Migrants : le Royaume-Uni favorise-t-il « l'esclavage moderne », comme le suggère Clément Beaune ?
Plusieurs responsables politiques français ont pointé du doigt le fonctionnement du marché du travail britannique comme un facteur d'attraction pour les migrants. Au Royaume-Uni, la part de l'économie informelle serait pourtant l'une des plus faibles en Europe.
Le Royaume-Uni a-t-il « un modèle économique qui favorise le travail clandestin », comme le suggère le ministre des Affaires européennes, Clément Beaune ? Dans la foulée du naufrage dans la Manche , les responsables politiques français ont pointé du doigt le fonctionnement du marché du travail britannique , plus précisément des conditions s'apparentant à de « l'esclavage moderne », comme un facteur d'attraction pour les migrants en quête de travail.
C'est le constat de Natacha Bouchart (LR), maire de Calais pour qui le travail illégal au Royaume-Uni « renforce l'appel d'air ». Les migrants « sont attirés par l'Angleterre, notamment par le marché du travail qui fait que, sans pièces d'identité, vous pouvez travailler », a indiqué le ministre de l'Intérieur.
Vérifier le statut migratoire
Déjà en 2015, Xavier Bertrand citait l'absence de carte d'identité outre-Manche comme l'une des raisons de l'accumulation de clandestins à Calais. Cela ne veut pas dire pour autant que les entreprises peuvent embaucher des sans-papiers comme elles le souhaitent. Au Royaume-Uni, les employeurs sont tenus de vérifier le statut migratoire d'un employé avant de l'embaucher, sous peine d'amende. Ils peuvent le faire soit en consultant ses papiers d'identité, soit par une vérification en ligne sur un site du gouvernement.
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Cela n'empêche pas que des employeurs peu scrupuleux recrutent sans procéder à ces vérifications. L'un des arguments du ministre de l'Intérieur français est de dire que l'immigration illégale concerne deux à trois fois plus de personnes au Royaume-Uni qu'en France. Une étude du Pew Research Center montrait en effet que le Royaume-Uni comptait 800.000 à 1,2 million d'immigrants illégaux, alors que l'estimation se situait plutôt entre 300.000 et 400.000 pour la France.
« Cette étude a des limites méthodologiques », nuance Peter Walsh, chercheur au Migration Observatory, notant que l'estimation britannique repose sur un chiffre transmis par le Home Office à Eurostat, qui ne comptabilise pas de la même manière les immigrés ayant obtenu un permis de séjour.
Le Royaume-Uni, un bon élève ?
Les études économiques sur le travail au noir semblent plutôt indiquer que le Royaume-Uni est un bon élève en Europe. Dans une étude de 2019 publiée par le Fonds monétaire international, le Royaume-Uni ressort en quatrième position derrière l'Autriche, le Luxembourg et la Suisse.
Dans la même veine, une comparaison publiée en 2017 par la Commission européenne montrait qu'avec une économie informelle estimée à 9,5 % de la valeur ajoutée, le Royaume-Uni était mieux placé que la France (11 %) et bien en dessous de la moyenne européenne (16,4 %). L'étude saluait même « une approche innovante pour combattre toutes les formes d'exploitation des travailleurs », saluant la loi sur l'esclavage moderne de 2015, « la première du genre en Europe ». Entre autres, ce texte a alourdi les peines qui peuvent aller jusqu'à la prison à vie.
« Esclavage moderne »
Un faible pourcentage de travail au noir, ainsi qu'un cadre légal strict, ne garantissent pas pour autant que toutes les pratiques abusives soient éradiquées. Dans les usines textiles de Leicester , les ONG dénoncent depuis des années des pratiques d'« esclavage moderne », relayant des témoignages d'employés contraints de travailler pour 3,5 livres de l'heure.
« Quelque 10.000 victimes potentielles de l'esclavage moderne ont été identifiées au Royaume-Uni », relevait la ministre de l'Intérieur, Priti Patel, dans un rapport publié par le gouvernement en 2020. La pratique aurait fait l'objet de 349 poursuites judiciaires en 2019, un chiffre en hausse de plus de 70 % par rapport à l'année précédente.
Ingrid Feuerstein (Correspondante à Londres)