Les cheveux de riche sont-ils encore un sujet de société ?

Cette semaine, le Concierge Masqué peigne la girafe en explorant un monde capillaire masculin plus répandu qu’on ne le pense : le cheveu-de-riche. Bouclettes et rebiquettes : cette mise à nuque semble toucher les séniors très aisés, mais pas que…
Portrait de Flavio Briatore en 2002
Flavio Briatore dans sa maison dans le comté d'Oxfordshire en mars 2002, Royaume-Uni.Gianni GIANSANTI/Gamma-Rapho via Getty Images

Voilà quelques jours, j’étais de mariage. Pompes et discours de circonstance. Un des amis de l’épousé y alla de ses anecdotes genre comment-qu’on-s’est-rencontré, citant, notamment, sa manière de se vêtir et ses « cheveux de riche ». Tiens, je croyais l’expression plaquée sur la tête des séniors zaisés et des vieux beaux calamistrés. Du tout, corrigea ma voisine de table, très au fait de la question. Y a une page Facebook et un compte Instagram. Même que c’est un compte officiel ! Mazette. Rien de renversant en fait -20 publications et 31K d’abonnés. Pas de quoi se faire des cheveux.  Bref, on y voit, shootés de dos, des messieurs vaquant à des occupations diverses et primordiales (shopping, farniente) et dont les photos sont accompagnées d’un récit moqueur, un peu à la manière du Sciuraglam milanais mais au masculin. Point commun : tous sont auréolés d’une chevelure poivre et sel tirant fort sur l’argenté, voire le blanc neigeux, soigneusement peignée en arrière, voire subtilement gominée-gelée-pommadée et libérant sur la nuque un bouillonnement de bouclettes, frisettes, ondulettes et autres rebiquettes. La rebique est essentielle dans la composante capillaire du cheveu-de-riche (CDR). Sans rebiques, le CDR fait pauvre. Cousin du léonin, le CDR pose son homme dans une sphère supposée de pouvoir et de séduction avec compte en banque bien garni et accessoires afférents – cigares, supercar, blonde fortement poitrinée ou régulière fortement botoxée.

Instagram content

This content can also be viewed on the site it originates from.

Sur le terrain, le CDR n’est pas une nouveauté. Il y a beau jeu que certains en jouent pour s’imposer en icônes du style. Ainsi du fameux Charles Schumann, bellâtre munichois, longtemps figure de la pub pour Baldessarini, la marque tailleur haut-de-gamme de Hugo Boss. À Paris, l’un des pionniers du CDR fut le journaliste Jean-Pierre de Lucovich, pilier du magazine Vogue Hommes et inventeur des up and down. Ce qui ne rajeunit personne. En Italie, royaume des milliardaires et de la jet-set vrombissante, les hérauts du CDR – capelli da ricchi – furent Gianni Agnelli, Luca di Montezemolo et, dans une moindre mesure, Flavio Briatore. Ce qui, pour ce dernier, ne plaide pas en faveur d’un ennoblissement du genre. Dans le monde feutré de la déco parisienne, le CDR est un attribut volontiers usité de la part d’une frange d’interior designers brûlant d’occuper la place de feu François Catroux. Ou de copier Patrick Frey. Quant au champ politique, il est trusté avec superbe par Dominique de Villepin. À ce titre, taillant le cheveu de riche en quatre avec quelques fins observateurs proches du dossier, il ressort de cette vanité un brin reliée au mythe de Samson, que pour des motifs similaires de pouvoir, les cheveux peuvent virer de bord. Homme politique du centre auto-revendiqué, Olivier Stirn arborait des cheveux de riche quand il était sous-ministre giscardien, puis bouclés folâtres quand il fut sous-ministre mitterandien. Ancien maire de Vire, ce qui lui valut quelques surnoms railleurs, Stirn est toujours de ce monde, octogénaire et, selon des photos visibles en ligne, coiffé comme une vieille écrivaine lesbienne américaine. Ou Cédric Villani, au choix. Arrivé au pouvoir, François Hollande déclara tout de go « j’aime pas les riches », sans doute jaloux du capital capillaire d’une caste qui le regardait de haut. Faut dire que l’ex-président n’était pas né coiffé. Business justement : feu Jean-Claude Decaux arborera sur le tard des CDR à la blancheur impeccable. Ses deux fils, héritiers de l’empire, s’en approchent. Si son frère Frédéric ne se départ pas d’une tignasse-signature très Head&Shoulders je-fais-ce-que-je-veux-avec-mes cheveux, Charles Beigbeder arbore une crinière maîtrisée ultra CDR. À son image, toute une flopée d’ex-minets quadras très concernés par leurs cheveux, se préparent à entrer dans le monde fabuleux du cheveu-de-riche. Ils ont déjà la panoplie vestimentaire – pull noué sur les épaules, svp –, et certains devancent l’appel en se faisant discrètement rincer chez leur coiffeur de quartier. Car arborer des CDR réclame tout un entretien. Trop courts, ça fait caniche de concours. Trop longs, ça fait vieux pêcheur de corail corse ou pire, gratteur de guitare en terrasse à Arles. Trop ternes, ça dénonce une avarice en produits et une carence en vitamines, donc un laisser-aller inacceptable. Trop brillants, ça fait danseur de tango animant une maison de retraite à Levallois-Perret. Si le CDR exige une belle densité et supporte avec élégance crans et ondulations souples, il s’accommode paradoxalement d’une calvitie naissante. Rien d’infâmant si c’est assumé. En vrai, le CDR ne vaut pas tripette à base d’implants.

L’autre infâmie du CDR, celle qui fiche tout par terre, c’est la teinture. On pensait l’homme moderne assumant cheveux blanc, tempes silver et autres signaux daddy mature et nous voilà confrontés à des visions régécolor indigne de l’époque. Si il se refreine encore pour ne pas basculer dans le CDR, Emmanuel Macron semble avoir un rapport hasardeux avec le reflet capillaire (on ne parle pas de teinture). Il faut dire que l’exemple de Jack Lang a de quoi terroriser une entière population. Homme de gauche, il a toujours arboré une chevelure faussement indomptée. Grisonnant timidement, il n’a jamais pu accéder au rang de CDR, trop de droite, évidemment. Solution, la teinture. Noir corbeau. En laissant échapper sur les tempes une méchounette blanche, histoire de faire croire que, comme le montre une récente photo postée sur Twitter où il pose en compagnie de Bilal Hassani pas au mieux de sa forme capillaire et vestimentaire. En revanche, coiffé bouffant, Jack Lang devrait aussi se teindre les sourcils. Comme le sourcil de riche n’existe pas, il peut foncer…

X content

This content can also be viewed on the site it originates from.

Pour être crédible et ne pas salir les cols de chemises, de polos et de vestes en lin, le CDR doit être entretenu, groomé, souple, brillant. Tout un boulot. Qui prend un temps fou en rendez-vous réguliers chez le merlan des beaux quartiers. À la maison, il faut des peignes, des brosses, des lotions, des crèmes, des onguents, des shampoings adaptés, des baumes démêlants. Le compte cheveux-de-riche ne montre que des hommes portant ni barbe ni moustache. Pourtant, il existe aussi des barbes de riches. Ce sera pour une prochaine chronique. En attendant, on compte ses cheveux pour savoir si on est riche. Ou chauve.