Chère ELLE, 

À chaque fois que je rencontre un garçon qui me plaît, et même là avec mon copain actuel, je fouille toute sa vie de A à Z. C’est un besoin plus que fort que moi. J’inspecte méticuleusement ses réseaux sociaux, ses albums photos, son profil LinkedIn, son historique Netflix, j’ai d’ailleurs créé des faux profils pour stalker ses ex… Tout ce que je peux trouver pour me renseigner sur lui, son passé, ce qu’il a fait, celles qu’il a aimées, tout ce qu’il a vécu avant moi. Blessée par d’anciennes relations, je me méfie beaucoup des garçons comme lui, charmant et sympa, avec le visage du gendre idéal. Sur internet comme dans ses tiroirs, j’étais à l'affût du moindre « red flag » dans son CV trop parfait, pour savoir à quoi m’attendre et le cas échéant pour me protéger. Je me suis découvert des talents insoupçonnés d’enquêtrice. Cela fait 2 ans qu'on est ensemble avec Antoine mais j'ai toujours ces pulsions cruelles de scruter ses anciennes photos sur Instagram, de le bombarder de questions sur ses ex, sur sa vie d’avant… pour me rassurer qu’il est bien avec moi et qu’il ne regrette pas le passé. Est-ce normal de ressentir ça ? Je me dis parfois que je suis sado-maso à vivre coincée dans son passé. Mais j’en suis un peu jalouse… Pourrais-je un jour me détacher de ce qu’il a vécu avant moi ? 

Mélanie

Chère Mélanie, 

Merci pour votre témoignage et pour avoir partagé avec confiance vos soucis de cœur. S’il est déjà difficile de faire la paix avec nos mauvaises expériences ou nos ex, celles de notre compagnon peuvent aussi nous hanter. Vouloir se renseigner sur le passé et surtout le passé amoureux de notre partenaire, peut-être source de jalousies rétroactives. On aimerait vivre ce mythe des amants, où chacun est vierge de tout sentiment et de toute relation antérieure, comme le chantait Barbara : « Redis-le, redis-le-moi, Que je suis ta première fois, Viens, et fais-moi le serment, Qu'avant moi, y avait pas d'avant », (À chaque fois, 1966). Céline Vendé, thérapeute de couple, Aurore-Malet Karas, docteure en neurosciences et sexologue, et Raphaëlle de Foucauld, thérapeute conjugale spécialisée en psychologie positive, nous éclairent sur ce phénomène instinctif, un brin douloureux, de vouloir fouiller le passé de son partenaire. 

La curiosité, un instinct primitif

« Il faut distinguer la curiosité saine en début de relation, quand on veut créer une intimité et se construire sur une base solide, de la curiosité un peu plus compliquée sur le passé amoureux et sexuel de l'autre », nuance Céline Vendé, sexologue à Bordeaux. Questionner l’autre sur son enfance, sa madeleine de Proust, ses anecdotes d’étudiant ou ses plus beaux voyages, est ainsi tout à fait sain et naturel. S’intéresser trop ardemment aux romances passées de notre compagnon fait partie des questions qu’il vaut mieux éviter. « Il faut être très prudent sur ce qu'on communique de notre passé amoureux à l'autre, met en garde la thérapeute conjugale. Demander trop de détails ou attendre que l’autre parle négativement de ses ex, va nous pousser à biaiser notre personnalité pour être l'antithèse de ses ex, au lieu d’être nous-mêmes ».

