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MC Tenzin, le pape du rap tibétain

Le rappeur de 36 ans, de son vrai nom Tenzin Dhondup, est l’un des pionniers de la scène hip-hop qui émerge au Tibet.
par Madeleine de Blic et AFP
publié le 23 juin 2021 à 18h34

«Record mondial : je suis peut-être le rappeur né à la plus haute altitude du monde.» Dans sa biographie publiée sur la plateforme musicale SoundCloud, celui qui se présente comme «le parrain du rap tibétain» revendique fièrement être né au pied du mont Everest, à près de 4 300 mètres d’altitude.

Dans ses morceaux, Mc Tenzin utilise une voix autotunée pour déclamer des textes avec de nombreuses références religieuses sur des mélodies chantantes, alliant parfois jusqu’à cinq langues différentes. «Je suis un peu différent» des rappeurs occidentaux, explique-t-il à l’AFP en expliquant qu’il «essaie de créer une atmosphère positive».

Le rappeur de 36 ans connaît un certain succès dans cette région coincée entre tradition bouddhiste et régime communiste, où le rap est parfois considéré comme subversif par les dirigeants chinois. Il a sorti plus de 60 morceaux et un album depuis le début de sa carrière, en 2008.

Eminem et 50 Cent

Tenzin Dhondup (son vrai nom) est originaire du village de Pasum, dans l’Himalaya. Il y a découvert le rap à l’adolescence grâce à des stars américaines comme Eminem ou 50 Cent : «Je les écoutais tellement que j’en avais mal aux oreilles.»

Alors que ses parents comptaient sur lui pour poursuivre la tradition de la polyandrie fraternelle, une pratique désormais interdite qui voit plusieurs frères épouser la même femme, MC Tenzin a quitté son village pour se rendre dans la capitale tibétaine. Arrivé à Lhassa, il s’est mis à travailler dans une agence de voyages dans laquelle il dormait la nuit. «C’était très dur au début», raconte-t-il à l’AFP dans un bar presque vide de la capitale.

«Un soir, avec un copain, on s’est mis à faire de la musique entre deux bières», et puis sa carrière a démarré. MC Tenzin rappe en tibétain, en chinois, en anglais et en népalais. Il se produit aussi devant ses fans sur Douyin, la version chinoise de l’application TikTok.

Le chanteur a cependant du mal à vivre de son art, arrondit ses fins de mois en travaillant comme guide touristique, sans l’aide de ses parents, «qui ne comprennent rien au rap».

Emergence d’une scène hip-hop au Tibet

Depuis une dizaine d’années, une scène hip-hop s’est constituée au Tibet autour de pionniers comme MC Tenzin. Pour les fans locaux, le flux vocal des chants bouddhistes se marie très bien avec le rythme du rap.

En 2019, l’université de Georgetown aux Etats-Unis publie une étude, résultat d’entretiens avec des dizaines de musiciens. Elle observe que certains artistes expriment leur culture «en s’en prenant au stéréotype du Tibétain arriéré» tout en «revendiquant l’égalité ethnique».

Influencés par leur culture bouddhiste, la plupart d’entre eux s’en tiennent à diffuser des messages positifs et une imagerie classique du Tibet, à base de temples ou des moines en robe rouge foncé. Mais leurs textes en tibétain, avec leurs connotations religieuses, peuvent aussi véhiculer une résistance subtile à la pression assimilatrice des autorités chinoises. «Les artistes ne peuvent pas s’exprimer clairement. Alors ils font passer leur message via leur manière de s’exprimer, de s’habiller, ou le choix des thèmes de leurs chansons», commente Dechen Pemba, du site internet High Peaks Pure Earth, qui traduit en anglais des textes de rap tibétain. La plupart des rappeurs, y compris MC Tenzin, évitent toutefois soigneusement toute contestation sociale ou politique.

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