Emmanuel Macron a-t-il un problème avec les femmes intelligentes ?

« Je suis un converti tardif au féminisme, mais comme tous les convertis, je suis résolu », avait confié le candidat Macron dans un grand papier publié dans Vanity Fair France en 2017. Quatre ans plus tard, nous avons ont retrouvé les 16 femmes qui, à l'époque, avaient pris la pose pour nous, à cette occasion. Elles étaient alors certaines d’incarner le changement. Texte : Lisa Vignoli et Hugo Wintrebert.
Emmanuel Macron et les femmes intelligentes  une histoire tumultueuse
Witt Jacques/Abaca

Bien sûr qu’elles s’en souviennent. La photo avait été prise dans l’escalier du QG de campagne d’Emmanuel Macron un matin de mars 2017, à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle. Seize femmes, toutes dévouées au fondateur d’En marche !, avaient posé pour Vanity Fair France, heureuses d’être enfin sur la photo après avoir trimé comme des dingues en coulisses. Elles voyaient la victoire se profiler, s’imaginaient déjà faire partie de l’avant-garde du pouvoir, ­portées par un homme de 39 ans pas tout à fait comme les autres.

« J’ai toujours été plus à l’aise avec la part d’intelligence des femmes, nous avait alors confié celui qui allait devenir chef de l’État. Je suis un converti tardif au féminisme, mais comme tous les convertis tardifs, je suis résolu. » Pour les militantes de la cause, l’en­ga­gement était clair et la promesse ferme : le combat pour l’égalité des sexes allait devenir l’un des grands chantiers du quinquennat. Et les résultats concrets ne tarderaient pas à sauter aux yeux des Français.

Quatre ans et demi plus tard, que sont nos macroniennes devenues ? Au téléphone, certaines semblent un peu gênées. « Je garde toute mon amitié au président mais je serais bien incapable de répondre à des questions précises sur son bilan en matière de féminisme... » s’excuse, très diplomatiquement, l’une d’elles. Eh bien, faisons le compte ensemble. Des seize photographiées de mars 2017, peu ont vu leurs espoirs exaucés : Marlène Schiappa, passée du statut de blogueuse confidentielle à celui de virevoltante ministre déléguée à la citoyenneté, abonnée aux pieds dans le plat et aux plateaux télé ; et Sibeth Ndiaye, conseillère en communication du candidat Macron, devenue la très contestée porte-parole du gouvernement qui a brutalement verrouillé l’information aux journalistes, avant d’être embauchée en juillet 2020 comme secrétaire générale du groupe d’intérim Adecco. Pour le reste... Quelques-unes ont tracé leur chemin au sein des équipes au pouvoir, avec des fortunes diverses. Sophie Ferracci, dont le mari fut le témoin de mariage du président, est restée moins d’un an cheffe de cabinet au ministère de la Santé, avant de trouver un travail à la Caisse des dépôts. Clara Koenig a suivi Benjamin Griveaux au porte-parolat du gouvernement et elle gère aujourd’hui la communication de Christophe Castaner à l’Assemblée nationale. Aigline de Ginestous a travaillé dans le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher jusqu’en mars 2021, avant de rejoindre le géant de l’immobilier commercial Unibail.

Seize femmes posant pour le numéro de mai 2017 de Vanity Fair France.

Alexis Armanet

D’autres ont mis moins longtemps qu’elle à repartir dans le privé. C’est le cas par exemple d’Anne-­Marie Idrac. Secrétaire d’État sous Juppé puis sous Fillon, elle avait présenté François Bayrou à Emmanuel Macron et était pressentie pour devenir premier ministre, à la rigueur patronne de Bercy. N’avait-elle pas dirigé jadis la SNCF et la RATP ? Elle n’a pourtant obtenu qu’un modeste poste de haute responsable pour la stratégie nationale de développement des véhicules autonomes. « Les choses ne se sont pas présentées », nous glisse-t-elle.

En 2017, la startupeuse Axelle Tessandier tout juste revenue de cinq ans dans la Silicon Valley, semblait promise au portefeuille du numérique. Édouard Philippe lui a finalement expliqué que le job reviendrait à Mounir Mahjoubi. Résultat, elle a lancé un cabinet de conseil en communication et a pris quelque temps la tête d’un média sur Instagram dédié à « l’empowerment au féminin ». Françoise Holder, ex-­déléguée nationale d’En marche ! est retournée pour sa part à la tête des boulangeries Paul, et Catherine Barbaroux s’est retirée du jeu sans regret après être restée un court instant présidente intérimaire de LREM. En définitive, seules cinq des femmes présentes sur la photo conservent aujourd’hui un engagement politique. C’est peu. « Le succès d’En marche ! s’était construit sur l’idée que ce ne sont pas dix mecs issus des grandes écoles qui allaient décider de l’avenir du pays... », s’agace l’une d’elles, sous ­couvert d’anonymat.

