Lyna Khoudri : « Natalie Baye cache ses César derrière sa bibliothèque ! »

La jeune comédienne partage l'affiche avec Nathalie Baye dans « Haute Couture ». Echange avec l'une des nouvelles étoiles du cinéma français, très sollicitée.
Marie Deshayes
Lyna Khoudri : « Natalie Baye cache ses César derrière sa bibliothèque ! » JACOVIDES-BORDE-MOREAU / BESTIMAGE

Tourner dans un film comme "Haute Couture", c'est avoir la chance de visiter les coulisses de la mode…

Absolument. Nous avons été reçus dans les ateliers Dior, où nous avons rencontré les premières d'atelier, les petites mains… C'est un monde auquel on a peu accès. Quand on voit les modèles en boutique, on ne réalise pas toujours les heures de travail, l'extrême précision qu'il faut pour confectionner une robe. Mais, au-delà de cet univers fascinant, c'est Sylvie Ohayon, la réalisatrice, qui a un humour tranchant et m'a totalement conquise, tout comme cette histoire de transmission qu'elle me proposait. Je trouvais très joli ce lien entre mon personnage, apprentie couturière en manque de figure maternelle, et celui de Nathalie Baye, première d'atelier en manque de sa fille. Cela résonnait en moi : il y a la famille de sang et celle que l'on se choisit.

Avez-vous trouvé une seconde famille dans le cinéma ?

En quelque sorte, notamment parce que j'ai rencontré mon amoureux sur un film, et quelques très bons amis. J'ai aussi eu des mentors, des soutiens essentiels, comme Juliette Denis et Sofia Djama, la directrice de casting et la réalisatrice des Bienheureux, qui ont posé un regard différent sur moi. Je pense aussi à mon agent Grégory Weill, qui m'a ouvert les bras avant même que je ne tourne mon premier film. Et puis Marion Cotillard qui, après avoir été ma marraine aux César, continue à tenir ce rôle à merveille. Ses conseils me sont précieux comme ceux de Reda Kateb, mon grand frère, ou de Pascale Arbillot, qui joue également dans "Haute Couture".

Avez-vous appris à coudre pour les besoins du film ?

Je l'avais déjà fait pour Papicha, où j'interprétais une jeune fille qui rêve de devenir styliste. Pour "Haute Couture", j'ai dû me « perfectionner », notamment sur la broderie, avec l'aide des artisans qui travaillent pour la maison Dior. L'idée était de reproduire le bon geste.

« Mon envie d'être actrice s'est construite comme un puzzle, pièce après pièce. »

Comment est-ce de donner la réplique à une icône comme Nathalie Baye ?

Au début, j'étais très impressionnée, c'est une immense actrice. Mais quand je suis arrivée chez elle pour notre première lecture, je lui ai demandé où étaient ses César. Elle les cache derrière sa bibliothèque ! Ça dit tout d'elle : c'est une femme d'une humilité et d'une jeunesse folles. Elle est aussi très drôle et bienveillante. Elle me parlait souvent de Laura, sa fille. Etre mère d'une actrice la rend peut-être plus attentive avec ses jeunes partenaires.

Avant d'être dans le cinéma, le monde de la haute couture vous semblait-il inaccessible ?

Oui, si l'on parle de coût. Quand on est étudiant et que l'on galère à boucler ses fins de mois, on ne pense pas à s'acheter un sac Dior. Mais, contrairement à mon personnage, je n'avais pas peur de ce milieu et je ne me disais pas qu'il m'était interdit. A 20 ans, j'étais même une « fashion victim » : je dépensais tout en vêtements et en accessoires. Et depuis que j'en ai les moyens, je me fais plaisir de temps en temps avec de belles pièces.

Aujourd'hui, les couturiers vous habillent sur les tapis rouges…

C'est la chance des actrices, la cerise sur le gâteau. Mais j'ai voulu être comédienne pour jouer, et non pour ces à-côtés qui, parfois, sont assez déstabilisants. Quand je suis sur un tournage où j'incarne une jeune fille en galère et que je dois effectuer un aller-retour pour un festival, je ne suis pas dans l'humeur « haute couture ». Cela étant dit, il serait indécent de se plaindre de ces privilèges. Il faut juste les prendre comme un jeu.

Comment est née votre vocation ?

