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Billet

Non, monsieur Zemmour, pointer une arme sur des journalistes n’est pas une «plaisanterie»

Le Pen-Zemmour : la course de Front à la Présidentielledossier
Pointer une arme vers des journalistes lorsqu’on est candidat à la présidentielle et qu’on promet de s’en prendre à l’audiovisuel public et aux «contre-pouvoirs» est tout sauf une blague. Ne pas le dénoncer est une faute.
par Lilian Alemagna
publié le 21 octobre 2021 à 8h49

«Qu’est-ce qu’on fait de ça ?» Mercredi, on s’est demandé à Libé – comme, on en est sûr, dans beaucoup de rédactions françaises – comment traiter la «plaisanterie» d’Eric Zemmour pointant un fusil militaire (d’exposition, certes, mais une arme quand même) vers les journalistes qui l’accompagnaient mercredi au salon Milipol. «Ça rigole plus là hein… Reculez !» a-t-il lancé, rigolard. Le quasi-candidat d’extrême droite à la présidentielle, condamné pour incitation à la haine raciale, a ensuite traité d’«imbéciles» la ministre chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, et tous ceux qui ne comprendraient pas cette «plaisanterie».

Intimidation

Eric Zemmour n’est plus un journaliste, un simple «polémiste» ou même un écrivain à succès. C’est un candidat à la présidentielle. Il ne l’a pas encore annoncé pour des raisons de pure stratégie politique mais – et c’est notre rôle d’observateurs et critiques de la vie politique de le dire – il est déjà en campagne présidentielle. Celui qui était au centre de cette scène, suivi par une nuée de micros, de caméras et de gratte-papier munis de leur smartphone, envisage la magistrature suprême, donc la possibilité d’être le garant des libertés fondamentales de notre pays.

Ce n’est pas un «histrion» qui ferait une mauvaise blague. C’est un homme qui, il y a quelques jours à Béziers – chez son «ami» Robert Ménard qui défendit jadis la liberté de la presse au nom de Reporters sans frontières – a exposé sa conception d’un «Etat fort» et proposé d’«enlever le pouvoir» aux «contre-pouvoirs». Un homme qui a donc un projet politique de réduction des libertés et d’atteintes à l’équilibre des pouvoirs construits depuis des siècles dans ce pays. Un homme qui a annoncé clairement qu’il s’y attaquera si, demain, il est élu président de la République. Pointer une arme vers des journalistes quand on aspire à cette fonction, ce n’est pas une «plaisanterie», c’est une intimidation. D’autant plus quand on ne cesse de s’en prendre à l’audiovisuel public et qu’on menace de supprimer le Conseil constitutionnel dans un pays où une rédaction, celle de Charlie Hebdo, a été décimée il y a six ans et que, depuis des semaines, des victimes des attentats du 13 novembre 2015 racontent à la barre ce que c’est d’avoir eu des kalachnikovs sous leur nez dans un bain de sang.

Dénoncer l’inacceptable

Certains répondront que parler de cette scène, la montrer, la dénoncer ou la critiquer ne fera qu’alimenter la «machine médiatique» et le discours haineux d’Eric Zemmour. Peut-être. On peut dire qu’on ne participe pas à un emballement. D’accord. Mais si Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo, Marine Le Pen, Emmanuel Macron ou Xavier Bertrand avaient fait la même «blague», n’aurions-nous pas eu des bandeaux sur les chaînes infos dénonçant les «excès» ou la «folie» de tel ou telle ? N’aurions-nous pas fait des papiers pour dénoncer leurs «dérapages» ? Dénoncer l’inacceptable, c’est peut-être risquer de le rendre plus visible. Mais ne pas le faire, c’est accepter et banaliser un fait qui ne peut l’être. Et ce qu’a fait Eric Zemmour mercredi, en pointant une arme sur des journalistes, est inacceptable et dangereux.

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