ECONOMIEVoit-on trop de pubs pour les sites de paris sportifs pendant l'Euro 2021 ?

Euro 2021 : Les pubs pour les sites de paris sportifs, un matraquage et des codes qui posent problème ?

ECONOMIEEvènement sportif ultra-populaire, l’Euro de football est une aubaine à ne pas manquer pour les sites de paris sportifs, qui inondent l’espace publicitaire pour attirer de nouveaux joueurs. Au point de générer un certain rejet
Les sites de paris en ligne profitent de l'Euro pour attirer de nouveaux consommateurs.
Les sites de paris en ligne profitent de l'Euro pour attirer de nouveaux consommateurs. - Joël SAGET / AFP / AFP
X. R.

X. R.

L'essentiel

  • Les sites de paris sportifs profitent de l'Euro pour attirer de nouveaux joueurs.
  • La concurrence entre les opérateurs conduit à une saturation de l'espace publicitaire à la télévision ou dans les transports.
  • Ces publicités visent en toute conscience un public jeune, fragile, et prompt à s'endetter dans l'espoir d'un gros gain.

Si vous êtes passés à côté, bravo champion. Vous avez allumé la télé pile au coup d’envoi, zappé pendant la pub, suspendu votre abonnement à votre YouTubeur préféré, privilégié le vélo au métro et même pas lu L’Equipe, mardi matin, avec son bandeau en Une tout en discrétion. Vous n’avez donc pas vu une seule pub pour un site de paris sportifs, et vous êtes un miraculé.

Car depuis quelques semaines, Betclic, Winamax et autres Unibet ont envahi l’espace publicitaire, profitant de l’engouement pour l’Euro de football. Un moment idéal pour recruter de nouveaux joueurs, comme chaque grande compétition. Le record de mises engagées sur un match en France est d’ailleurs détenu par la finale de la Coupe du monde 2018 France-Croatie : 67 millions d’euros. Avec 24 équipes et l’arrivée de petites nations, les surprises pourraient être plus nombreuses lors de cet Euro, et avec elles les occasions de faire sauter la banque en pariant bien.

« Il faudrait peut-être encadrer le volume publicitaire »

C’est en tout cas le discours des opérateurs pour séduire une nouvelle catégorie de joueurs, apparue pendant la pandémie : des supporters qui jouent avec le cœur, occasionnant une hausse de la mise moyenne de 25 %, selon un analyste spécialisé. Tous les moyens sont bons pour les attirer en premier sur sa plateforme. En plus des pubs standards, en forte rotation à l’heure des matchs, plusieurs journalistes stars font désormais la promotion du pari sportif, contribuant à banaliser l’idée que le pari fait partie intégrante du sport. Certains YouTubeurs, suivis par une communauté forte et engagée qui a souvent une impression de proximité avec le vidéaste, sont également affiliés depuis plusieurs mois à des opérateurs qui les font bénéficier de codes spéciaux.

Depuis l’ouverture du marché à la concurrence le 12 mai 2010, les sites de paris sportifs sont toujours plus nombreux. On en compte aujourd’hui une quinzaine, légaux, en France. Tous essaient de se démarquer, conduisant à cette saturation de l’espace publicitaire en période de grands évènements sportifs. L’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) ne peut réguler ces campagnes que depuis novembre 2020. Or, selon sa présidente Isabelle Falque-Pierrotin, prohiber la publicité pour ces sites avec une nouvelle loi Evin entraînerait le développement d’une « offre illégale ». Mais « il faut peut-être encadrer le volume publicitaire » pour éviter le trop-plein, propose-t-elle à l’AFP. « Il y a des pays où on ne peut pas diffuser les publicités pour les paris sportifs avant une certaine heure, ce qui permet d’éviter que les mineurs les voient. »

Tags, malbouffe et autres codes des jeunes de cités

Cela ferait du bien pour éviter d’avoir la nausée avant même le coup d’envoi, après cinq spots similaires, dont un placé entre les hymnes et le coup de sifflet de l’arbitre. Car ce qui interroge, au-delà de la saturation visuelle, c’est l’uniformité du message envoyé. Isabelle Falque-Perrotin a beau vouloir « laisser place à l’audace, au deuxième degré », l’ANJ a dû sanctionner Winamax pour sa campagne « le Roi de la Jungle », au motif qu’elle « suggère que jouer contribue à la réussite sociale ». Malgré nos sollicitations, la direction de Winamax n’a pas souhaité répondre à nos questions.

