Sur l’île de la Cité, la justice rejoue le procès de Patrick Henry

La troupe de comédiens « Conférence et Compagnie » donne une reconstitution du procès de Patrick Henry. Quand les avocats jouent aux acteurs…

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C'est dans la salle d'audience de l'ancien tribunal de commerce qu'est donnée la reconstitution du procès de Patrick Henry.
C'est dans la salle d'audience de l'ancien tribunal de commerce qu'est donnée la reconstitution du procès de Patrick Henry. © Baudouin Eschapasse

Temps de lecture : 4 min

Est-ce parce que la scène se passe à moins de deux cents mètres du palais de justice où se déroule actuellement le procès des auteurs des attentats du 13 novembre 2015 ? Est-ce parce qu’on imagine la réaction que pourraient (ou auraient pu) avoir les parents du petit Philippe Bertrand, assassiné en février 1976, face à la reconstitution, par des comédiens, des audiences qui conduisirent à la condamnation de l’assassin de leur fils ? C’est avec un peu de gêne, avouons-le, qu’on se glisse dans la salle d’audience du tribunal de commerce de Paris, en ce 13 janvier.

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Les comédiens de la troupe de Basile Ader, « Conférence & Compagnie » (composée principalement d’anciens secrétaires du stage, au milieu desquels s’est glissée une magistrate), y rejouent le procès de Patrick Henry. Et l’on redoute un peu d’assister à ce remake. Ces scrupules ne tiennent pas seulement à une forme de mauvaise conscience. La série consacrée à l’affaire du petit Gregory (Une affaire française), diffusée sur TF1 en septembre dernier, nous a montré combien il est difficile de faire une fiction d’un dossier criminel. Et la réaction des époux Villemin face à ce feuilleton mettant en scène un infanticide nous a fait réfléchir. Deux heures plus tard, c’est avec un sentiment de malaise – atténué, certes, mais persistant – que l’on ressort.

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Pourquoi cette gêne ?

Non pas à cause du texte rédigé par l’avocat Basile Ader, lequel interprète l’un des deux avocats du meurtrier, Robert Bocquillon. Ce texte est irréprochable. Condensant les débats qui se déroulèrent du 18 au 20 janvier 1977, il résume factuellement les événements et propose de revivre, en accéléré, le déroulé des faits. Le 30 janvier 1976, Philippe Bertrand, 7 ans, est enlevé à la sortie de son école maternelle, à Troyes. Son ravisseur, Patrick Henry, 22 ans à l’époque, espère extorquer une rançon au grand-père de l’enfant. Il appelle plusieurs fois les parents du garçon pour réclamer un million de francs. Il sera arrêté le 17 février suivant dans une chambre meublée qu’il a louée sous un faux nom. Le corps du petit Philippe étant retrouvé sans vie, roulé dans un tapis sous le lit.

Le malaise que l’on ressent ne résulte pas non plus du jeu des comédiens. Même si ceux-ci sont amateurs et que leurs prestations sont inégales (il est vrai que certains ont dû remplacer au pied levé des confrères empêchés), leur talent est indéniable. Le président campé par Christian Charrière-Bournazel est plus vrai que nature. Joris Monin de Flaugergues se glisse avec une agilité impressionnante dans la peau de Robert Badinter, jusqu’à en adopter certains tics, tel ce mouvement du poignet avant de plaider. Pierre-Olivier Sur, un brin cabotin, met un point d’honneur à restituer l’intensité de la plaidoirie de Joannès Ambre, avocat de la famille Bertrand. Quant à Georges Sauveur, il assène son réquisitoire avec le même ton implacable qu’Émile-Lucien Fraisse, l’avocat général de ce procès.

Climat tendu

Alors ? La gêne persistante que l’on ressent semble résulter en réalité de l’embarras suscité par le traitement médiatique de cette affaire. Au lendemain de l’arrestation de Patrick Henry, Roger Gicquel commence son journal télévisé par une formule devenue fameuse : « La France a peur. » Donné à entendre dans son intégralité, le monologue du présentateur traduit l’état de l’opinion face aux rapts d’enfants qui se sont multipliés les mois précédents… Sept enlèvements de mineurs ont eu lieu en 1975.

Comme le rappelle la pièce de Basile Ader, l’émotion suscitée par ces affaires a une conséquence directe : il n’est plus question de remettre en cause la peine capitale. Une frange importante de la classe politique se prononce ouvertement en faveur de la guillotine. À commencer par Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, qui affirme à la radio : « Si j’étais juré, je me prononcerais pour la peine de mort. » Les avocats du meurtrier de Philippe Bertrand sont menacés de mort et le verdict de la cour d’assises provoquera la bronca dans le public.

