Antibiorésistance : tout savoir sur la résistance aux antibiotiques

Publié par Manon Duran  |  Mis à jour le par Nastasia Montel

L’utilisation massive et abusive d’antibiotiques ainsi que la pollution environnementale génèrent, au fil du temps, une augmentation des résistances bactériennes, menaçant l’efficacité des traitements dans le cadre de certaines pathologies. Quelles solutions pour endiguer l’antibiorésistance ?

L’antibiorésistance constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement, estime l’Organisation mondiale de la Santé. Si la découverte de ces anti-infectieux a été l’une des découvertes phares de la médecin moderne, elle est aujourd’hui victime de son succès : la résistance des bactéries aux antibiotiques devient de plus en plus importante et entraîne des impasses thérapeutiques, parfois fatales.

Qu’est-ce que l’antibiorésistance ?

Selon un sondage Harris Interactive/Pfizer, paru en juin 2022, 58 % des Français ont déjà entendu parler de l’antibiorésistance, un taux en recul par rapport à 2019 (65 %). Comme son nom l’indique, ce phénomène désigne la capacité d’une bactérie à résister à l’action d’un antibiotique. Cette résistance bactérienne peut être naturelle (certaines bactéries sont naturellement insensibles à certains antibiotiques) ou acquise (les bactéries, auparavant sensibles à un antibiotique, deviennent résistantes à force d’y être exposées). L’antibiotique ne parvient donc pas - ou plus - à détruire la bactérie responsable de l’infection.

Dans certains cas, les bactéries résistent à plusieurs antibiotiques, on parle alors de bactéries multirésistantes. Et lorsqu’elles deviennent résistantes à tous les antibiotiques disponibles, on parle de bactéries toto-résistantes. Ce phénomène remet en cause l’efficacité des traitements disponibles et menace la santé humaine et animale : plus aucun antibiotique n’est efficace, ce qui complexifie la prise en charge de certaines pathologies et conduit à des impasses thérapeutiques (on ne trouve plus de solutions pour prendre en charge les symptômes).

À noter : une fois acquise, la résistance à un antibiotique s’inscrit durablement dans les gènes et en se multipliant, la bactérie va transmettre sa résistance à sa descendance.

L’antibiorésistance en chiffres

En France, selon les derniers chiffres de Santé publique France, l’antibiorésistance est associée à plus de 5 500 décès par an et près de 125 000 personnes développent une infection à bactéries multirésistantes (source 1).

Selon une étude parue en janvier 2022 dans la revue The Lancet, près de 1,3 million de décès par an dans le monde étaient attribuables à l’antibiorésistance en 2019, soit bien plus que le paludisme (409 000 décès en 2019, selon l’OMS) ou encore que le sida (720 000 décès en 2019, selon l’OMS). Un nombre qui grimpe à 4,95 millions si l’on compte également les décès associés (et non directement attribués) à ce phénomène. En 2050, les estimations se portent à 10 millions de morts chaque année (source 2).

En 2020, 628 tonnes d’antibiotiques destinés à la santé humaine et 451 tonnes d’antibiotiques destinés à la santé animale ont été vendues en France. 

Les antibiotiques ne sont pas efficaces contre les virus !

Les antibiotiques sont souvent considérés comme des médicaments miracles, qui soignent tout, tout de suite. Mais ils ne sont pas efficaces contre les infections virales courantes comme la grippe, la bronchite aiguë, ou la plupart des angines. En réalité, ils sont efficaces uniquement contre les bactéries (qu’ils tuent - ou dont ils empêchent la multiplication). Ils sont donc prescrits contre les maladies virales d’origine infectieuses, comme les cystites, certaines pneumonies, certaines angines ou certaines méningites, etc.

Les antibiotiques sont-ils efficaces contre les bactéries résistantes ?

