Shalmani

Au nom de la lutte légitime contre les violences sexuelles, nous ne devons jamais oublier que ce qui nous préserve de la barbarie est notre droit, la prescription, la présomption d'innocence, la réinsertion.

©JF Paga / SDP

Tout le monde aime le cinéma iranien. De festivals prestigieux en prix, les films made in Iran fascinent. Parce que réaliser un film sous la chape de plomb des mollahs force déjà l'admiration, parce que le cinéma iranien permet, à coups de métaphores, de symboles, de paraboles de dire ce qui dégénère dans la République islamique d'Iran, parce qu'enfin, c'est un cinéma de qualité avec ce qu'il faut d'exotisme pour convaincre ceux qui ne jurent que par ce qui n'est pas occidental dans un geste de dégoût de soi élevé au rang d'idéologie mortifère.

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Asghar Farhadi (Une Séparation, Le Client, Le Passé, A propos d'Elly) est passé maître dans l'art d'un cinéma universel qui s'attache pourtant à décortiquer les moeurs et coutumes iraniennes sous stéroïdes islamisés, qui nous dit la folie et la féodalité d'un système dont on se demande comment il peut encore tenir.

C'est pareil à chaque fois, mais peut-être un peu plus avec son dernier film, Un héros. A chaque fois, si j'avais le moindre doute sur la richesse de mon exil, sur l'aubaine de ma métèquerie, un film de Farhadi confirme largement ma chance de vivre en France. A chaque fois, je me répète : j'ai échappé à ça. A la folie, à la tradition figée, à l'importance hystérique accordée à la réputation, à l'injustice de la justice sauce charia. Un Héros est un film cruel. Un film qui vous colle une boule au ventre dès les premières images et vous entraîne dans un monde où tout espoir est laminé par des certitudes moyenâgeuses.

La loi en Iran, c'est la loi du talion

Un homme est en prison pour dettes. Il est coincé en prison tant qu'il ne s'arrangera pas avec son créancier. La loi n'existe que pour sanctionner les décisions prises par le créancier, la loi n'intervient pas dans cette injustice flagrante. La loi est au service des passions humaines, des inimitiés, des haines, des jalousies, de la vengeance. La loi en Iran, c'est la loi du talion. Le droit iranien est au service de la barbarie humaine - si humaine. Notre héros est donc coincé. Sa (futur) femme trouve un sac dans la rue qui contient des pièces d'or, autant dire la voie de sortie pour le si beau et si sympathique prisonnier. Mais. Tout est vicié, le destin est déjà joué, car si la justice n'est pas le droit, s'il faut convaincre par l'émotion et seulement par elle, tout peut se retourner contre notre héros. L'émotion fluctue, un héros peut devenir un monstre sur la base du moindre soupçon. C'est glaçant, rageant et désespérant.

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Tous les personnages, du héros aux responsables de la prison, en passant par son fils bègue, sa famille, son créancier et sa terrifiante fille, les associations d'aides aux prisonniers, le public, tous sont pris dans le filet de la réputation. De ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, du degré de vertu décidé par on ne sait qui, mais qui s'impose pourtant brutalement à tous sans que jamais ne soient remises en question les conséquences tragiques de la morale avant le droit. Ainsi, alors que la situation est tragique, alors que le retour vers sa cellule est imminent, la soeur pense à faire remarquer à son frère que ce serait bien qu'il ne fume pas devant "les gens". C'est mauvais pour sa réputation. La condamnation ou la libération du héros tient à sa capacité à tenir le rôle du vertueux envers et contre tout.

La prochaine fois qu'un débat sur la justice et le droit s'élèvera en France à l'occasion d'une saine prescription qui empêche la tenue d'un pourtant juste procès, d'une présomption d'innocence balayée par un lynchage "populaire" et hystérique, d'un soupçon considéré comme suffisant pour écarter, éliminer, condamner, je conseille à tous ses grands esprits de jeter un oeil sur Un héros pour évaluer ce qu'est la justice sans le droit, ce qu'est la vengeance érigée en loi, ce qu'est l'aléatoire de la culpabilité quand la justice n'est plus aveugle mais a les yeux grands ouverts sur les haines humaines. La justice n'est pas sentimentale et ne doit jamais l'être. La justice n'est pas la succursale de la morale, la justice ne doit pas être un scanner du degré de vertu d'un justiciable. Au nom de la lutte légitime contre les violences sexuelles, nous ne devons jamais oublier que ce qui nous préserve de la barbarie est notre droit, la prescription, la présomption d'innocence, la réinsertion. La vengeance ne mène qu'à l'injustice, l'émotion ne nourrit que le monstre du ressentiment.

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