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Le personnage de Bella dans le film Pleasure
Sexo

« Le porno peut être abusif comme libérateur » : plongée dans les coulisses du X avec le film Pleasure

Dans son film Pleasure, Ninja Thyberg met les plein phares sur le monde du porno. Sans la diaboliser, elle questionne l’industrie et la montre sous un female gaze plutôt rafraîchissant.

Le film Pleasure, en salles le 20 octobre 2021, déplace le point de vue des amateurs et amatrices de porno en dévoilant les coulisses de l’industrie du sexe. Le résultat est parfois cru, quelques fois touchant, souvent étonnant, mais plutôt neutre.

Sans les diaboliser, ni les encenser, la réalisatrice suédoise Ninja Thyberg braque son objectif sur les dessous du porno et tente de renverser le male gaze de la production de contenus pour adultes.

On y découvre, comme à travers un oeil de boeuf, tout ce qui se passe entre deux scènes de bukkake, les séances d’épilation et de lavement des actrices avant de passer sur le plateau, la préparation aux scènes intenses, mais aussi les rêves et désillusions de Bella, une jeune aspirante qui aime le sexe et rêve de devenir la prochaine porn star de Los Angeles.

Il y a beaucoup de choses naturelles pour le corps humain que le fantasme n’autorise pas.

Interview de Ninja Thyberg, réalisatrice du film Pleasure

Madmoizelle : Dans vos films, vous traitez souvent des questions du sexe, de la sensualité et de l’image des personnes perçues comme femmes. Pourquoi ?

Ninja Thyberg : Je parle des rôles de genre en général. J’essaye de mettre en scène les personnes qui se cachent derrière les stéréotypes et de retourner les pouvoirs. Dans Pleasure, je renverse les regards : on y voit le female gaze qui scrute le male gaze. 

J’ai pris conscience de ce que la société attendait des hommes et des femmes dès l’adolescence, surtout sexuellement. Notamment avec l’idée que l’homme est le prédateur et la femme est la proie.

Ça m’intéressait de savoir ce qu’il se passe quand on te considère comme un objet, mais que tu réussis à rester un sujet à l’intérieur de toi. Tu deviens à la fois celui ou celle qui tire les ficelles, et la marionnette. À la fois l’image, et le producteur de cette image.

Je pense que c’est ça, être une personne perçue comme femme : être consciente de sa surface, mais aussi de ce qui se cache derrière cette surface.

Vous dites que vous avez voulu vous éloigner du male gaze avec ce film. Comment l’avez-vous fait et pourquoi ?

Parfois, je le fais très littéralement en pointant ma caméra sur la caméra qui filme les scènes de porno. Je montre l’homme qui se cache derrière l’objectif. Je le fais aussi en montrant tout ce qui se passe en dehors du cadre traditionnel du porno. En montrant toutes les préparations qui ont lieu avant le tournage et ce qu’il se passe entre chaque prise.

Tout ça, en me concentrant sur le corps des femmes : sur ce qu’elles doivent faire, et ce qu’elles doivent cacher pour créer l’illusion et coller au fantasme masculin.

Il y a beaucoup de choses naturelles pour le corps humain que le fantasme n’autorise pas. Pour dissimuler ces choses, les actrices se maquillent, rentrent le ventre, se rasent et vont parfois jusqu’à faire des lavements intestinaux. C’est intéressant de travailler avec ce contraste pour montrer l’image de la perfection versus la réalité. 

Le porno peut être plein de choses différentes selon la manière dont il est produit. Il peut être abusif comme il peut être libérateur. 

Le porno mainstream est souvent vivement critiqué pour ses dérives abusives ou fermement défendu au nom de la liberté sexuelle. Quelle est votre position ?

Je ne pense pas que mon film se positionne dans un camp ou l’autre. Il montre simplement la réalité telle qu’elle est, sans moraliser ou juger.

Je ne pense pas que les choses puissent être entièrement objectives, mais j’ai essayé de montrer l’industrie de manière instrumentale et factuelle. Le porno peut être plein de choses différentes selon la manière dont il est produit : il peut être abusif comme il peut être libérateur. 