Comme indiqué ci-dessus, les antibiotiques dits « de première ligne », prescrits habituellement par le médecin, peuvent être inefficaces contre des infections provoquées par des bactéries résistantes. On a alors recours à des antibiotiques plus puissants. Mais dans certains cas, les antibiotiques efficaces viennent à manquer pour traiter certaines infections. Plus aucun traitement n’est disponible et on parle d’impasse thérapeutique.

Quelles sont les bactéries multirésistantes les plus courantes ?

Selon l’étude internationale, parue en janvier 2022, les six principaux agents pathogènes responsables des décès associés à la résistance aux antibiotiques sont :

  • Escherichia coli,
  • Staphylococcus aureus,
  • Klebsiella pneumoniae,
  • Streptococcus pneumoniae,
  • Acinetobacter baumannii
  • et Pseudomonas aeruginosa.

Causes : comment expliquer la résistance aux antibiotiques ?

Depuis la découverte de la pénicilline, en 1928, chaque nouvelle génération d’antibiotiques a vu apparaître des mécanismes de résistance ciblés. Les premières résistances à la pénicilline sont par exemple apparues en 1940. Les premières bactéries multi-résistances (BMR), elles, ont émergé dans les années 1970, tandis que les bactéries hautement résistantes (BHRe) se sont développées dans les années 2000.

Le mésusage des antibiotiques, cause majeure de l’antibiorésistance

Si cette résistance est un phénomène naturel (antibiorésistance naturelle), elle est accélérée par le mésusage des antibiotiques, aussi bien chez l’homme que chez l’animal. Une petite partie de l’ADN des bactéries se modifie spontanément, ce qui leur confère une propriété qu’elles n’avaient pas avant : le fait de résister à un antibiotique auquel elles étaient pourtant sensibles avant de muter.

Lorsque les antibiotiques sont utilisés de façon répétée, massive ou inadaptée (traitement mal ciblé, trop court, trop long ou mal dosé), les bactéries développent plus rapidement des systèmes de défense contre ces antibiotiques et deviennent résistantes. « Pour un nombre croissant d’infections, comme la pneumonie, la tuberculose, la septicémie et la gonorrhée, le traitement est devenu difficile, voire impossible, suite à la perte d’efficacité des antibiotiques », rappelle l’OMS (source 4).

L’environnement également en cause

L’environnement entre également en jeu dans l’antibiorésistance. En effet, les bactéries multi-résistantes issues des élevages d’animaux peuvent se transmettre à l’être humain par voie directe, ou par le biais de la chaîne alimentaire. Ces bactéries sont également présentes dans les cours d’eau, en aval des villes ou des élevages, voire dans les nappes phréatiques, souligne l’Inserm (source 3). Or, plus on est au contact d’antibiotiques, plus on est en proie à la « pression de sélection » : les bactéries sensibles aux antibiotiques sont écartées au profit des bactéries résistantes.

Selon une étude menée dans 19 pays pendant 20 ans et publiée en août 2023 dans la revue The Lancet, la pollution environnementale serait une des causes majeures de l’antibiorésistance. « Nous avons identifié que la résistance aux antibiotiques augmentait avec l’augmentation des PM 2,5 », affirment les chercheurs (source 5). Plus précisément, ils estiment « qu’une augmentation de 10 % des PM 2,5 annuelles pourrait entraîner une augmentation de 1,1 % de la résistance aux antibiotiques et 43 654 décès prématurés attribuables à la résistance aux antibiotiques dans le monde ». Malheureusement, la tendance de ce phénomène est inquiétante. « L’association entre les PM 2·5 et la résistance aux antibiotiques augmente à un rythme accéléré, ce qui pourrait accélérer le début d’une ère dite post-antibiotique », indique l’étude.

Est-ce grave ? Quelles conséquences en cas de résistance bactérienne ?