Mon envie s'est construite comme un puzzle, pièce après pièce. Mon père était journaliste à la télévision et je l'accompagnais souvent dans ses studios de montage. L'image faisait partie de ma vie. D'autant qu'il était aussi très cinéphile. Puis j'ai fait du théâtre, à la fac, et j'ai adoré ça. A 20 ans, tout a pris son sens : je voulais travailler avec l'image, comme mon père, et j'aimais jouer. Le métier d'actrice m'est alors venu naturellement.

Votre mère est-elle aussi dans l'image ?

Elle était prof de musique en Algérie. J'ai été élevée dans une famille connectée à l'actualité générale et culturelle. Mes parents étaient instruits mais, comme beaucoup, à cause de la guerre, ils ont été déracinés et, en arrivant, ils se sont retrouvés entassés dans des cités du 93, à faire des boulots pour survivre. Une histoire classique d'immigrés.

Vous avez remercié votre mère « d'avoir si longtemps été un homme » quand vous avez reçu votre prix d'interpréta­tion à Venise pour les Bienheureux…

Elle a joué les deux rôles un long moment. Comme mon père a été très choqué par le déracinement, elle a pris les choses en main, sans doute par instinct maternel. Elle a fait preuve d'une résilience incroyable. Je voulais saluer sa force.

Un mot sur "The French Dispatch", de Wes Anderson, votre premier film américain ?

Je suis allée au casting sans y croire une seconde, et je n'en reviens toujours pas d'avoir été choisie. Le tournage était incroyable, avec un petit air de colonie de vacances dans Angoulême transformé en mini-studio hollywoodien. Tous les acteurs fidèles à Wes, de Tilda Swinton à Bill Murray, étaient ravis d'accueillir les petits nouveaux comme Timothée Chalamet et moi. Il y avait un vrai esprit de troupe, comme au théâtre, tous dans le même bateau, portés par l'enthousiasme, la générosité et la simplicité de Wes.

Vous avez désormais un agent aux Etats-­Unis…

J'ai pris mon temps, car je regarde avec un œil perplexe la carrière et l'évolution des acteurs français aux Etats-Unis. Et pourquoi viendraient-ils me chercher, alors qu'ils ont Saoirse Ronan, Zendaya ou Florence Pugh ? Mais, à Cannes, j'ai rencontré l'agent de Tilda, de Timothée et de Frances McDormand, qui ne m'a pas vendu de rêve et m'a dit qu'il n'essaierait pas à tout prix de faire de moi une star internationale. Qu'il ne m'enverrait les propositions que si elles avaient du sens. Pourquoi fermer la porte dans ce cas-là ? J'aime tous les cinémas, tant qu'il y a quelque chose à défendre.

Comment vivez­-vous votre ascension, qui a été fulgurante ?

Je ne m'en rends pas compte. J'ai pris les trains qui passaient et j'ai eu de la chance. Je sais aussi qu'il suffit de trois films qui ne plaisent pas pour que l'on m'oublie. Avoir travaillé avec Wes Anderson n'est pas une garantie à vie. Ce métier est une course de fond et j'espère avoir assez d'endurance pour tenir la distance.

Vous croulez sous les projets…

J'ai tourné "Novembre", un film de Cédric Jimenez sur les attentats, et je viens de retrouver Mounia Meddour, la réalisatrice de Papicha, pour "Houria". Cela signifie « liberté » en arabe. J'interprète une danseuse à Alger, de nos jours. Un nouveau cadeau extraordinaire. En parallèle, je joue Constance dans les "Trois Mousque­taires", de Martin Bourboulon, l'adaptation en deux films de l'œuvre d'Alexandre Dumas, avec Pio Marmaï, François Civil, Louis Garrel, Eva Green, Vincent Cassel… Je suis très fière que l'on m'ait proposé ce rôle dans ce grand classique français.

Dans "Haute Couture", on dit que la mode « a le pouvoir de fabriquer un peu de beauté pour réparer le monde ». En diriez-­vous autant du cinéma ?

Nous ne sauvons pas de vies, mais je crois que des films peuvent changer les choses. En tout cas, certains m'ont évité des thérapies ou m'ont permis d'affûter mon regard sur le monde qui m'entoure. J'aime aussi le divertissement, mais quand un sujet a un fond social ou politique qu'il me semble important de mettre en lumière, j'y suis très sensible.

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le 23/10/2021