La nouvelle pub de l’opérateur, « Tout pour la daronne », n’est guère plus subtile. Dans ces publicités, les codes sont identiques : musique urbaine, couloirs tagués et mal éclairés, ambiance néon, canapé défoncé à force d’y passer des heures, malbouffe type pizza ou kebab, et un pote en faire-valoir du parieur, jeune issu des minorités, qui accède soudain à la richesse et au respect de tout un quartier. Le pari sportif n’est plus qu’un moyen de partir en vacances à Palavas ; il permet carrément de « mettre la daronne à l’abri ».

Une cible fragile

Le fait de cibler les jeunes des quartiers, souvent fragiles économiquement, pose un réel problème. Selon l’Observatoire des Jeux (ODJ), 70% des parieurs auraient moins de 34 ans en France, et deux tiers des mises seraient pariées par des joueurs « appartenant à des milieux sociaux modestes, ayant un niveau d’éducation et des revenus inférieurs à ceux des autres joueurs ». « Les addicts aux paris sportifs ont un revenu moyen inférieur aux addicts des autres jeux », confirme Armelle Achour, présidente de SOS Joueurs. Or, « ces publicités donnent l’illusion à ces jeunes qu’ils peuvent sortir par le jeu d’un milieu où ils cumulent les obstacles. Mais mécaniquement, sur le nombre de nouveaux joueurs attirés pendant l’Euro, ça va créer des addicts dans cette population. »

Sasha Beckermann, journaliste social media et sport au Figaro, participait lundi soir à un Twitter Space, espace de discussion vocal temporaire lancé il y a peu par le réseau social, sur le thème #NoBetNoDette : « On joue avec la misère sociale. On fait miroiter à des jeunes qu’on peut gagner de l’argent facilement, en pariant, en omettant complètement que le sport ça reste du hasard. » Peu représentés à la télévision, ces jeunes se reconnaissent enfin dans ces publicités. Une manière de dire « C’est votre seule solution pour vous sortir de vos quartiers, pariez, vous n’y arriverez pas autrement » selon un des participants du Twitter Space.

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Cette publicité visée « me dérange pour deux raisons », admet Mickaël, YouTubeur et partenaire de BetClic avec sa chaîne TalkMyFootball. « Promettre une richesse qui en réalité n’arrive que très rarement, c’est problématique, la promettre à un public pouvant être précaire, ça l’est encore plus. J’espère sincèrement que les marques évolueront dans leur communication, notamment les spots TV dans lesquels c’est très visible. » Le vidéaste, qui publie chaque jour une vidéo pendant cet Euro, a décidé de mettre en garde sa communauté avant d’ouvrir la séquence dédiée aux pronostics : « être prudent, miser de petites sommes, se fixer un budget, ne pas espérer s’enrichir avec les paris en ligne » et ne pas jouer si l’on est mineur.

La prévention est aujourd’hui quasi-inexistante sur le sujet, et le fait que les YouTubeurs, joueurs occasionnels mais aussi quotidiennement au contact de leurs fans qui jouent avec eux, s’en auto-emparent montre bien les lacunes de la législation actuelle. Sur les publicités, le filigrane « Famille, vie sociale, santé financière. Êtes-vous prêts à tout miser ? » est quasiment invisible dans l’abondance d’image et aussi utile que le « mangez cinq fruits et légumes par jour » dans celle d’une célèbre marque de fast-food. L’ANJ prévoit d’ailleurs de lancer une campagne de prévention en travaillant avec un YouTubeur. Pas sûr que cela suffise toutefois, vu la puissance de feu des opérateurs et le nombre de communautés qu’ils touchent déjà.

Vivre le match en pariant

Surtout, le discours de la tempérance n’attire guère par rapport au dernier code propagé par les publicités : l’idée que le match est « beaucoup plus intense » en pariant (donc fade sans ?), prenant en otage l’enjeu émotionnel de la rencontre sportive pour y substituer un enjeu émotionnel financier. « C’est un des ressorts du pari, explique Armelle Achour. Ça met en route des charges émotionnelles et neuronales qu’on illustre très bien sous IRM. Le cerveau d’un ancien joueur va réagir devant un stylo PMU. »

Mickaël de TalkMyFootball tient néanmoins à nuancer le procès fait à l’idée « no bet, no game » : « Je trouve cette approche beaucoup plus honnête que de dire qu’on peut s’enrichir en jouant. » Tous les acteurs que nous avons interrogés ne se disent pas favorables à une interdiction des paris sportifs, ni même à leurs publicités. Simplement à un meilleur encadrement pour que le pari reste récréatif. « Un pari qui permet de vibrer, ça peut aussi se faire sans argent et entre amis, on a vu les applications de pronostics exploser », rappelle Mickaël. D’ailleurs, vu les scores de nos journalistes sur celle de 20 Minutes, on ferait bien de rester loin des sites de paris en ligne…

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