Les bactéries résistantes aux médicaments sont considérées comme un problème majeur de santé publique à l’échelle mondiale. Elle menace notre mode de vie actuel et compromet de nombreuses avancées médicales. Pour cause, l’augmentation de l’antibiorésistance implique :

  • l’utilisation d’antibiotiques plus forts pour arriver à combattre les bactéries résistantes, ce qui entraîne un risque accru d’effets secondaires ou de toxicité,
  • le risque de pénuries d’antibiotiques,
  • une prolongation de certaines maladies, associée à plusieurs complications,
  • des hospitalisations plus longues et des dépenses de santé plus importantes,
  • des risques plus élevés lors d’interventions médicales, pour lesquelles les antibiotiques sont indispensables afin de réduire les risques infectieux,
  • des décès plus fréquents liés à des infections bactériennes fréquentes, notamment chez les personnes fragiles : les personnes âgées, les nouveau-nés, les femmes enceintes, les personnes immunodéprimées, atteintes d’une maladie chronique ou hospitalisées.

Comment éviter et lutter contre la résistance aux antibiotiques ?

Plusieurs solutions permettent de préserver l’efficacité des antibiotiques.

Prévenir les infections et limiter leur transmission

Les autorités partent d’un constat simple : moins d’infections = moins d’antibiotiques prescrits = moins de résistance des bactéries aux antibiotiques. Pour cela :

  • on applique les gestes barrières, bien connus désormais, qui permettent de limites la propagation des infections virales mais aussi bactériennes. On se lave fréquemment les mains, surtout après un passage aux toilettes, au retour du travail à votre domicile, avant de préparer un repas, après avoir éternué et s’être mouché.e, avant et après avoir pris soin d’une personne malade, avant et après avoir pris soin d’un animal malade, etc ;
  • on conserve les aliments et préparant les repas dans des conditions adaptées pour chaque aliment ;
  • on respecte les vaccinations obligatoires et recommandées. Certaines maladies bactériennes peuvent en effet être prévenues grâce à la vaccination, comme la coqueluche, ou certains germes responsables de pneumonies ou méningites : le pneumocoque, le méningocoque, l’haemophilus influenzae, etc ;
  • on prévient la transmission des zoonoses (infections qui se transmettent de l’animal à l’Homme).

Respecter les prescriptions d’antibiotiques et quelques règles simples

62 % des 18-34 ans disent prendre des antibiotiques sans prescription, selon le sondage réalisé par Harris Interactive pour Pfizer en juin 2022. Un taux nettement plus élevé que celui de la population générale (45 %). Par ailleurs, 33 % des Français déclarent avoir déjà utilisé des antibiotiques de leur armoire à pharmacie pour traiter sans prescription une personne de leur entourage.

Or pour éviter le développement de bactéries résistantes aux antibiotiques, il faut absolument éviter de prendre des antibiotiques sans prescription et sans avis médical. Seul un.e professionnel.le de santé est en mesure de choisir l’antibiotique le plus efficace contre la bactérie en cause. Dans certains cas, une analyse bactériologique (par exemple un examen cytobactériologique des urines) est nécessaire pour identifier la bactérie en cause. Si c’est le cas, cette analyse est complétée par un antibiogramme, qui permet de déterminer quel antibiotique sera le plus efficace contre la bactérie en question.

Lorsque votre médecin vous prescrit un traitement par antibiotique :

  • respectez la dose, la fréquence des prises et la durée de votre traitement antibiotique ;
  • ne « partagez » pas vos antibiotiques avec un proche qui en aurait besoin : chaque traitement est spécifiquement prescrit pour chaque type d’infection et adapté à chaque personne ;
  • demandez conseil à votre médecin traitant si vous pensez présenter un effet indésirable (éruptions cutanées, nausées, etc) ;
  • n’arrêtez pas votre traitement prématurément, même si votre état s’améliore ;
  • une fois votre traitement terminé, ne ré-utilisez pas vos antibiotiques restants, même si vous présentez des symptômes similaires à ceux que vous avez eus antérieurement ;
  • à la fin de votre traitement, rapportez toutes les boîtes entamées ou non utilisées dans votre pharmacie.

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