PREHISTOIRE« La grotte Cosquer est le symbole tragique de notre passage sur terre »

Marseille: « La grotte Cosquer est le symbole un peu tragique de notre passage sur terre », considère Pedro Lima qui publie un livre sur cette grotte

PREHISTOIRELe journaliste scientifique Pedro Lima publie un livre sur la grotte Cosquer, dont la réplique est en cours de réalisation
La couverture du livre
La couverture du livre  - éditions Synops / éditions Synops
Adrien Max

Adrien Max

L'essentiel

  • Pedro Lima, journaliste scientifique, publie un livre sur la grotte Cosquer, son 3e opus sur les grottes ornées après un sur Chauvet et un autre sur Lascaux.
  • Il a profité de la réalisation de sa réplique à Marseille, et de sa remise sur le devant de la scène pour publier ce livre.
  • Pour lui, la grotte Cosquer « est vraiment le symbole absolu et un peu tragique de notre passage sur terre, nous Homo sapiens ».

Notre mémoire. Le journaliste scientifique marseillais Pedro Lima a publié un livre, sur la grotte Cosquer, La grotte Cosquer révélée, les secrets du sanctuaire préhistorique englouti, découverte dans le massif des Calanques de Marseille, par Henri Cosquer en 1985 et dont l’existence a été révélée au début des années 90. Une cavité dont la réplique est en voie de finalisation au sein de la villa Méditerranée, un projet porté par la Région Paca. C’est à cette occasion que Pedro Lima s’est replongé dans son incroyable histoire, qui en dit autant sur la période à laquelle elle était fréquentée par des chasseurs collecteurs, que sur les enjeux de notre siècle.

En quoi la réalisation de la réplique vous a poussé à faire un livre sur la grotte Cosquer ?

C’est le troisième livre que je publie sur les grottes ornées, après un premier sur la grotte Chauvet en 2014, et un deuxième sur Lascaux en 2017. Ce sont des livres qui sont beaucoup liés à la réalisation des répliques de chacune des grottes. Parce que la réalisation de la réplique remet dans la lumière ces cavités, et c’est particulièrement vrai pour Cosquer, qui a pu être oubliée. Parce que c’est un endroit où le public ne peut pas aller, pour des raisons de sécurité et de conservation.

On parlait plus de Cosquer dans les années 1990 ?

Tout à fait, quand la découverte de la grotte Cosquer a été rendue officielle en 1991, pendant plusieurs années il y a eu une période d’effervescence médiatique et publique, autour de la grotte Cosquer. C’était vraiment le Lascaux sous-marin, qui surgissait comme une Atlantide aux yeux du monde. La découverte en 1994 de la grotte Chauvet lui a fait un peu d’ombre. Qui a, lors de ses premières datations, livré un âge plus ancien que les datations de Cosquer, qui, entre 92 et 94, ont été les plus anciennes représentations artistiques connues au monde. Ses incroyables fresques de lions qui chassent le bison et la facilité d’accès dans la grotte, alors que la grotte Cosquer est très difficile d’accès, lui ont aussi fait de l’ombre. Les premières campagnes scientifiques dans la grotte Cosquer se sont déroulées dans des conditions difficiles, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Cela a eu pour effet un transfert de l’intérêt médiatique et scientifique. Et des moyens mis à disposition par le ministère de la culture pour étudier la grotte Cosquer, vers Chauvet.

Comment avez-vous travaillé pour faire ce livre ?

Je suis vraiment rentré dans un travail journalistique sur l’art pariétal à partir de 1995. J’ai une sorte d’historique derrière moi, avec une bibliographie, des interviews, et une connaissance du sujet à force de visiter des grottes ornées et de travailler sur cette histoire qui me passionne. Même si je ne suis pas entré dans la grotte Cosquer, pour des raisons de sécurité, car la plongée est périlleuse, et de conservation. Pour le livre, j’ai d’une part collecté de nombreuses informations et fait un travail de journaliste scientifique dans la mesure où je fais un travail de partage des connaissances, qui ont été acquises, accumulées par les scientifiques au cours de 30 années de recherches. J’ai aussi proposé à des témoins, qui sont des personnes qui elles par contre sont allées dans la grotte, l’ont co-découverte, l’ont authentifiée, dans le cas de Jean Courtin, l’ont étudiée dans le cas de Jean Clottes, ou Luc Vanrell, en ont réalisé le modèle 3D dans le cadre de Bertrand Chazaly, afin qu’ils racontent « leur » grotte Cosquer. Je leur ai ouvert les pages du livre pour qu’ils apportent des témoignages, à la fois de sensation, de perception, et sur les connaissances qu’ils ont acquises à l’intérieur.

Quelle est la particularité de cette grotte par rapport aux autres ?

