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Héritier

Le prince de Prusse tente de museler la presse en Allemagne

En tentant de bâillonner la presse pour récupérer l’héritage de ses ancêtres pronazis, Georges-Frédéric, le descendant de la dynastie allemande des Hohenzollern, s’est attiré les foudres de l’opinion publique et a relancé l’intérêt historique sur les compromissions de sa famille.
par Christophe Bourdoiseau, correspondant à Berlin
publié le 16 juin 2021 à 6h00

Il a toujours un grand sourire charmeur dans les magazines people. Mais dans la vraie vie, le prince de Prusse n’est pas un joyeux drille. Le descendant de la dynastie des Hohenzollern n’hésite pas à sortir la grosse artillerie dès qu’un journaliste ou un historien touche à la réputation de ses ancêtres. Georges-Frédéric, dit «prince de Prusse», réclame depuis des années les biens de sa famille confisqués par les Soviétiques après la Seconde guerre mondiale. Mais la loi d’indemnisation de 1994 exclut toute réparation pour ceux qui ont «soutenu activement» Adolf Hitler, ce qui fut le cas de son arrière-grand-père, Guillaume de Prusse.

«Pour obtenir gain de cause, le prince mène une stratégie d’intimidation sans précédent pour que les journalistes, les historiens et les responsables politiques cessent de porter un regard critique sur ses ancêtres», résume Sophie Schönberger, professeure de droit public à l’université Heinrich-Heine de Düsseldorf. Une affaire qui est remontée jusqu’à l’assemblée fédérale (Bundestag) où la gauche radicale (Die Linke) et les écologistes dénoncent une «attaque contre la démocratie». Pour réagir à cette stratégie d’intimidation sans précédent dans l’histoire de la République fédérale, l’universitaire a lancé ce mardi une plateforme en ligne consacrée à ces agissements antidémocratiques de la noblesse prussienne.

Plaintes et chantage

Avec déjà plus de 70 procédures en justice à son actif, le prince de Prusse multiplie les poursuites contre les médias les plus sérieux d’Allemagne et les historiens les plus renommés. «Les plus petits éditeurs y réfléchissent à deux fois avant de traiter le sujet», constate Sophie Schönberger. La moindre imprécision dans un article peut coûter des dizaines de milliers d’euros à un journal. «Etonnamment, il ne porte jamais plainte sur les faits qui sont reprochés à sa famille, à savoir la collaboration avec le régime nazi, mais sur des détails», ajoute-t-elle.

Le Prussien fait aussi du chantage auprès des autorités avec lesquelles il négocie des indemnités et des rétrocessions de biens immobiliers. Il a menacé de retirer des pièces maîtresses lui appartenant dans les musées, comme les joyaux de la couronne de Prusse, exposés à Berlin au Château de Charlottenbourg, s’il n’obtenait pas satisfaction. Une revendication qui a fini par retourner toute l’opinion publique contre lui. Depuis, les autorités exigent qu’il retire toutes ses plaintes contre les journalistes et les historiens pour reprendre les discussions.

«Le prince de Prusse a commis l’erreur d’avoir tiré trop tôt [contre les médias et les historiens]. Le résultat est que sa démarche est réduite à une attaque contre la liberté de la presse alors que la situation juridique est très compliquée», explique Thomas Schmidt, correspondant culture à Berlin pour le magazine «Die Zeit», dont le journal a été également poursuivi par le prince.

En réalité, sa démarche ne vise pas à sauver l’honneur de la famille. Il veut gagner des millions. «La raison de toutes les poursuites en justice, c’est l’argent», confirme Sophie Schönberger. L’arrière-arrière-petit-fils du dernier empereur allemand (Guillaume II), âgé de 45 ans, rêve de récupérer les bijoux de famille, des pièces qui se trouvent dans les plus beaux musées du pays, en faisant valoir ses droits auprès de l’Etat fédéral, Berlin et le Brandebourg (anciennes régions prussiennes).

Tableaux de maîtres, meubles, sculptures, livres… la propriété de toutes sortes d’objets d’une valeur de plusieurs centaines de millions d’euros reste contestée. Parmi eux, le tableau du peintre français Antoine Watteau (Le Pèlerinage à l’île de Cythère) exposé au château de Charlottenbourg à Berlin. Le prince a même un moment réclamé le droit de s’installer dans le château familial du «Cecilienhof» qui a accueilli la conférence de Potsdam en août 1945 et avait été confisqué par les Soviétiques.

«Guillaume de Prusse était prêt à coucher avec n’importe qui pour arriver au pouvoir»

Le scandale a éveillé la curiosité des historiens. En plongeant le nez dans les archives, ils ont découvert l’étendue des compromissions des Hohenzollern. Non seulement Guillaume II porte clairement une responsabilité dans le premier génocide du siècle (celui des Héréros et des Namas en Afrique), mais Guillaume de Prusse, l’arrière-grand-père et dernier héritier de la couronne, était un fervent défenseur du régime nazi. Il a soutenu le Führer pendant sa campagne électorale de 1932 en portant avec fierté l’uniforme de l’organisation paramilitaire nazie (SA), avec une croix gammée au bras. Il entretenait des relations avec Hermann Göring, figure de premier plan de la barbarie nazie, mais aussi avec Joseph Goebbels, le chef de la propagande.

«Guillaume de Prusse était prêt à coucher avec n’importe qui pour arriver au pouvoir», a résumé l’historienne Karina Urbach au magazine «Der Spiegel». Les historiens sont désormais d’accord avec cette thèse. Même Christopher Clark, l’historien australien chargé par la famille de rédiger un rapport sur la période hitlérienne, a résumé en quelques mots la motivation de cet arrière-grand-père compromis par le nazisme : «Cet homme était une andouille».

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