Elections allemandes : comment va se négocier la future coalition
Le parti arrivé en tête dimanche n'est pas nécessairement celui qui dirigera le prochain gouvernement. La formation de la coalition promet des semaines voire des mois de négociations.
Par Lucie Robequain
Après 16 ans de stabilité , l'Allemagne se prépare à de fortes turbulences politiques. D'après les résultats provisoires diffusés dimanche, aucun parti n'a réussi à réunir plus du tiers des votes. Cette situation, qui serait jugée plutôt banale ailleurs en Europe, reste totalement inédite dans l'histoire allemande. Elle rend hautement probable la formation d'un gouvernement de coalition réunissant non pas deux partis, mais trois. Jamais l'Allemagne n'avait connu un tel scénario depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Les négociations qui s'ouvrent sont d'autant plus incertaines que le parti qui aura finalement récolté le plus de voix dimanche -vraisemblablement le SPD - n'est pas nécessairement celui qui dirigera le prochain gouvernement. « Il n'y a pas de prime au leader. C'est la coalition majoritaire qui place le chancelier », résume Alexandre Robinet-Borgomano, expert de l'Allemagne à l'Institut Montaigne. Les candidats à la chancellerie - Olaf Scholz, Annalena Baerbock, Armin Laschet, Christian Lindner, etc. - ne sont d'ailleurs pas ceux qui négocient les futures alliances : à partir de lundi, ce sont les partis qui mèneront la danse.
Nombreuses contradictions
La formation du gouvernement pourrait impliquer des semaines, voire des mois de négociations. Plusieurs scénarios sont sur la table : beaucoup d'experts parient sur une alliance entre le parti social-démocrate, les verts et les libéraux (FDP) au sein d'une coalition baptisée « feux tricolores » compte tenu des couleurs des trois partis. « C'est la plus probable, mais paradoxalement celle qui poserait le plus de problèmes », explique Alexandre Robinet-Borgomano.
C'est en effet elle qui promet le plus de contradictions entre les parties prenantes. Entre le SPD qui prône une taxation accrue des hauts revenus et le FDP qui y est résolument opposé. Entre les Verts qui préconisent 500 milliards d'euros d'investissements sur dix ans et un FDP obsédé par la rigueur budgétaire. Entre le SPD qui soutient le gazoduc Nordstream II et les Verts qui en font un casus belli… ces trois partis n'ont a priori rien pour s'entendre.
Mais qu'importe : il est fort probable que ces contractions soient mises en sourdine au cours des prochaines semaines et que les liens humains tissés entre les partis priment sur la cohérence des programmes.
Un deuxième scénario reviendrait à réunir le SPD, les Verts et la gauche radicale (die Linke). Mais il paraît moins probable dans la mesure où celle-ci n'a recueilli que 5 % des votes ce dimanche, selon les premières estimations. Très populaire à l'est du pays, notamment à Berlin, Die Linke constitue par ailleurs un sérieux repoussoir dans les régions de l'Ouest.
Compte tenu de leur domination ce dimanche, il ne serait pas illogique que la CDU et le SPD, qui rassemblent à eux deux la majorité des voix ou presque, reconstituent le tandem formé dans le gouvernement précédent. Mais ce schéma est rejeté par nombre d'Allemands qui aspirent au changement. Les deux partis eux-mêmes n'en ont aucune envie.
Une coalition minoritaire peu souhaitable
La droite, en revanche, ne dirait pas non à une alliance avec les Verts - un schéma inenvisageable en France. « Ce serait la coalition la plus gouvernable et la plus cohérente. Cela accompagnerait le verdissement en cours au sein de la CDU », pense Alexandre Robinet-Borgomano. Mais les deux formations n'ont réuni dimanche qu'environ 40 % des voix.
Si une coalition minoritaire n'est pas interdite, elle serait peu souhaitable : le pouvoir du parlement est trop important pour qu'un gouvernement prenne le risque de se passer d'une majorité. Ce n'est d'ailleurs jamais arrivé depuis 1945, sauf sur de courtes périodes, à la suite de ruptures de coalition.
VIDEO - Elections : l'Allemagne entre dans une période d'incertitude
Lucie Robequain