royaume-Uni, où elle vit. Concrètement, elle a dû rassembler un dossier montrant que dans la vie courante, les gens l'appelaient Koukla. « Mes enfants ont signé des attestations comme quoi 'nous connaissons Maman sous le nom de Koukla' », s'amuse-t-elle. Sa demande, faite en janvier 2019, a mis dix mois à aboutir. Depuis 2017, plus besoin de passer systématiquement devant un juge et payer un avocat pour changer de prénom. Avant cette date, autour de 2.700 personnes changeaient de prénom en France chaque année. Depuis que c'est gratuit, Baptiste Coulmont estime qu'ils sont trois à quatre fois plus.

Autant d'hommes que de femmes

« En France, le changement de prénom est souvent lié à une histoire migratoire, remarque le sociologue. Au début des années 2010, huit sur dix des personnes qui ont changé de prénom avaient un parent né à l'étranger. Mais ils ne l'ont pas tous fait pour des raisons de discrimination sociale. L'un demande par exemple à s'appeler Antoine parce qu'Antonio était le choix de son père, qui a abandonné le foyer. Un autre prend un prénom à consonance française pour se rapprocher de ses enfants Louise et Augustin… Quant aux prénoms abandonnés et choisis, si on les classe en « français » (disons « Camille ») et « étrangers » (prenons « Sabrina »), un quart des gens passent de Camille à Camille, un quart de Sabrina à Sabrina, un quart de Camille à Sabrina et un dernier quart de Sabrina à Camille », détaille-t-il. Une règle générale : ils sont autant d'hommes que de femmes, et prennent souvent un prénom plus jeune, « sans en avoir forcément conscience, sauf les femmes qui avaient un prénom en -ette. »

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Pas de Nutella ou d'Astérix

L'état civil veille à ce que le prénom choisi par les parents ne soit notamment ni ridicule, ni déjà porté par une personne célèbre. Nutella, Fraise, Titeuf ou Astérix ont été refusés. C'est cependant un peu au bon vouloir de l'officier de l'état civil, remarque Alyosha, qui a dû prendre un prénom provisoire l'année de sa naissance, le temps que la mairie accepte son prénom d'abord jugé « trop exotique » [celui d'un personnage de Dostoïevski, en fait]. « C'est arrivé qu'on se moque de moi, petit, mais aujourd'hui j'aime mon prénom : il est tellement singulier, qu'il est un peu moi ! »

« Le prénom est seulement devenu fixe en France au cours du XIXe siècle, quand s'est constituée l'idée d'une culture commune dans l'Etat nation, retrace Baptiste Coulmont. Avant, les personnes changeaient de prénom quand elles allaient d'une région à l'autre, en le traduisant en breton, en alsacien… » Les motifs pour changer de prénom varient aussi d'une culture à l'autre : « Souvent, un Français change de prénom pour s'intégrer dans une communauté. Alors qu'un Chinois le fait parce qu'un autre que lui porte le même, ce qui est considéré comme un problème, observe-t-il. Tous les pays ne font pas non plus de différence hiérarchique entre le nom et le prénom comme en France, où l'Etat donne un caractère immuable au nom, qui sert à fixer l'identité des sujets dans le temps pour mieux les contrôler. »

Jusqu'à six ans de démarches

En France, il y a ainsi toute une procédure à suivre pour changer de nom, et certains dossiers mettent six ans à aboutir. Il faut commencer par débourser 110 euros pour publier sa demande au Journal Officiel (afin de permettre à un tiers de s'opposer à ce changement de nom s'il menace le sien). Deuxième étape : envoyer un dossier à la direction des affaires civiles et du Sceau, qui évalue la légitimité de la demande : se différencier d'un homonyme célèbre avec une mauvaise réputation, empêcher l'extinction d'un nom en usage depuis longtemps dans la famille, porter le même nom que les frères et soeurs… Mais demander à ajouter une particule pour grimper dans la hiérarchie sociale n'est pas une raison jugée valable.