Comment avez-vous trouvé les acteurs et actrices de votre film ?

Sofia, qui tient le rôle principal de Bella dans le film, est une Suédoise qui n’avait jamais joué avant. Contrairement à tous les autres acteurs et actrices, et même les membres de l’équipe de tournage, elle n’a aucune connexion avec l’industrie du porno. J’ai mis un an et demi à la trouver.

Pour ce qui est des autres, comme j’ai passé cinq ans entre la Suède et Los Angeles pour m’intégrer dans l’industrie du porno et dans la communauté, j’ai fait pas mal de rencontres, tout simplement.

Ce n’était pas trop dur, justement, pour une personne qui ne venait pas du milieu ? A-t-elle été préparée ?

La partie la plus difficile pour Sofia était simplement de jouer un rôle, quel qu’il soit, puisqu’elle n’avait jamais fait ça avant. Elle porte vraiment tout le film et traverse beaucoup d’émotions fortes dans certaines scènes, ce n’était donc vraiment pas un travail facile.

Elle a eu beaucoup de temps pour se préparer : on a commencé à travailler ensemble neuf mois avant le début du tournage. J’ai réécrit le script en fonction d’elle, on a fait évoluer le personnage ensemble. Je l’ai emmenée sur les plateaux de porno à Los Angeles, elle a pu rencontrer en amont tous les acteurs et toutes les actrices avec qui elle était censée tourner avant même qu’ils soient engagés. Elle a eu son mot à dire sur beaucoup d’éléments.

C’était important, car elle s’expose énormément dans ce film. Donc quand c’était le moment de tourner, elle se sentait en confiance.

Une scène du film Pleasure de Ninja Thyberg

On sait que le consentement prend une place de plus en plus importante dans la conception des films porno, surtout ceux qui se veulent plus éthiques et féministes. Quelle a été la place du consentement sur le plateau de votre film ?

Nous n’avions pas de coach d’intimité, car à l’époque, c’était un métier assez nouveau, on ne savait pas que cela existait. Avec le recul, je me rends compte que c’est fou que j’ai dû endosser ce rôle en plus de ceux de réalisatrice et de directrice… Mais sur le tournage, il y a eu beaucoup de préparations, nous n’avons rien laissé au fruit du hasard.

Il y a une scène assez violente dans le film pour laquelle on a dû se préparer davantage, à tel point qu’elle a presque été chorégraphiée. Le jour du tournage de cette partie, Sofia est venue avec sa meilleure amie, seule une partie de l’équipe était présente et tout le monde pouvait s’arrêter à tout moment.

Ce que cette scène montre, c’est justement qu’il n’est pas toujours facile de dire non.

Petite détail, c’était plutôt pratique que seules Sofia et moi parlions suédois — comme ça, elle pouvait me faire part de ses inquiétudes ou de ses réserves devant tout le monde, sans avoir peur de froisser qui que ce soit !

Ça ne suffit pas de faire signer un contrat de consentement aux acteurs et actrices avant de tourner, il faut vraiment s’assurer que tout le monde soit à l’aise à tout moment.

Cette scène pose la question du consentement chez les acteurs et actrices porno : un acte peut être décidé à l’avance mais potentiellement mal vécu sur le plateau. Est-ce un retour que vous avez eu de la part de personnes de l’industrie ?

Quand je parle aux performeuses de l’industrie du porno, elles me disent toujours que tout est consenti. Mais quand je leur demande si elles ont déjà dit « non » ou « stop » sur un tournage, la plupart me répondent qu’elles ne l’ont jamais fait pour ne pas faire mauvaise impression et être réembauchées ou recommandées.

Ça ne suffit pas de faire signer un contrat de consentement aux acteurs et actrices avant de tourner, il faut vraiment s’assurer que tout le monde soit à l’aise à tout moment. Surtout dans ce genre de situation où les performers ont beaucoup à perdre en disant « non ».

