Peut-on objectiver l'influence des comportements racistes sur les performances des footballeurs ? Trois économistes italiens (*) ont saisi l'occasion des matches à huis clos consécutifs à la pandémie de Covid-19 en Serie A, entre juin 2020 et la fin de la saison dernière, pour mesurer l'impact des injures racistes sur les joueurs africains. Pour ce faire, ils ont comparé leurs performances en présence et en l'absence de public et ils ont effectué le même travail avec d'autres groupes de joueurs constitués selon leur origine géographique : Italie, Union européenne, Europe hors UE et Amérique du Sud. « Les résultats font froid dans le dos », résume l'économiste du sport Bastien Drut qui a relayé cette étude en France.
Les joueurs africains plus performants sans public
La performance de tous les groupes de joueurs, mesurée avant et après juin 2020, a été calculée à partir de critères comme le nombre de passes, de dribbles, de passes décisives et de buts. Conclusion : si le niveau de performance lors des matches à huis clos ne présente aucune variation significative pour les groupes témoins par rapport à celui des matches avec public, la différence est à l'inverse marquée pour les Africains. Ils surperforment en l'absence de public.
Ce n'est pas tout : l'étude montre que la performance des joueurs africains est d'autant plus élevée à huis clos qu'avec du public que leurs équipes ont été la cible d'incidents racistes lors de la première partie de la saison (avant la suspension de la Serie A en mars 2020). « Ce qui corrobore l'hypothèse selon laquelle le racisme joue un rôle important dans les différences de performances (observées entre les groupes de joueurs) », relève l'étude.
« Lorsqu'une part importante de joueurs ne peut pas exprimer son plein potentiel, le "beau jeu" devient moins beau et moins attrayant »
S'il y a consensus dans le football pour lutter contre toutes les formes de discrimination, la mesure de l'impact du racisme sur les joueurs ciblés n'avait jamais été faite. Conclusion des auteurs de l'étude, des économistes, rappelons-le : si l'intimidation à caractère raciste dans un stade impacte le niveau de la performance sportive, n'en est-il pas de même du harcèlement racial sur la productivité de tout agent économique ?
« Nos résultats s'inscrivent dans un cadre plus large qui s'étend au-delà du monde du sport, où les individus qui appartiennent à des groupes historiquement discriminés obtiennent de moins bons résultats que leurs pairs lorsque la tâche se déroule dans un environnement où un comportement discriminatoire se produit manifestement », écrivent-ils.
Pour s'en tenir au football, l'enjeu de la lutte contre le racisme dans les stades est tout sauf anecdotique, toutes considérations morales mises à part. Les auteurs soulignent en effet que « le racisme peut causer un préjudice économique à l'industrie du football. Le football, comme d'autres sports, prospère grâce aux fans du monde entier qui cherchent à regarder et à imiter des joueurs extraordinaires qui performent au-delà de la normale. Lorsqu'une part importante de joueurs ne peut pas exprimer son plein potentiel, le "beau jeu" devient moins beau et moins attrayant. » L'argument peut-il porter auprès des auteurs de cris de singe et autres injures racistes dans les stades d'Italie et d'ailleurs ?