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La semaine de Philippe Labro : Deux jeunes dans le vent, une génération asphyxiée

[ELSA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

MERCREDI 15 SEPTEMBRE

Parlons un peu de la jeunesse. Essayons, si possible, de laisser derrière nous anniversaires, commémorations, cérémonies diverses. Nous avons revécu les heures fatales du 11 septembre 2001 – avec leurs multiples conséquences. Nous avons assisté à un long, riche et justifié hommage à Jean-Paul Belmondo. Oublions la curieuse moto de Johnny Hallyday inaugurée par une candidate à la présidence de la République. Attendons-nous, ce week-end, aux Journées du patrimoine et aux premiers résultats de la Ligue des champions de football. Et suivons, bien sûr, le procès du 13-Novembre ou celui, assez insignifiant, de Benalla.

Face à une telle actualité, il naît l’envie de revenir sur le spectacle offert par deux jeunes filles, prénommées Emma et Leylah, la première âgée de 18 ans, la seconde de 19. Elles ont enchanté  – que dis-je, «enchanté» ? –, elles ont subjugué le public de l’US Open de tennis, à New York, lors de la finale dames. Emma Raducanu l’a emporté par 6-4, 6-3, un score qui aura l’air facile sur le papier, avec le temps, mais qui ne reflète pas l’éblouissante bagarre entre ces deux inconnues.

Ce qui a le plus épaté les spécialistes comme le grand public, en dehors de leur talent, c’est la façon dont ces deux «teenagers» ont maîtrisé l’événement. Leur faculté de s’adapter à la tension d’un grand tournoi, comme si elles en étaient à leur énième finale. Une maturité, un sang-froid, la fameuse «grace under pressure» qui inspirait Ernest Hemingway : être capable de grâce sous la pression. Il faut noter qu’Emma Raducanu, citoyenne britannique, a des origines roumaines et chinoises, et que Leylah Fernandez, citoyenne canadienne, est issue d’un couple équatorien (le père) et philippin (la mère) – en d’autres termes, elles sont les symboles d’un monde en mutation, diversifié, multiple et complexe. S’arrêter ainsi sur ces deux jeunes femmes conduit à s’intéresser à un sondage récent sur la jeunesse et son avenir. 40 000 participants de 18 à 25 ans ont été interrogés.

C’est une respectable revue scientifique, le Lancet Planetary Health, qui a pris l’initiative de poser toutes sortes de questions. Les  résultats ne sont pas réjouissants. 75 % des sondés utilisent l’adjectif  «effrayant». Incendies, ouragans, inon­dations, disparition des espèces... Com­ment voulez-vous que cette jeunesse surinformée conserve un peu de sérénité ? Pour 56 % des jeunes, l’Humanité est «condamnée». On voit bien, à travers cette étude, à quel point la génération des Emma et des Leylah prend au sérieux, voire au tragique, le dérèglement climatique général. A quel point la crise mondiale du Covid-19 a sans doute renforcé son anxiété. La pandémie venant s’ajouter au changement de climat ? Deux grenades dégoupillées qui explosent dans la vision qu’ont les jeunes de leurs lendemains.

Cette jeunesse d’aujourd’hui sait, néanmoins, qu’elle possède précisément la richesse de son âge, la promesse d’un avenir personnel, des amours, des réussites, des découvertes… Elle a seulement envie et besoin que le monde des responsables, les «adultes», les «vieux», prenne ses angoisses en compte. Ça vient, apparemment, c’est encore lent et pas assez unanime, mais ça vient, forcément. Qui a envie de se fracasser sur le mur du déni et de l’ignorance aveugle à la Trump ? Le désespoir n’est pas une option. Se battre est la seule.

C’était cela, le sens caché de ces deux gamines sur le court de New York, l’autre jour. Post-scriptum littéraire : lire, cette semaine, le passionnant livre de Sébastien Le Fol, Reste à ta place…! (éd. Albin Michel). Un document brillant, vivant, agrémenté de nombreux témoignages sur le «mépris» qui, selon l’auteur, un journaliste et directeur de rédaction, est un des maux de la société française. A lire, particulièrement en cette saison de pré-présidentielle.

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