Disparition

Mort de Ned Beatty, second rôle de première classe

Eternel comparse, l’acteur de «Délivrance» et «Superman» imposait son charisme du cinéma à la télé, en passant par le théâtre. Il est mort dimanche à l’âge de 83 ans.
par Léo Soesanto
publié le 14 juin 2021 à 16h37

Ned Beatty n’avait aucun lien de parenté avec Warren Beatty («C’est mon oncle illégitime», plaisantait-il) mais tous deux ont marqué le cinéma hollywoodien seventies à leur manière. Face au demi-dieu Warren, Ned était le second rôle inoubliable avec son physique rond courtaud de sudiste, pur produit du Kentucky où il est né. Un abonné aux casquettes de perdant, de sbire ou homme d’affaires louche. Un précurseur de John Goodman – sans surprise, il jouera le père de ce dernier dans la série Roseanne. Il est décédé à l’âge de 83 ans à Los Angeles «de causes naturelles».

Acteur de théâtre, il passe directement au grand écran grâce à John Boorman qui lui offre sa première apparition mémorable dans Délivrance (1972) : celui d’un citadin parti en randonnée avec ses copains et luttant pour sa survie après avoir été violé par des montagnards. «Couine comme un porc» est la réplique qui hante cette scène insoutenable et la carrière de Beatty. En 1989, il en évoquera les leçons pour un article du New York Times : «La vie est bien faite. La plupart des hommes n’ont pas à vivre avec la peur d’être violé. Mon expérience m’apprend que nous ne le vivrions pas très bien […]. Je suppose lorsque quelqu’un (invariablement un homme) me crie dans la rue “couine comme un porc”, je suis supposé baisser la tête et paraître embarrassé d’être reconnu. Mais je ne ressens que la fierté de faire partie de cette histoire.»

Du flic corrompu à l’ours dictatorial

Hyperactif dans les années 70, passant de Robert Altman (Nashville) à Superman (où il joue le comparse clownesque du méchant Gene Hackman), Ned Beatty pouvait vampiriser tout un film l’espace d’une scène. Dans Network (1976) de Sidney Lumet, comédie noire sur la télévision, il apparaissait en industriel livrant sa sombre vision du monde dans un long monologue qui résonne encore dans le monde aujourd’hui, imposant même filmé dans la pénombre au fond du cadre : «Il n’y a pas d’Amérique. Il n’y a pas de démocratie. Il n’y a que IBM, ITT, ATT, Dupont, Dow… Ce sont les nations d’aujourd’hui.» Beatty recevra son unique nomination pour un oscar (meilleur second rôle) pour ce passage funeste. Il assumera sans regret toujours ce statut de second couteau : «Les stars ne veulent jamais surprendre le public mais ma grande joie est de la faire», dira-t-il. «Etre une star réduit votre efficacité comme acteur parce que vous devenez la partie identifiable d’un produit et prévisible.»

En 160 films et de nombreuses apparitions télé, Beatty aura été policier corrompu (Big Easy : le Flic de mon cœur) ou sensible (la série Homicide), général russe (le Quatrième Protocole), ténor (Hear My Song), souvent joué avec son partenaire de Délivrance (Burt Reynolds), gardien de prison pour Spike Lee (He Got Game) ou la voix d’un ours en peluche dictatorial dans Toy Story 3. Jeune, Beatty avait envisagé d’être prêtre (il en sera un dans l’Exorciste II : l’Hérétique de John Boorman), changea d’avis en voyant une représentation de la pièce Harvey : l’histoire d’un excentrique qu’on veut interner parce que son meilleur ami est un lapin géant invisible. Ned Beatty aurait pu jouer et exister dans les deux rôles.

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