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La loi Nyssen anti-fake news va-t-elle s’appliquer pour la présidentielle ?

Election Présidentielle 2022dossier
En vigueur depuis 2019, la législation contre les fausses informations sera bien opérationnelle pour le scrutin présidentiel. L’unique recours intenté jusque-là a pourtant mis en lumière les limites d’application de cette loi.
par Luc Peillon
publié le 16 octobre 2021 à 10h55
Question posée par Domi, le 15 octobre

Alors que le président de la République a installé, le 29 septembre, une commission chargée, entre autres, de «formuler des propositions dans les champs de l’éducation, de la prévention, de la régulation, et de la judiciarisation des entrepreneurs de haine» sur internet, votre question est l’occasion de rappeler qu’un mécanisme a déjà été mis en place, tout récemment, afin de lutter contre les fausses informations en période électorale.

Instaurées par la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, adoptée le 22 décembre 2018, ces nouvelles dispositions, en vigueur depuis 2019, ont déjà été éprouvées lors des élections européennes de mai 2019. Elles seront donc bien applicables lors de la présidentielle de 2022.

Les opinions, parodies et inexactitudes partielles exclues du texte

Parmi les procédures prévues par ce texte : le recours au juge des référés afin de faire cesser la diffusion de certaines fausses informations par «un service de communication au public en ligne». Une possibilité ouverte trois mois avant le premier jour du mois où se tient le scrutin, et qui concerne les seules élections présidentielles, législatives, sénatoriales, européennes et les référendums. Le texte vise précisément des «allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir, […] diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne».

Ces allégations, note le Conseil constitutionnel dans son communiqué du 20 décembre 2018, «ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective. D’autre part, seule la diffusion de telles allégations ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée». Les sages ont néanmoins tenu à préciser que «les allégations ou imputations mises en cause ne sauraient, sans que soit méconnue la liberté d’expression et de communication, justifier une telle mesure que si leur caractère inexact ou trompeur est manifeste. Il en est de même pour le risque d’altération de la sincérité du scrutin, qui doit aussi être manifeste». A charge ensuite pour le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, saisi à la demande du ministère public ou par toute personne ayant intérêt à agir, de prescrire, dans les 48 heures après sa saisine, «toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser [leur] diffusion».

Autre disposition : sur cette même période de trois mois avant le scrutin, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pourra suspendre une chaîne détenue par un Etat étranger, ou sous son influence, en cas de diffusion de fausses informations ou d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Enfin, et au-delà des périodes électorales, les plateformes sont contraintes de mettre en place des mesures – contrôlées par le CSA – contre les fake news.

«Montrer par l’absurde»

Lors de sa première période d’application, pendant les élections européennes de mai 2019, la disposition de la loi concernant le recours au juge des référés n’a été actionnée qu’une seule fois, alors que les magistrats avaient vu les choses en grand : «Nous avions mis en place un dispositif important en cas d’afflux des demandes : trois lignes de magistrats étaient prévues pour statuer sur les cas et une ligne de permanence était ouverte», expliquait, en juin 2019, Cyril Roth, premier vice-président adjoint du tribunal de Paris, interrogé alors par France 24. Contacté par CheckNews, le tribunal de Paris indique qu’aucun autre recours n’a eu lieu depuis, notamment lors des sénatoriales de 2020.

Cette unique action avait été intentée, en mai 2019, par Marie-Pierre Vieu (ex-eurodéputée communiste) et Pierre Ouzoulias (sénateur communiste), contre la société Twitter, afin, selon leurs propos auprès de France 24, de «montrer par l’absurde que ce texte sur les fausses nouvelles ne [servait] à rien». L’affaire concernait un tweet du ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, qui avait posté le message suivant, alors que défilait dans la capitale le traditionnel cortège du 1er mai : «Ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger.» Plusieurs médias, dont CheckNews, avaient expliqué qu’il ne s’agissait pas d’une agression des black blocs, mais d’un groupe de manifestants qui s’était réfugié dans l’établissement. Les auteurs du recours avaient cependant été déboutés, sur la base d’arguments qui ont permis de délimiter le périmètre – très limité – d’application de la loi.

N’importe quoi

Certes, les juges ont considéré, comme les journalistes l’ont écrit, que «le service de réanimation n’a pas fait l’objet d’une attaque par les manifestants qui sont restés à l’extérieur du bâtiment et que le personnel soignant n’a pas été blessé». Et que, dès lors, «le message rédigé par Monsieur Christophe Castaner apparai[ssait] exagéré». Pour autant, «cette exagération port[ait] sur des faits qui, eux, sont réels, à savoir l’intrusion de manifestants dans l’enceinte de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 1er mai 2019, ont estimé les juges. L’information n’étant pas dénuée de tout lien avec des faits réels, la condition selon laquelle l’allégation doit être manifestement inexacte ou trompeuse n’est pas remplie».

Par ailleurs, rappelle la décision, la «diffusion doit être cumulativement massive, artificielle ou automatisée, et délibérée, et opérer sur un service de communication au public en ligne. En particulier, le caractère artificiel ou automatisé de la diffusion renvoie, selon les travaux parlementaires […] aux contenus sponsorisés – par le paiement de tiers chargés d’étendre artificiellement la diffusion de l’information – et aux contenus promus au moyen d’outils automatisés – par le recours à des bots». Un second critère non présent en l’espèce.

Troisième et dernière condition, enfin, toujours absente du dossier : le «risque d’altération de la sincérité du scrutin», les requérants considérant que «les propos du ministre de l’Intérieur vis[aient] à faire croire à un climat de violence pour faire jouer le ressort de la peur et du chaos, ce qui ne peut que perturber la campagne des élections européennes». Or les juges ont estimé que «si le tweet a pu employer des termes exagérés, […] il n’a pas occulté le débat, puisqu’il a été immédiatement contesté, que de nombreux articles de presse écrite ou Internet ont indiqué que les faits ne se sont pas déroulés de la manière dont l’exposait Monsieur Christophe Castaner et que des versions différentes ont surgi, permettant ainsi à chaque électeur de se faire une opinion éclairée, sans risque manifeste de manipulation». En somme, Castaner avait le droit de dire n’importe quoi… puisque la presse avait expliqué qu’il disait n’importe quoi.

Autant de conditions qui risquent effectivement de rendre difficilement applicable cette nouvelle loi.

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