Tout dans la déco de la salle commune de la Maison de Marion, à Orsay dans l’Essonne, est fait pour mettre à l’aise : canapés confortables ornés de coussins, grande table, chaises hautes, couleurs vives et machine à café. « Nous l’avons vraiment pensée comme un foyer, une véritable maison », explique Nora Fraisse, sa fondatrice. Cet endroit, elle y tient : c’est la concrétisation d’une mobilisation sans faille depuis la création de l’association Marion la main tendue, en 2014. « Marion », en hommage à sa fille, victime de harcèlement scolaire, qui s’est suicidée au domicile familial, le 13 février 2013. Depuis, Nora Fraisse se bat. « La vie ne m’a pas épargnée, mais j’ai choisi de vivre, déclare cette blonde à lunettes au débit de mitraillette. Je crois que j’ai une mission ! » 

Aujourd’hui, sa détermination paye : elle est régulièrement sollicitée par l’Éducation nationale, qui lui octroie aussi des subventions. Nora Fraisse siège ainsi comme membre permanent du comité d’experts chargé du projet  pHARe, un programme de lutte contre le harcèlement à l’école, à l’initiative du ministère. À l’essai dans plusieurs académies, il a été étendu à l’échelle nationale à la rentrée. « Je suis très satisfaite de ce plan, se félicite Nora Fraisse. Cela a pris du temps, mais c’est un programme exigeant, ses créateurs ont compris qu’une approche globale et systémique du harcèlement scolaire était nécessaire. » 

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Une trentaine de patients, de six à 57 ans  

Retour à la salle commune. David* a justement rendez-vous. Cet adolescent gringalet, plutôt discret, avec ses cheveux qui lui tombent sur les yeux, doit retrouver Francesca, la psychologue qui le suit depuis son arrivée à la Maison. On le sent plutôt décontracté, habitué à cet environnement désormais familier. « Sur place, nous sommes une petite équipe, raconte Manon, l’autre psychologue salariée de l’association. Même lorsque ce n’est pas nous qui la recevons, nous faisons en sorte que chaque personne accompagnée connaisse tous les occupants des bureaux et se sente à l’aise avec eux. » 

David disparaît avec Francesca dans une petite salle avec une banquette, voisine du bureau de Nora Fraisse. En plus de la salle commune, la maison de Marion compte une salle de réunion, le bureau des psychologues, celui de la fondatrice, une salle pour les têtes-à-têtes et la réception. C’est d’ailleurs ici que tout commence. À la réception, Morellya, 42 ans, est à pied d'œuvre. C’est elle le premier filtre, la première interlocutrice des victimes de harcèlement, ou de leurs proches, qui téléphonent ou envoient un mail pour demander de l’aide. « La plupart du temps, ce sont les parents qui font la démarche, explique Nora Fraisse. Après avoir récolté les informations principales, nous leur demandons de détailler leur situation dans un mail assez factuel, et nous les recontactons, soit pour les réorienter, soit pour les prendre en charge. » 

Actuellement, une trentaine de patients âgés de six à 57 ans sont suivis par Manon et Francesca.  

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« On ne savait pas comment se battre » 

En plus des écoliers, collégiens et lycéens, des « anciens harcelés », aujourd’hui adultes, et des parents de victimes peuvent également être accompagnés.  

Zoé*, six ans, et ses deux parents sont encore suivis psychologiquement par l’association. En 2019, la petite fille a été victime de violences et de harcèlement moral et scolaire de la part de camarades de classe. « La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est quand elle est rentrée à la maison avec un œil au beurre au noir, se souvient son père, Christophe. Le personnel scolaire nous a accusés de la battre. Là on s’est dit “stop”, il fallait que ça s’arrête. » Le couple décide de porter plainte contre l’Éducation nationale, le 27 mai 2021. « On a relevé des traces de strangulation, des coups…, énumère Christophe. Nous avons été reçus au commissariat, mais il a fallu que notre avocat intervienne pour que nous puissions porter plainte. »  

Dans cette épreuve, les parents de Zoé cherchent à être accompagnés. « On était complètement démunis, on ne savait pas comment se battre, explique Christophe. Le discours a vraiment changé à partir du moment où l’équipe pédagogique a su que nous étions suivis par Marion la main tendue. À chaque correspondance que j’avais avec l’école je mettais l’association en copie. » Cette dernière décide de faire un signalement auprès de l’académie de Versailles. La directrice de l’école de Zoé est mise en pré-retraite et la maîtresse, mutée. « Quand on nous a parlé de Marion la main tendue, au début j’ai dit “ce n’est qu’une association de plus”. Mais j’ai tout de suite eu une écoute, c’est ce qui a été le plus important. [...] Cela faisait plus de vingt ans que je n’avais pas versé une larme. Quand j’appelais l’association, j’étais en pleurs, ça a été une période très noire. Mais pour ma fille, je ferais tout. » Aujourd’hui, Zoé semble mieux dans ses baskets. Ses parents l’ont changée d’établissement et assurent que sa rentrée s’est « relativement bien passée ».  

Forte de ses rencontres et de ses expériences, Nora Fraisse espère pouvoir ouvrir d’autres Maisons de Marion partout sur le territoire. La fondatrice propose également, depuis la rentrée 2021, une assurance scolaire inédite, la protection Kolibri (qui comprend une protection juridique, un accompagnement thérapeutique, prend en charge les frais de cours à domicile pour les enfants victimes de phobie scolaire et un « nettoyage des réseaux sociaux »), et a signé une bande dessinée sur le sujet, « Camélia », en librairie le 29 septembre. 

*Les prénoms ont été modifiés