Il faut aussi proposer le bon nom : le site du Ministère de la Justice propose de le traduire littéralement (« Dos Santos » devient « Dessaint ») ou bien de le transposer phonétiquement dans la langue d'adoption, comme l'animateur Darius Rochebin, qui a francisé à 20 ans son nom iranien Khoshbin, ou le grand-père français de l'acteur Marlon Brando, qui a américanisé son « Brandeau » lorsqu'il a immigré aux Etats-Unis. Dans Ellis Island, Georges Perec raconte l'histoire d'un vieux juif russe qui doit choisir « un nom bien américain que les autorités d'état civil n'auraient pas de mal à transcrire ». « Il demanda conseil à un employé de la salle des bagages qui lui proposa Rockefeller. Le vieux Juif répéta plusieurs fois de suite Rockefeller, Rockefeller, pour être sûr de ne pas l'oublier. Mais lorsque, plusieurs heures plus tard, l'officier d'état civil lui demanda son nom, il l'avait oublié et répondit, en yiddish : 'Schon vergessen' (j'ai déjà oublié), et c'est ainsi qu'il fut inscrit sous le nom bien américain de John Ferguson. »

Le changement officiellement accepté ne signe cependant pas la fin des soucis. Il arrive que la banque d'Abel refuse un chèque à l'ordre de son nouveau prénom et que certaines fiches de paie fassent également l'erreur. « Je me demande si ça va poser problème au moment de la retraite… »

Le pseudo « coup de tête »

Une nuit fiévreuse de 1982, Frédéric Dion écrit et réécrit son premier article pour le journal Libération, sur le prix de la course hippique de l'Arc de triomphe. Mais il patauge, griffe, rature, et rend un papier dont il n'est pas très fier. « Je me dis alors que si l'article n'est pas bon, vaut mieux que je prenne un pseudo pour ne pas y être associé. » L'ancien apprenti jockey pense à Homère, le premier chroniqueur de courses hippiques de l'histoire. « Et surtout à un cheval que je montais et qui a couru l'Arc de triomphe : Homéric. C'est bref, sec, épique. » Finalement, le papier plaît et le pseudo restera.

Dans le journalisme, prendre un pseudo était d'ailleurs chose courante. Laurent Mouchard estimait ainsi « que Mouchard c'est-à-dire 'informateur de police' ne correspondait pas tellement à un journaliste. La question s'est posée au téléphone avec mon rédacteur en chef, en 1979-80, alors que je me trouvais dans une cabine… de la place Jules Joffrin. Je ne savais pas qui c'était. Et finalement c'est bien tombé, il a été maire socialiste, ancien Communard », sourit Laurent Joffrin, l'ex-patron de Libération, journal marqué à guache. Mais sur ses papiers officiels, il est Mouchard.

Entreprises : de Veepee à Häagen-Dazs

Vous êtes une entreprise et essuyez une mauvaise réputation ? Une solution, c'est de changer de nom ! Mais attention, ce n'est pas magique, réfrène Bénédicte Laurent, experte en « naming » des marques. Il peut y avoir des ratés : quand elle s'est cherché un nom international, Vente-Privee est devenue Veepee, la prononciation anglaise de ses initiales. Sauf que « Pee » signifie « pipi » outre-Manche… « Une consonance anglophone évoque la jeunesse, le dynamisme, le nouveau, décrit Bénédicte Laurent. Une entreprise qui veut une image traditionnelle, scientifique, médicale, choisit plutôt des sonorités latines ou grecques. » Pas besoin qu'il soit simple à prononcer (prenez Häagen-Dazs) : « Ce qui compte, c'est d'expliquer pourquoi on le change. Dire qu'on reste la même entreprise, mais en mieux. Ce qui est délicat, car cela suppose que ce n'était pas bien avant… »

Et ailleurs…

En Suède, les parents ont trois mois pour attribuer un prénom définitif à leur enfant. C'est même trois ans chez les Tucanos d'Amazonie. En France, le délai très court de 5 jours pour enregistrer le prénom du nouveau-né auprès de l'état-civil remonte à la Révolution française : l'Etat laïc ne voulait pas laisser la primeur à l'Eglise qui baptisait les nouveau-nés. Dans de multiples Etats des Etats-Unis, il n'y a pas de longueur limite au prénom, dans l'Illinois, les chiffres sont autorisés et dans le Connecticut, pas besoin de prénom dans le certificat de naissance.

Quant à la Chine, le prénom est choisi en fonction de multiples critères comme l'horoscope du bébé ou le destin que lui rêvent ses parents. Devenu adulte, il se voit attribuer un nouveau nom par son entourage, en accord avec son caractère.

Par Fanny Guyomard

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