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Interview

Thierry Breton : « La vigilance la plus accrue s'impose face au nouveau variant »

Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, a accordé un entretien collectif à plusieurs médias européens, dont « Les Echos » pour la France. Il assure que les laboratoires sont « optimistes » sur la capacité à adapter « le cas échéant » leurs vaccins au nouveau variant Omicron du Covid.

Thierry Breton, commissaire européen chargé du Marché intérieur.
Thierry Breton, commissaire européen chargé du Marché intérieur. (Eric TSCHAEN/REA)

Par Derek Perrotte

Publié le 27 nov. 2021 à 12:03Mis à jour le 28 nov. 2021 à 15:16

Les troisièmes doses de vaccin contre le Covid-19 commencent à se généraliser en Europe. Où en sont les capacités de production du Vieux Continent ? L'Europe pourrait-elle assumer des campagnes régulières de rappel ?

Comme le recommande l'Agence européenne des médicaments, il apparaît clairement que nous avons aujourd'hui besoin d'un rappel . L'Europe y est plus que prête. En en un an, elle est devenue la pharmacie du monde. Nous produisons désormais plus de 300 millions de doses par mois dans l'Union européenne. C'est plus que quiconque. Il faut mesurer l'incroyable chemin parcouru. Songez que nous sommes partis de quasiment rien puisqu'en février, nous n'en produisions que 10 millions par mois !

L'OMS a estimé qu'il serait plus utile de fournir des doses aux populations mondiales encore non vaccinées que d'administrer un rappel aux Européens…

J'ai entendu cela. Mais je suppose que l'OMS n'a pas très bien compris que nous avons déjà les vaccins en stock. L'un n'empêche absolument pas l'autre et nous ferons les deux. Une troisième dose pour tous les adultes européens, cela ne représente qu'un mois de production. Et dans beaucoup de pays du monde aujourd'hui, la question n'est plus tant de recevoir des doses que d'accélérer la vaccination.

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L'inquiétude monte autour du nouveau variant détecté en Afrique du Sud. Faut-il couper les liaisons aériennes avec tout ou partie de l'Afrique, comme le font déjà des Etats européens ?

La vigilance la plus accrue s'impose face au nouveau variant et ses possibles mutations. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé dès vendredi aux 27 Etats membres d'activer un « frein d'urgence » sur tous les voyages en provenance d'Afrique australe et des autres pays touchés. La priorité des priorités est de limiter la propagation de ce variant et d'avoir une bonne compréhension scientifique des risques potentiels qu'il sous-tend.

Que faire si ce variant s'avère capable de contourner les vaccins ?

Nous avons d'ores et déjà engagé les discussions avec les scientifiques et les fabricants de vaccins. Le variant fait actuellement l'objet d'études et les acteurs se montrent optimistes quant à leur capacité, le cas échéant, à développer en quelques semaines un vaccin adapté. Aujourd'hui, la priorité absolue demeure la vaccination et l'application des gestes barrières.

La reprise en Europe se heurte à de nombreux freins. La Commission a-t-elle une stratégie pour y remédier ?

Nous n'avons jamais connu de reprise aussi forte à l'échelle mondiale alors que, dans le même temps, de nombreuses entreprises ont fermé durant la crise. Il n'est donc pas étonnant que la production ne satisfasse pas la demande pour un certain nombre de matières premières et de produits. Nous avons aussi dans beaucoup de secteurs, et pas seulement le tourisme et la restauration, où les entreprises ont de grandes difficultés à trouver les compétences ou les candidats. Cette conjugaison de facteurs est porteuse d'un fort risque inflationniste, ce qui sera l'un des défis majeurs à traiter en 2022. Nous travaillons activement sur l'ensemble des goulets d'étranglements de toutes les chaînes de valeur et nous présenterons des propositions au premier trimestre.

Le Conseil européen a adopté jeudi dernier sa position sur vos deux projets de régulation du numérique, le DSA et le DMA. Les Etats affichent-ils l'ambition nécessaire selon vous ?

