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Pollution en baie de Saint-Brieuc : la fuite de cent litres d’huile est-elle sous-estimée ?

Selon les spécialistes, la faible ampleur de la fuite annoncée par l’équipage du navire «Aeolus», en baie de Saint-Brieuc, est paradoxalement cohérente avec la taille très importante de la tâche.
par Emma Ferrand, Antoine Irrien et Nicolas Pineau
publié le 16 juin 2021 à 18h22

Bonjour,

Votre question concerne le navire Aeolus, présent sur un chantier de forage en baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) depuis le début du mois de mai, au niveau d’un futur site éolien offshore. Lundi 14 juin, il aurait rejeté 100 litres d’huile dans la mer, vers 6h30 du matin, selon l’équipage du bateau appartenant à la société Van Oord, qui a rapporté l’incident au Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) de Corsen.

La pollution, d’abord observée par le satellite Cleanseanet, puis confirmée par un avion de la douane en début d’après-midi, a provoqué une nappe qui s’étale sur une zone de 16 kilomètres de long sur 3 kilomètres de large. Soit environ 40km², ce qui représente, pour donner une idée de l’échelle, plusieurs milliers de terrains de football. Un incident pour le moins impressionnant, que la préfecture maritime des Côtes-d’Armor a qualifié de «pollution d’ampleur significative» par voie de communiqué.

Doutes sur la véracité des chiffres

Sur Twitter, les réactions se multiplient quant à cette fuite d’huile en provenance du monumental navire d’installation d’éoliennes en mer. En substance, beaucoup d’observateurs se demandent si la fuite se limite effectivement à 100 litres, étant donné l’étendue des dégâts visibles en surface. Un journaliste costarmoricain, Sylvain Ernault, réagit ainsi aux images d’un satellite de l’agence spatiale européenne (ESA), Sentinel-1, se demandant si «cent litres d’huile peuvent s’étendre sur une si grande zone». Un internaute s’interroge également sur «la véracité» des chiffres transmis sur la quantité d’huile fuitée. Un autre encore : «Je suis pas expert mais 100 l pourraient produire une trace aussi visible par satellite et un retour au port ?»

Les images de l’ESA dévoilent effectivement une imposante tache en plein milieu de la baie. Au centre de l’image se trouve également un point de lumière, «dû à la réverbération du bateau», affirme Emmanuel Bourassin, à l’origine du tweet et ingénieur en télédétection et bathymétrie dans un laboratoire dépendant de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), en Nouvelle-Calédonie.

D’après ses calculs, qu’il a partagés avec CheckNews, Emmanuel Bourassin estime l’ordre de grandeur, communiqué par le navire, cohérent avec l’étendue de la tache.

«Pour une fuite de cette superficie, la perte de 100 litres me paraît probable, confirme auprès de CheckNews François Galgani, écotoxicologue à l’Ifremer, à Bastia (Haute-Corse). Une telle quantité à cette échelle, ça reste très limité. C’est insignifiant, ça se disperse très rapidement.» Même son de cloche du côté du Conseil et expertise en pollutions accidentelles des eaux (Cedre), à Brest : «L’épaisseur n’est que de quelques microns. Une goutte d’huile sur l’eau, ça s’étale. C’est pour ça que l’on a des taches si larges», expose son directeur adjoint, Nicolas Tamic.

Concrètement, une molécule d’huile hydraulique mesurant entre 1 et 10 nanomètres, détaille Emmanuel Bourassin. On peut donc conclure qu’une zone touchée par une fuite de dix litres peut couvrir entre 10 et 100 km². Ce qui correspond de fait à la zone touchée actuellement dans la baie, d’environ 40km².

«L’huile s’étale, c’est tout»

En termes de conséquences pour la flore et la faune, quelques poissons pourraient être touchés, ainsi que le plancton, selon le chercheur corse : «Mais cela va assez vite se régénérer. Cette histoire prend une ampleur nationale mais des accidents comme celui-ci, il y en a plusieurs par an. Cela n’a rien de surprenant par rapport aux autres gros accidents que l’on peut connaître. Cela prend des proportions parce que l’huile s’étale, c’est tout.»

Dans un communiqué, Ailes Marines, la société en charge du projet de parc éolien, indique que «ce fluide, conçu et développé pour les travaux en mer, est biodégradable selon les critères internationaux de l’OCDE 301B, qui est considéré dans l’industrie comme l’un des plus respectueux de l’environnement» et qu’il «est largement utilisé pour des applications sous-marines, pour les travaux en mer, en raison de son faible impact sur le milieu».

Cette information devra être confirmée par la suite, grâce au prélèvement d’huile hydraulique effectué par les enquêteurs afin d’être remis au Cedre, qui en dira davantage sur la qualité et les caractéristiques du produit. Le bateau était mercredi après-midi en route vers Rotterdam (Pays-Bas), son port d’attache, où il sera examiné.

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