Cooptation entre hommes

À sa décharge, Emmanuel Macron avait prévenu ses marcheuses : les places seraient chères, il n’y aurait pas de ministère pour tout le monde. Elles ne seraient pas forcément en tête de liste pour les décrocher. « Il faudra gouverner avec beaucoup de gens qui n’étaient pas là la première heure, vous saurez me pardonner cela, car rassembler c’est élargir. » La déception est palpable. D’autant que leur déconvenue personnelle s’accompagne d’un constat plus global : contrairement à ce qu’il avait promis, Emmanuel Macron n’a pas profité de son accession au pouvoir pour ouvrir en grand la porte aux femmes.

Il suffit de passer une tête dans les dîners de la majorité où se décident les orientations stratégiques pour en prendre conscience : c’est un vrai gentlemen’s club. Autour du président de la République et du premier ministre, se pressent Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, Thierry Solère et Stéphane Séjourné, les conseillers politiques, François Bayrou, le leader du Modem, Stanislas Guerini, le patron de LREM, sans oublier le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, le chef du groupe LREM à la chambre basse, Christophe Castaner, et son homologue au Sénat, François Patriat. Que des costumes-cravates. La plupart des ministres qui comptent, à commencer par Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, sont eux aussi des hommes. Certes, au sein du cabinet présidentiel, la domination des mâles est un peu moins tranchée puisque le deuxième sexe occupe à peu près un tiers des places. Mais, comme le résume Marlène Schiappa, « la politique reste un boys’ club géant, même si, de temps en temps, quelques intruses s’en sortent ».

Comment expliquer que les plus beaux postes de la République continuent d’échapper aux femmes ? Certes, par l’inertie des traditions. « Malgré toutes les bonnes volontés, il y a toujours une cooptation entre hommes qui se fait inconsciemment », avance l’une des déçues de la photo. « On a hérité d’un système politique encore très masculin », abonde Clara Koenig. La communicante du groupe LREM à l’Assemblée nationale n’a pas oublié qu’en janvier 2017, lorsqu’En marche ! a lancé son premier appel à candidatures pour les élections législatives, à peine 15 % des réponses ont émané de postulantes. « Les femmes hésitent à s’engager dans la vie publique, car ce monde continue de leur paraître brutal et sexiste », regrette-t-elle. Ajoutons qu’avant de devenir président, Emmanuel Macron avait travaillé à la banque Rothschild, au secrétariat général de l’Élysée puis à Bercy, trois univers essentiellement masculins, comme le fait remarquer une autre. Il n’est dès lors pas très surprenant que ses hommes de confiance soient justement... des hommes.

Alors ? Quel bilan pour le dynamiteur de l’ancien monde ? Chacun le sait, avec le chantre du « en même temps », les choses sont toujours plus mitigées qu’il n’y paraît. S’il a laissé tomber la plupart de ses supportrices originelles, Emmanuel Macron a fait beaucoup pour les femmes. Dès janvier 2017, face à la désertion de candidates aux législatives, il a lui-même sonné le rappel des troupes féminines. « Réveillez-vous ! » tonne-t-il dans une vidéo un brin culpabilisatrice de quatre minutes diffusée sur ses réseaux sociaux. En parallèle, il exige qu’un fastidieux travail de sélection soit mené pour aplanir le biais de genre dans la constitution des listes de prétendants députés. « J’avais l’œil rivé sur un compteur qui nous indiquait la proportion de candidates, se rappelle Catherine Barbaroux, membre de la commission d’investiture. Nous devions aussi veiller à ce qu’elles ne soient pas cantonnées à des circonscriptions ingagnables. » In fine, LREM investira 52 % de femmes et réussira à ce qu’elles représentent 48 % de son groupe parlementaire, faisant passer la proportion des députées de 27 à 39 %. Un exploit quand les grands partis préfèrent souvent payer des pénalités plutôt que respecter la parité : en 2018, Les Républicains ont été ponctionnés de 1,78 million d’euros de fonds publics, et La France insoumise, de 250 000 euros.