Aurore-Malet Karas, docteure en neurosciences et sexologue, relativise cette curiosité, « vouloir se renseigner sur le passé de l'autre est tout à fait normal pour savoir si on est compatible, avec ses valeurs et ses choix de vie ». À la lumière de « l’évolution » et de la « psychologie évolutive », elle souligne qu’évaluer notre compagnon et son curriculum vitae est un réflexe vieux… de plusieurs milliers d’années ! « À l'époque de Cro-Magnon on mettait littéralement nos peaux sur la table lorsqu'on s'engageait sexuellement avec un partenaire, rappelle la neuroscientifique. Il y avait ce besoin d'évaluer le risque de savoir s'il va aller ailleurs ou s’il va rester pour nous protéger. Bien qu’on ait évolué, on est toujours la même espèce depuis des millénaires », sourit la sexologue. Qu’il s’agisse d’une relation où l’on ne se projette pas ou d’un coup de foudre absolu, « le cerveau encode l'intensité de la relation de la même manière et va quand même vouloir connaître le passé de l'autre », détaille-t-elle.

Néanmoins, cet instinct primitif de connaître le passé de l’autre intéresse davantage une moitié de l’humanité. « Dès la trentaine, pour les femmes qui ont un désir d'enfant, c’est crucial de ne pas perdre de temps et donc de se renseigner sur le passé de leur conjoint », souligne Aurore-Malet Karas. Parallèlement, c’est « typiquement féminin de vouloir savoir où l’on se situe dans le paysage interne de l'autre, savoir si on va supplanter les anciennes relations, pour être la bonne ». Comme le répète en boucle Dua Lipa, dans son tube « Be The One », on aimerait être « l’unique » de notre moitié, qu’on soit aussi importante à ses yeux, qu’elle l’est pour nous.

Une fouille numérique pas toujours bienheureuse 

Si Homo Habilis et Homo Erectus partageaient nos angoisses et doutes amoureux, l’essor d’Internet nous a permis de jouer les archéologues et de fouiller le passé de l’autre. Instagram, Facebook, Tumblr, Twitter… au fil de nos recherches, notre historique dresse le portrait robot de notre compagnon et de sa vie antérieure. « Aujourd'hui avec les réseaux sociaux on a un accès direct aux informations actuelles et passées de l'autre, mais ce n’est pas parce que c'est facile qu'on doit absolument le faire », rappelle la thérapeute de couple Céline Vendé. Le risque majeur ? « Voir des photos avec une ancienne relation peut créer une jalousie rétroactive, souligne la sexologue. Déjà que la jalousie n'est pas évidente à gérer dans le présent, mais dans le passé c'est encore plus compliqué ».

En creusant dans le passé de l’autre et en lui demandant des comptes sur ce qu’il a vécu ou aimé, « on souhaite se réassurer par rapport aux précédentes ex et donc nous valoriser », explique Aurore Malet-Karas. Mais cela induit le risque de la comparaison imaginaire, porte ouverte aux complexes et malaises. La sexologue et docteure en neurosciences rappelle que « vouloir combler tous les blancs dans le passé de l'autre, s'approprier son passé, risque de l’étouffer. Il faut accepter qu'on ne peut pas connaître à 100% l'autre, et même nous-mêmes, on ne se connaît pas entièrement, on se découvre tous les jours dans de nouvelles situations. »

Il faut alors se demander pourquoi on cherche tant à connaître son passé, et surtout, « se demander si ça nous fait du bien ou pas de creuser autant, car c’est un cercle vicieux », met en garde Raphaëlle de Foucauld, thérapeute conjugale et familiale. Elle rappelle que le couple est « une personne à part entière » et non la fusion d’un binôme. Chacun reste maître de ce qu’il partage et donc de son jardin secret. « Exiger des réassurances que notre partenaire est plus heureux maintenant que dans le passé, est une source de stress supplémentaire et de comparaison permanente, souligne la sexothérapeute. C’est illusoire de penser que ses réponses vont combler notre manque affectif. » Créatrice de jeux de psychologie positive comme « 2 minutes mon amour » et du podcast « Bulle de bonheur », elle recommande de délaisser les rancœurs anciennes qui blessent pour « plutôt savourer la joie d'être avec cette personne dans le moment présent en construisant dans la confiance et le bonheur ».