Pas de doute, l'esprit et l'ambition sont toujours là ! Les deux textes ont été adoptés sans modifications fondamentales et, surtout, à l'unanimité des 27 Etats membres . C'est un signal très fort. Chacun mesure désormais qu'il est critique pour notre économie d'organiser l'espace digital. Le DSA et le DMA ne sont pas des actes de concurrence. Ils vont bien au-delà, ce sont des actes de marché intérieur. Nous bâtissons ni plus ni moins un véritable « marché interne digital ». La dernière étape, celle des trilogues entre la Commission, le Parlement et le Conseil, devraient débuter en janvier. On peut viser un accord final avant l'été, durant la présidence française du Conseil de l'UE. L'Europe sera bientôt le premier continent doté d'un véritable corpus législatif solide pour réguler l'espace numérique. C'est historique.

Comment jugez-vous la réaction des géants américains visés par le texte ? Ils mènent un intense lobbying contre de nombreuses mesures…

J'ai été parfaitement clair et transparent d'entrée de jeu sur ce que l'Europe allait faire et comment elle allait le faire. Nous avons mené la plus grande consultation de l'histoire de la Commission, avec plus de 3.000 parties prenantes interrogées ! Nous avons vu absolument tout le monde : les entreprises, la société civile, les chercheurs, les ONG, les gouvernements… J'ai personnellement parlé à tous les dirigeants des Gafam. Je l'ai dit à Mark Zuckerberg, à Sundar Pichai, à tous : « Soyons sérieux. Si vous voulez dialoguer, ne m'envoyez pas vos lobbyistes, appelez-moi directement. Mais mon travail, c'est d'élaborer et promouvoir des régulations pour les citoyens européens, pas pour les sociétés non européennes bénéficiant de notre marché intérieur. »

L'UE dit vouloir se renforcer dans les microprocesseurs mais vient de subir un nouveau revers, avec le choix de Samsung d'implanter sa nouvelle usine au Texas. L'Europe n'en fait-elle pas trop peu et trop tard ?

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Le choix de Samsung n'est pas une surprise. Nous le savions. Et non, il n'est pas du tout trop tard pour l'Europe. Je dirais au contraire que c'est le moment ! Avec la transition numérique, la demande de semi-conducteurs va doubler d'ici à 2030. Les producteurs vont devoir investir lourdement pour y répondre. La question n'est pas « vont-ils le faire » mais « où vont-ils le faire ». Notre objectif est de doubler les capacités de production en Europe d'ici à 2030. Aujourd'hui, plus de 80 % des semi-conducteurs viennent d'Asie. C'est une question essentielle pour la compétitivité et la souveraineté du continent et nous n'avons pas attendu la crise du Covid pour le savoir. Je travaille sur le sujet depuis mon tout premier jour comme commissaire.

Comment comptez-vous convaincre les producteurs de semi-conducteurs de miser sur l'Europe ?

L'Europe a des atouts majeurs à faire valoir, comme la qualité et la robustesse de sa production électrique. Dans l'industrie des semi-conducteurs, les machines tournent 24 heures sur 24. On ne peut pas se permettre de « shutdown ». L'Europe est en outre un excellent vivier de talents et de compétences dans un secteur où les difficultés de recrutement sont aujourd'hui le plus grand frein au développement. Le secteur est aujourd'hui confronté au défi de réaliser des investissements à la fois très lourds, pour satisfaire la demande, et risqués, pour innover. C'est là que nous intervenons.

Dans le cadre du « chips act » que je présenterai début 2022, l'Europe supportera les investissements, notamment de rupture, et plus largement l'ensemble du secteur en assouplissant les règles de concurrence relatives aux aides d'Etats. En contrepartie de ce soutien public, nous instaurerons un mécanisme de préférence européenne en cas de crise. C'est, je le rappelle, ce que les Américains ont fait à propos des vaccins produits sur leur sol. Nous devons retenir la leçon. Les semi-conducteurs sont aussi un enjeu d'équilibre des pouvoirs. Ce n'est pas du protectionnisme mais de la souveraineté géopolitique.

La nouvelle coalition allemande s'oppose à l'inclusion du nucléaire dans la « taxonomie », la liste des investissements verts que l'Europe soutiendra. Paris y tient mordicus. Quand et comment la Commission va-t-elle trancher ?

C'est une décision qui est du ressort du Collège. Or la discussion n'a pas encore eu lieu. Je suis personnellement en faveur de l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie. Dans les trente prochaines années, l'Europe devra à la fois doubler sa capacité électrique pour répondre aux enjeux économiques et réduire fortement ses émissions carbone pour atteindre la neutralité climatique. Il est impossible d'y parvenir sans le nucléaire.

Propos recueillis par Derek Perrotte (Bureau de Bruxelles)

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