« Feminism washing »

Une fois à l’Élysée, Emmanuel Macron a fait en sorte que la parité soit scrupuleusement respectée dans la constitution de ses gouvernements. Le président ne s’est pas contenté d’offrir aux femmes des maroquins-strapontins justes bons pour la galerie : c’est du sérieux qu’il leur a proposé. Certes, depuis le départ de Nicole Belloubet de la chancellerie, Florence Parly, actuelle ministre des armées, est la seule à occuper un poste régalien. Mais Barbara Pompili, sa collègue de l’écologie – qui détient à ce titre la place de numéro deux du gouvernement –, Élisabeth Borne, chargée du délicat portefeuille du travail ou Agnès Pannier-Runacher, qui pioche les dossiers industriels, ne sont pas là pour faire de la figuration. À l’Élysée, on insiste aussi sur le vaste mouvement de féminisation de la haute fonction publique lancé par le président : la France compte aujourd’hui 40 préfètes, contre 24 en 2017. On se targue aussi d’avoir désigné pour la première fois une défenseure des droits (Claire Hédon) et bombardé des fortes en thème à la tête de l’École nationale de la magistrature (Nathalie Roret), des CRS (Pascale Dubois) ou encore de l’Établissement­ public du Louvre (Laurence des Cars), trois exemples parmi d’autres. « C’est vrai qu’il n’y a pas eu de prise de pouvoir généralisée des femmes. C’est vrai aussi qu’il y a des dîners stratégiques entre hommes, mais j’ai assisté à des conseils des ministres où le président nous disait qu’il ne signerait plus de décrets de nomination s’ils n’étaient pas paritaires », assure Marlène Schiappa.

« Pour moi, Emmanuel Macron est un président féministe », assure Clara Koenig. « Il faut distinguer l’action politique concernant les femmes où tout ce qui a été annoncé a été fait et la place des femmes en politique », appuie Aigline de Ginestous en dressant la liste des réalisations du quinquennat. Allongement du congé paternité, PMA pour toutes, renforcement de la lutte contre les violences faites aux femmes, création d’un index d’égalité professionnelle, jusqu’à cette proposition de loi promettant d’imposer d’ici à 2030 40 % de femmes dans les instances dirigeantes des grandes entreprises, sous peine de sanctions. Aigline de Ginestous précise : « Il suffit de voir comment fonctionne le Sénat, qui marque un net recul par rapport à l’Assemblée nationale, pour se rappeler à quoi sert la parité qui y a été instaurée. » Les associations féministes, elles, regrettent des budgets encore trop restreints, des mesures tardives, à l’instar de la très lente généralisation du bracelet anti-­rapprochement pour protéger les victimes de violences conjugales, ou difficiles à appliquer, comme la verbalisation du harcèlement de rue. Elles dénoncent aussi certains effets de communication qui s’apparentent à du «feminism washing». La création d’un énième conseil consultatif pour l’égalité femmes-hommes, chargé de remettre au président des propositions en vue du G7 à Biarritz à l’été 2019, les a fait sourire. Emmanuel Macron a profité de l’occasion pour s’afficher en compagnie d’Emma Watson, l’actrice de Harry Potter devenue égérie mondiale de la lutte pour l’égalité des sexes, lors d’un dîner à l’Élysée. Tout cela pour accoucher d’un rapport compilant une série de grands principes...

« Bien sûr, il y a encore beaucoup de travail à accomplir, mais Paris ne s’est pas fait en un jour », relativise Margaux Pech, passée un moment par le cabinet de la ministre des sports avant de retourner dans le privé. Qui portera ces futurs combats en haut lieu si le président est réélu en avril prochain ? Marlène Schiappa, au risque de lasser ? Sibeth Ndiaye, toujours membre du bureau exécutif de LREM, et qui pourrait reprendre du service pour la campagne ? Brigitte Macron, la conseillère de l’ombre, jusqu’à présent plutôt discrète dans son rôle de première dame, et davantage portée sur les problématiques liées au handicap que sur le féminisme ? Difficile à dire. Ce qui est sûr en revanche, c’est que se posera à nouveau la question de la place des femmes dans le cœur nucléaire du pouvoir. Une seule, présente sur la photo de 2017, en fait toujours partie : Valérie Lelonge, la secrétaire particulière depuis Bercy, dont le poste est dénué de rôle politique.