La scène est surréaliste. Le 6 janvier dernier, seuls deux Républicains - Liz Cheney, élue du Wyoming et son père Dick Cheney, l'ex-vice-président de George W. Bush -, sont présents dans l'enceinte de la Chambre des représentants pour la commémoration de l'insurrection meurtrière contre le Capitole, un an plus tôt. A leur arrivée, les élus démocrates font la queue pour leur serrer la main. Cela en dit long sur le climat politique à Washington. Pendant les huit ans de présidence Bush, Dick Cheney fut la bête noire des démocrates. Surnommé "Darth Vader" - Dark Vador, en français -, ce dont il était fier, ce conservateur pur et dur a poussé à l'invasion de l'Irak sous le prétexte fallacieux d'armes de destruction massive ; orchestré les programmes d'espionnage et d'écoutes après le 11 Septembre, mais aussi la création de la prison de Guantanamo ; milité pour l'usage de la torture...
Sa fille, 55 ans, peut se targuer d'un pedigree conservateur tout aussi impeccable. Elle est pro-arme, anti-avortement, anti-taxes, et fut même, un temps, anti-mariage gay, ce qui lui a valu une brouille publique avec sa soeur lesbienne. Elle a surtout ardemment soutenu Donald Trump pendant quatre ans, en s'alignant presque constamment sur ses positions. Du moins jusqu'au 6 janvier.
Quelques jours après l'attaque du Congrès, Liz Cheney a voté, avec 9 autres représentants républicains, en faveur de la destitution de Trump pour avoir incité à l'insurrection. "Il n'y a jamais eu de plus grande trahison par un président des Etats-Unis de sa fonction et de son serment à la Constitution", clame-t-elle. Dans la foulée, elle devient avec Adam Kinzinger, autre voix critique républicaine, membre de la Commission d'enquête sur les causes du 6 janvier lancée par les démocrates.
Mais les dix élus paient cher le fait d'avoir osé défier l'ancien président et ses théories complotistes sur une fraude électorale massive qui l'aurait privé de la victoire en 2020. Ils sont ostracisés par leurs collègues et attaqués férocement par la base trumpiste enragée. Jusqu'à devenir des parias. Trump se déchaîne contre eux. Il les critique, les insulte et leur colle dans les pattes des adversaires aux primaires, en espérant torpiller leur réélection en novembre, lors du scrutin de mi-mandat.
Et sa vendetta marche. A force d'être harcelé et de recevoir une avalanche de menaces de mort, Anthony Gonzalez [député de l'Ohio], inquiet pour la sécurité de sa famille, a annoncé en septembre qu'il ne se représenterait pas. Suivi, un mois plus tard, par Adam Kinzinger [Illinois]. Quant aux autres, beaucoup gardent le silence en essayant de se faire oublier.
Liz Cheney, voix discordante
Celle qui a le plus souffert jusqu'ici, c'est Liz Cheney, le fer de lance de la résistance anti-Trump. En mai, elle a été démise de ses fonctions de n° 3 de la Chambre, puis excommuniée par la branche du Wyoming du Parti républicain. Elle doit maintenant affronter une adversaire adoubée et financée par Trump. "C'est plutôt choquant de voir cette étoile montante, membre de l'establishment, devenue persona non grata chez les républicains", observe Bryan Gervais, professeur à l'Université du Texas.
Mais Liz Cheney n'a pas mis de sourdine à ses critiques. Au contraire. Le Parti républicain est "à un tournant", écrit-elle dans une tribune virulente. Il doit choisir entre "la vérité et la fidélité à la Constitution" et le "culte de la personnalité" de Trump. Seulement voilà, la formation d'Abraham Lincoln minimise toujours la gravité de l'attaque contre le Capitole et propage les élucubrations de l'ex-président. Tout cela à des fins électoralistes. "Le parti est focalisé sur le scrutin de novembre et n'a qu'un objectif : reprendre le contrôle de la Chambre. Trump étant populaire auprès de nombreux électeurs conservateurs, l'establishment républicain est prêt à continuer à lui lécher les bottes", poursuit Bryan Gervais.
Selon une enquête du Washington Post, au moins 163 républicains qui contestent la légitimité des dernières élections sont candidats à des sièges - gouverneurs, procureurs... -, qui leur donneront la haute main sur la tenue du scrutin dans leur Etat. Quant aux huit parias restants, quelles sont leurs chances de réélection ? Trop tôt pour le dire. Mais s'ils perdent, le Parti républicain va se trumpiser encore un peu plus.
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