C’est une grotte qui d’abord a été fréquentée pendant une très longue durée. Les gens y sont allés de -33.000 ans jusqu’à – 19.000 ans. Donc ça veut dire pendant 14.000 ans, ce qui est très très long. Ça fait sept fois toute la durée de notre calendrier, après JC. Ça montre la stabilité de ces sociétés humaines, qui vivaient dans les paysages des calanques qui ne ressemblaient absolument pas à celui d’aujourd’hui. L’autre particularité, c’est d’avoir prélevé dans la grotte énormément de matière calcaire, en raclant la surface des parois, en retirant une sorte de matière un peu molle qui recouvrait les parois, qu’on appelle le Mondmiclh, le lait de lune en allemand. L’une des deux hypothèses pour expliquer qu’ils aient prélevé toute cette matière, est une hypothèse médicinale. Ils utilisaient cette matière calcaire comme médecine. Soit sous forme de pansement gastrique, un peu comme le smecta d’aujourd’hui, soit pour cautériser des plaies. Pour Jean Courtin et Jean Clottes, ça fait des Homo sapiens de la grotte Cosquer, les premiers hommes et femmes médecines connus de l’humanité. L’autre hypothèse est plutôt d’ordre rituelle, et les deux ne s’excluent pas forcément. C’est la pratique de la peinture corporelle. Et il y a l’utilisation de la peinture corporelle blanche avec toute une symbolique associée à cette couleur, ou à cette absence de couleur blanche, dans des sociétés étudiées par l’ethnographie. Il n’est pas impossible que les humains de la grotte Cosquer, quand ils revenaient sur leurs lieux de vie et d’habitat, peut être au cours de certaines cérémonies ou pour se distinguer socialement d’autres groupes, par exemple, s’enduisaient le corps de cette matière calcaire blanche.

Autre fait passionnant : on sait qu’il y avait des femmes, des hommes et des enfants dans la cavité, qu’ils fréquentaient mais n’habitaient pas, comme l’ont montré les recherches et les analyses d’empreintes de mains, très nombreuses sur les parois. Ce qui me fascine avec cette histoire c’est que c’est tout un monde très complexe en fait, qui émerge comme ça, avec des gens parfaitement adaptés à leur environnement, qui observaient et chassaient des phoques et des pingouins sur le littoral qui est situé sur le littoral à 10 km plus loin qu’aujourd’hui. On allait à pied de Marseille au Frioul, rien que ça c’est fascinant. Les contemporains de la grotte chassaient parfaitement le bison et allaient régulièrement dans cette cavité pour laisser des images, et retirer de la matière dont ils faisaient toutes ces utilisations.

La grotte parle d’une époque qui date d’il y a 20.000 ou 30.000 ans, mais elle raconte aussi le monde actuel…

La grotte Cosquer est vraiment le symbole absolu et un peu tragique de notre passage sur terre, nous Homo sapiens. Elle a un destin incroyable, puisque à la suite de la fin de la dernière période glaciaire, la remontée du niveau des mers a noyé en partie son porche d’accès et son conduit d’accès. Elle est au 3/4 complètement inondée. Le hasard de sa position fait que le niveau de la mer à un moment donné s’arrête de monter, en préservant à peu près 1/4 de la grotte d’origine.

L’autre hasard incroyable c’est que 19.000 ans après le passage des derniers êtres humains, il y en a un autre, de la même espèce, qui redécouvre la grotte. Mais qui fait basculer la grotte dans la modernité, avec tout ce que ça implique de connaissances, celles que je partage dans le livre. Elle bascule dans la modernité, et réapparaît aux yeux de l’humanité, et ça signe aussi pas sa perte, mais sa fragilité. Elle est quand même en partie détériorée par des tournages de films, de documentaire, dans les années 90, on tire des câbles de 200 mètres de longueurs pour ramener l’électricité à l’intérieur, pour pouvoir l’étudier, l’éclairer. Et tout cela, ce n’est pas sans conséquences. Mais surtout, depuis, les scientifiques ont montré qu’elle n’était pas à l’abri des polluants par exemple, que les hydrocarbures, des effluents des grandes villes comme Marseille. Dans le livre il y a une photo de microclastique qui s’incruste sur les parois qui sont ramenés par la mer, et qui commence à s’endurer avec une très légère couche de calcite qui commence à les incruster dans les parois. La mer a aussi repris sa montée sous l’effet du changement climatique actuel qui est lui d’origine anthropique, dû à l’homme, contrairement à celui qui l’a noyé il y a 9.000 ans, et qui lui était dû à un cycle naturel de période glaciaire et d’interglaciaire. Donc en fait ce que la grotte Cosquer nous dit c’est qu’il n’y a aucun endroit sur la planète qui est complètement à l’abri de l’action des humains. Pour le meilleur, et pour le pire. Sauver la grotte Cosquer c’est presque un enjeu d’humanité, c’est-à-dire limiter notre impact sur la planète. Il y a quelque chose d’un peu tragique dans son destin si elle finit vraiment par disparaître complètement.

D’où l’importance de la réalisation d’une réplique…

Elle va permettre son partage avec le grand public, tout en préservant l’original, parce que peut-être, de mieux la faire connaître, et sensibiliser le très grand public, ça va avoir un impact bénéfique sur la grotte originale en sensibilisant sur l’importance de sa conservation et de sa préservation. La réplique va permettre d’éveiller les consciences sur l’importance de conserver l’original et au-delà, de faire au mieux pour limiter nos impacts sur la planète. Même si ce n’est pas bien parti.

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