La tumultueuse vie de Domenica Walter Guillaume, collectionneuse de tableaux et de maris fortunés

Alors que Christie’s s’apprête à disperser, le 21 octobre, la collection Bouret, fils de son dernier amant, retour sur la vie de cette figure parisienne de l’art dont les maris moururent étrangement… et qui essaya a deux reprises de tuer son fils adoptif.
La tumultueuse vie de Domenica Walter Guillaume collectionneuse de tableaux et de maris fortuns
Bettmann

Son nom ne vous dit sans doute pas grand chose (ce n’était d’ailleurs pas le sien), mais le fantôme de Domenica Walter Guillaume plane sur la vente de la collection Bouret, dispersée cette semaine chez Christie’s, à Paris. Les toiles de Nicolas de Staël, les dessins de Pablo Picasso, les oeuvres de Sonia Delaunay et de Paul Bury ont toutes appartenu à Alain Bouret, fils du dernier amant de la dame en question. Qui ne s’est pas toujours appelée Domenica : on la découvre d’abord sous le nom de Juliette Lacaze, employée au vestiaire d’une boîte de nuit de Montparnasse, Le Viking. C’est sans doute là qu’elle rencontre Paul Guillaume, un trentenaire maigrichon passionné d’art et introduit par Apollinaire auprès de tous les artistes qui font le Paris des années 1920, mais aussi auprès des arts africains qui ne manquent pas de le fasciner. Elle a la vingtaine, lui dix ans de plus : dans cet après-guerre où la fête est un nouvel art de vivre, l’aveyronnaise Juliette met le grappin sur le collectionneur, au point de s’installer chez lui au bout d’une semaine, d’abord dans un appartement cossu et recouvert de tableaux du 8ème arrondissement, bientôt avenue Foch, dans un 600m2 où Domenica, comme l’a rebaptisée Guillaume, se sent plus à son aise.

The Granger Coll NY / Aurimages RMN
Vie de luxe parmi les chefs d’oeuvres de la peinture moderne.

Le couple mène grand train, entre visites dans les ateliers d’artistes, vernissages, restaurants élégants et voyages à l’autre bout du monde. C’est d’ailleurs en croisière sur le Normandy que la dame tombe sur un certain Jean Walter : richissime architecte, il a entre autre signés les élégants immeubles du 16e arrondissement qui bordent le bois de Boulogne, un endroit que Juliette alias Domenica connaît sans doute bien.

Et voici un trouple avant l’heure : Paul Guillaume tolère l’affaire de son épouse avec l’architecte fortuné. Mais l’idylle à trois ne dure pas longtemps : Paul Guillaume, le conseiller artistique du richissime américain Paul Barnes, meurt dans des circonstances étranges - une péritonite aigüe, que Domenica soigne avec des pendules et des incantations, sans appeler de médecin - à l’automne 1934.

Ce tableau de Nicolas de Staël est estimé entre 250 000 et 350 000 euros. Crédit photo : Christie's.

Dès lors, les choses se précipitent. Le testament du marchand d’art prévoyait que la collection soit léguée au Musée du Luxembourg, près du Sénat, mais voilà subitement Domenica - qui en a l’usufruit -  enceinte. En réalité, la dame a acheté un bébé à une marchande d’enfants installée rue Pasquier, à Paris. Un mois après le décès de Paul, la naissance « officielle » de Jean-Pierre, alias Paulo, est déclarée aux autorités, mais il faudra attendre six ans pour que l’acte d’adoption soit officialisé.

En pleine guerre, Domenica épouse finalement Jean Walter, dont la fortune a explosé grâce à des affaires dans l’industrie minière. Tant pis si l’époque est grise : Domenica s’amuse, vend des tableaux, en rachètes d’autres, néglige complètement son fils adoptif et ne se gêne pas pour flirter à droite, à gauche, jusqu’à ramener un nouvel homme, un rhumatologue connu sous le nom de Docteur Lacour.

Trio infernal, mort étrange et tentatives d’infanticide.

Bientôt, elle étend son pouvoir sur l’ensemble des affaires de Walter, propulsant carrément son propre frère à la tête de l’entreprise minière et le Docteur Lacour au poste de président de la fondation… L’élégante dame peinte par Derain dans les années folles a tissé sa toile et poussé ses pions. Bientôt, c’est au tour de Walter de mourir dans des conditions curieuses : un accident de voiture, du côté de Dordive. Cela arrive, mais ce qui est moins fréquent, c’est que le retard pris par l’ambulance pour le transporter à l’hôpital. Quand il y arrive, le docteur est mort.

Nous sommes en 1957. Paulo, pris dans les remous de la guerre d’Algérie, perd la seule figure qui ait jamais fait attention à lui. Et lorsqu’il revient en France, un ancien légionnaire lui fait une folle confession : Lacaze, le frère de Domenica, lui aurait demander de le supprimer en échange d’une importante somme d’argent. Cette affaire ayant échoué, Domenica, son frère Lacaze et le Docteur Lacour vont faire accuser Paulo de proxénétisme, payant là encore une call girl qui se fait passer auprès du jeune homme pour une simple coiffeuse. Quand la jeune fille fini par avouer qu’elle a touché plusieurs millions pour faire accuser Paulo, l’affaire Lacaze Walter éclate enfin.

(Original Caption) Center of Lacaze Scandal. Paris: Jean Paul Guillaume, central figure in the scandalous "Lacaze Affair," shows up at Paris' Palace of Justice Jan. 28th to be heard by Judge Jacques Batigne. The scandal got rolling when an attractive prostitute charged that Jean Lacaze, brother of Jean Paul's wealthy mother, had paid her to complain that Jena Paul had been living off her earnings. Jean Paul, adopted son of the widow of millionaire industrialist Paul Walter, would lose his right to inherit the fabulous Walter lead and zinc fortune if he was proven to be of low moral character.Bettmann

Le scandale est énorme, remontant dans les plus haute sphères de l’Etat, jusqu'au bureau d’André Malraux, le tout-puissant ministre de la Culture des dernières années du gaullisme. Mais l’ingénieuse Domenica a plus d’un tour dans son sac, et aussi des tableaux pleins les murs : en échange de l’impunité, elle accepte de céder à vil prix sa collection à l’Etat. Mais sans oublier d’en conserver là encore l’usufruit, jusqu’à sa mort en 1977, après une dernière relation avec Jean Bouret, critique d’art communiste et ex-combattant des brigades internationales pendant la Guerre d’Espagne.

Malveillance, appétit du meurtre et bon goût.

C’est aujourd’hui la collection d’Alain Bouret, qui est dispersé chez Christie’s, mais aussi des pièces de l’ancienne collection de Paul Guillaume et des œuvres acquises par le couple Walter. La vente, unique en son genre, rassemble les plus beaux noms du XXème siècle : Sonia Delaunay, Paul Signac, Picasso, Nicolas de Staël, Derain - qui signa en personne le portrait de la dame -  mais aussi le peintre allemande Gerhard Richter et le sculpteur Paul Bury. Des dizaines de lots à donner le vertige, et sur lesquels plane le fantôme de la veuve noire Domenica Walter, comme une preuve qu’il est des mondes où malveillance, attrait du meurtre et bon goût savent aller de pair.

Retrouvez le catalogue complet de la vente de la collection Alain Bouret sur le site de Christie's.

 Christie's.