Révélations

COP26 : quand les pays tentent (encore) de miner la lutte contre les énergies fossiles

Des documents destinés au Giec que s’est procurée la chaîne britannique BBC révèlent que plusieurs pays dont l’Arabie saoudite, l’Inde et l’Australie demandent aux experts de l’ONU de minimiser la nécessité de réduire rapidement le recours aux combustibles fossiles.
par LIBERATION
publié le 21 octobre 2021 à 14h02

De quoi promettre une COP26 des plus tendues. A dix jours de l’ouverture de la conférence internationale sur le climat en Ecosse, des documents consultés par l’équipe de journalistes d’investigation de Greenpeace UK, Unearthed, puis transmis à la BBC, montrent qu’un certain nombre d’Etats et d’organisations essaient d’influencer les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) afin de ralentir la lutte contre l’utilisation des combustibles fossiles (gaz, pétrole, charbon). A l’heure où l’on attend d’eux de nouveaux engagements pour limiter le changement climatique, certains poussent en coulisses pour… que le Giec dilue ses conclusions.

Les fichiers que divulgue la BBC sont issus de plus de 32 000 documents, rapports et études envoyés par des gouvernements et des entreprises à l’équipe de scientifiques onusienne chargée de rassembler les connaissances sur l’état du climat, les conséquences à venir et les solutions à apporter. Le processus d’élaboration des travaux du Giec prévoit en effet qu’une fois le rapport écrit, celui-ci est soumis aux décideurs politiques et experts pour aboutir à une version définitive. La très grande majorité des commentaires émis par les gouvernements sont constructifs et cherchent à améliorer le rapport final. Et les scientifiques ne sont pas tenus de prendre tout en compte.

Ces «rapports d’évaluation» sont produits tous les six à sept ans par le Giec, l’organisme des Nations unies chargé d’évaluer le changement climatique. Ils sont ensuite utilisés par les gouvernements pour décider des actions nécessaires. Le rapport à venir, dont la première partie a été publiée en août, sera une contribution cruciale aux négociations de la COP26.

Défiances sur le recours au charbon

Dans la masse de documents, certains Etats cherchent à revenir sur des réalités pourtant prouvées par les scientifiques. Un «lobbying» de tous les instants qui interpelle à moins de deux semaines de la conférence de Glasgow. Pourtant, l’humanité est déjà assez mal barrée. Selon le dernier Production Gap Report de l’ONU, les perspectives de production de charbon des gouvernements conduiraient en 2030 à un dépassement de 240% par rapport aux volumes qui permettraient de limiter le changement climatique à une augmentation de 1,5°C.

La BBC cite notamment le cas d’un haut responsable du gouvernement australien qui rejette la conclusion selon laquelle la fermeture des centrales électriques au charbon est nécessaire, alors que la fin de l’utilisation de cette énergie fossile est l’un des objectifs déclarés de la COP26. L’Australie, dont le Premier ministre est un climato-relativiste notoire, est un exportateur majeur de charbon.

Il y a aussi cet éminent scientifique indien de l’Institut central de recherche sur les mines et les carburants qui entretient des liens étroits avec le gouvernement indien et qui prévient que le charbon restera probablement le pilier de la production d’énergie pendant des décennies en raison des «énormes défis» pour fournir de l’électricité à un prix abordable. Alors que l’Inde est déjà le deuxième consommateur mondial de charbon.

Ces mêmes pays plaident en faveur de technologies émergentes – et donc coûteuse – conçues pour capturer et stocker en permanence le dioxyde de carbone sous terre (le captage-stockage géologique du CO2, dit CSC), dont Emmanuel Macron veut faire un fer de lance industriel à l’horizon 2030. L’Arabie saoudite, la Chine, l’Australie et le Japon – tous grands producteurs ou utilisateurs de combustibles fossiles – ainsi que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (l’Opep) soutiennent que ces technologies CSC pourraient réduire considérablement les émissions de combustibles fossiles des centrales électriques et de certains secteurs industriels. Le projet de rapport onusien admet que le CSC pourrait jouer un rôle à l’avenir, mais qu’il existe des incertitudes quant à sa faisabilité.

L’Arabie saoudite, le plus grand exportateur de pétrole au monde, demande aux scientifiques de l’ONU de supprimer leur conclusion selon laquelle «l’objectif […] doit être de passer rapidement à des sources à zéro carbone et d’éliminer activement les combustibles fossiles». L’Argentine, la Norvège et l’Opep contestent également cette déclaration. La Norvège soutient que les scientifiques de l’ONU devraient permettre la possibilité de recourir aux technologies CSC en tant qu’outil potentiel pour réduire les émissions des combustibles fossiles.

Selon la BBC, le Brésil et l’Argentine, deux des plus grands producteurs de viande bovine et de cultures fourragères, s’opposent fermement aux preuves contenues dans le projet de rapport du Giec selon lesquelles la réduction de la consommation de viande est nécessaire pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

Le soutien financier aux pays pauvres remis en cause

Les révélations de la BBC montrent par ailleurs que certains pays riches remettent en question le fait de soutenir davantage les Etats en développement qui souhaitent se tourner vers des technologies plus vertes, afin d’atteindre les objectifs de réduction d’émissions. De nombreux commentaires suisses visent ainsi à modifier des parties du rapport qui vont en ce sens. Sur ce point, il a pourtant été convenu, lors de la conférence sur le climat de Copenhague, en 2009, que les pays développés fourniraient 100 milliards de dollars par an (86 milliards d’euros) en financement climatique pour les pays en développement d’ici à 2020. Objectif qui n’a pas encore été atteint.

Un certain nombre d’Etat, principalement d’Europe de l’Est (la République tchèque, la Pologne et la Slovaquie), soutiennent enfin que l’ébauche de rapport devrait être plus positive quant au rôle que l’énergie nucléaire dans la réalisation des objectifs climatiques de l’ONU. Ils soutiennent qu’elle peut au contraire aider à la réalisation de la plupart des programmes de développement.

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