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Remugles

Patrick Henry lui-même n’a-t-il pas manifesté, quatre ans auparavant, dans les rues de Troyes pour réclamer la mort de Claude Buffet et de Roger Bontems, au moment de leur procès pour une prise d’otages qui s’est soldée par la mort d’une infirmière et d’un gardien de prison ? C’est le ferment de ces remugles qui, plus que ce spectacle à visée pédagogique, perturbe le spectateur de 2022. « C’est cette atmosphère à couteau tiré que je tente de restituer à travers cette modeste évocation », émet Basile Ader qui a sollicité, outre Robert Badinter, deux de ses anciens collaborateurs, François Binet et Jean-Yves Dupeux, hier présents dans la salle.

Le spectacle sera donné à nouveau ce vendredi soir. L’occasion de réentendre les dépositions que firent à ce procès deux grandes figures abolitionnistes : le Prix Nobel André Lwoff et le criminologue Jacques Léauté. Mais aussi l’abbé Clavier et l’expert-psychiatre Yves Roumajon. « La peine de mort relève plus de l’exorcisme que de la justice », relève ce dernier. « La guillotine ne permet pas l’amendement du condamné. La crainte du châtiment ultime n’est pas de nature à empêcher le passage à l’acte, sinon la France de 1977 n’aurait pas une criminalité plus importante que les pays où la peine de mort a été abolie », énoncent les experts.

« Si vous votez la mort comme vous le demande l'avocat général, ce sera fini. Mais il y aura à nouveau un autre crime affreux. Et vous y penserez. Puis, un jour, il y aura l'abolition. Vous direz à vos enfants que vous avez condamné un homme à mort. Et alors, vous verrez leur regard », conclut Joris Magnin / Robert Badinter.

*« Le Procès de Patrick Henry » au tribunal de commerce de Paris, 20 heures. Avec Hugo Hayoun, Joris Monin de Flauguergues, Pierre-Olivier Sur, Georges Sauveur, Christian Charrière Bournazel, Anne-Marie Sauteraud, Alexandre de Jorna, Cassandre Ader, Anatole Amigues, Louisiane Ader, Sophie Dumont-Ader, Amélie Amigues, Philippe Sarfati, Sophie-Hélène Chateau, Gilles Galvez, Olivier Guidoux, Laurent Samama, Xavier Filet, Quilina Vizzavona-Moulonguet, Matthieu Baccialone et Christian Brugerolles.

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Commentaires (3)

  • Fléreur

    Contre la peine de mort est le risque de l’erreur judiciaire. Mais quand la culpabilité est avérée, qui plus est dans un crime horrible comme celui commis par PH, cela ne me gêne pas plus que cela de couper une branche pourrie. C’est même recommandé dans L’Evangile… Et surtout cela élimine définitivement le risque de récidive. Je relève que « la guillotine ne permet pas l’amendement du condamné ». P. Henry s’est-il amendé ? Sa fin lamentable répond que non. Et pourtant il a été logé et nourri des décennies aux frais du contribuable. En plus il s’est moqué des personnes de bonne volonté qui lui avaient fait confiance et s’était battues pour lui. Mais bon, punir les assassins par où ils ont péché n’est plus dans l’air du temps dans nos sociétés dites civilisées, où le droit des bourreaux piétine souvent celui des victimes. Et puis la guillotine n’était peut-être pas la meilleure formule. Quant à l’injection létale façon US, c’est devenu une abomination, une contre-démonstration du bien-fondé de la condamnation. Sans compter les décennies passées dans le couloir de la mort, faisant en sorte que la sanction ne rime plus à rien. D’autant plus qu’aux USA la perpétuité réelle existe, sans états d’âme. Pour en revenir à la technique de la fameuse injection, heureusement que les personnes bénéficiant d’un suicide assisté en Belgique ou en Suisse ne sont pas soumises à de telles errances médicales.

  • Alainlalanne

    Sur le fond vous avez raison cela n’arrête pas tous les futurs criminels.
    Mais la suppression la peine de mort sans la remplacer par un emprisonnement jusqu’à ce que mort s’ensuive est une horreur trahison de l’intérêt des citoyens !

  • Bobette

    Je suis une senior, j'ai connu toute l'affaire ! Mais ce qui m'a le plus choquée, c'est l'image de Monsieur Badinter entrant dans la cellule du sieur Henry... Avec une bouteille de champagne ! Sur la mort d'un enfant de 7 ans ! Bravo monsieur Badinter ! Moi je n'oublie pas !
    Vous pouvez retrouver la vidéo qui est passée sur les télévisions de l'époque UNE SEULE FOIS !