Certaines personnes sont même parfois dans des situations vulnérables et ont besoin d’argent et de ce travail. Et quand ce travail peut être physiquement éprouvant et demande de repousser ses propres limites, cela peut être d’autant plus difficile et dangereux.

Le travail du sexe est souvent montré sous une lumière négative, comme si les travailleuses du sexe faisaient TOUTES leur métier par misère ou parce qu’on les force. Même si cela peut être vrai dans la réalité, j’ai l’impression que vous avez surtout voulu montrer qu’elles peuvent aussi le faire par envie et plaisir. Non ?

Oui, Sofia dit vouloir être actrice porno parce qu’elle aime le sexe, tout simplement. Mais il ne faut pas oublier que l’industrie du porno n’est pas une seule et même chose.

Il y a autant de porno que de gens qui le réalisent. Parfois, les gens y prennent du plaisir, parfois pas du tout. 

Que pensez-vous de la place du plaisir féminin dans le porno mainstream ?

Le plaisir des femmes est central dans le scénario. En tout cas, c’est ce que la femme doit constamment prouver à l’audience. Car le produit final de l’industrie mainstream est là pour satisfaire l’homme ! Donc le plaisir féminin est toujours destiné au spectateur masculin.

Tout est tourné vers ce fantasme et vers une femme qui montre son plaisir, mais qui le fait à travers la satisfaction de son partenaire et de son pénis. C’est la femme qui hurle, qui gémit, qui exprime autant d’émotions que possible pendant que l’homme se tient là comme un robot silencieux. Souvent, on ne voit même pas son visage…

Que pensez-vous de la représentation de la communauté LGBTQI+ dans l’industrie du porno ? Pensez-vous un jour vous pencher sur le sujet ?

La plupart des films lesbiens sont faits pour les hommes hétérosexuels. Je ne connais pas vraiment l’industrie du porno gay. En tout cas, pour l’instant, je me concentre sur les stéréotypes qui concernent la sexualité hétérosexuelle. Je ne pense pas que ce soit à moi de traiter de ce genre de sujet.

Les plateformes de porno sont de plus en plus régulées. Qu’en pensez-vous ? 

Je ne vois pas tellement l’industrie du porno comme étant en danger en tant que plateforme, mais comme devant se soumettre à davantage de restrictions pour réguler les contenus illégaux et abusifs.

Si cela permet de garantir que toutes les personnes présentes dans les vidéos sont des adultes consentants, je pense que c’est une bonne chose. Mais ces nouvelles règles ne sont pas toujours une bonne nouvelle pour les travailleurs et travailleuses du sexe.

Essayer de bannir le sexe d’une application comme OnlyFans, par exemple, est contre-productif : où est-ce que tout ce contenu va aller ? Je pense qu’il vaut mieux que ça soit sur une plateforme safe

Dans le futur, j’espère que les performers détiendront leurs propres contenus. Je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir autant d’hommes dans l’industrie qui ne soient pas des performers et qui se font de l’argent sur le dos des travailleurs et travailleuses du sexe.

Je pense aussi que si on veut voir du porno plus éthique, il va falloir payer pour ce genre de contenus. Car beaucoup de gens prétendent ne pas vouloir soutenir l’industrie du porno telle qu’elle est, mais continuent à regarder des contenus gratuits.

Que pensez-vous de la pression de performance sur les personnes à vulve pour matcher ce qu’elles voient dans le porno ?

Le boulot des femmes dans l’industrie du sexe est encore très objectifiant. Les actrices doivent avoir l’air jolie, cambrer le dos, rentrer le ventre et être passives. Je ne vois pas beaucoup de progrès concernant ces vieux modèles de genre, on a encore du chemin pour s’émanciper de ces visions…

Découvrez les coulisses du porno dans le film Pleasure, en salles depuis le 20 octobre 2021 !


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Les Commentaires

4
Avatar de Rose_Eth
23 octobre 2021 à 18h10
Rose_Eth
"Le porno peut être abusif comme libérateur."
Un type de porno, bien précis et de niche. Pas le mainstream.
0
Voir les 4 commentaires

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