Les homothérapies, ou "thérapies de conversion" sont ces "thérapies", pour la majorité religieuses, qui promettent de "guérir de l'homosexualité". Elles sortent de plus en plus de l'ombre. Mais dans l'inconscient collectif, on croit qu'elles n'existent qu'aux États-Unis, dont une bonne partie du pays fait, encore aujourd'hui, preuve d'un puritanisme exacerbé.

Vide juridique

En 2018 et 2019, deux longs-métrages américains ont traité de ce sujet : Come As You Are, avec Chloë Grace Moretz, et Boy Erased, avec Nicole Kidman en mère dépassée. Deux films inspirés de livres, et le second est même autobiographique. Les homothérapies concernent au moins 600.000 personnes LGBT+ aux États-Unis.

Mais les homothérapies existent également en France. Elles sont, simplement, réalisées avec beaucoup plus de discrétion, et se cachent derrière une terminologie absconse, pour ne pas éveiller les soupçons.

Pour l'instant, elles ne sont pas illégales, mais les députés Laurence Vanceunebrock-Mialon (LREM) et Bastien Lachaud (France Insoumise) veulent interdire toutes pratiques "visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne", d'ici 2020.

Une enquête d'un an et demi

Pendant un an et demi, Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre ont enquêté, infiltré ces groupuscules religieux catholiques dangereux, qui détruisent des vies. Leur enquête met à jour les liens entre des organisations américaines, mondialisées, comme Living Waters, Courage ou Exodus, et leurs déclinaisons françaises comme Torrents de vie, ainsi que les liens de certaines d'entre elles avec la Manif pour tous.

Ils en ont fait un livre-enquête, Dieu est amour (Flammarion), et ont participé à l'écriture du documentaire, réalisé par Bernard Nicolas : Homothérapies : conversion forcée, rediffusé sur Arte mardi 18 mai 2021.

Ce documentaire d'un peu plus d'une heure trente nous donne un aperçu de ce qu'un jeune homme prétendument croyant, gay et voulant en changer peut rencontrer sur son chemin. Le journaliste a notamment infiltré un "camp d'été" à Lux (Saône-et-Loire), filmé en caméra caché. Activités pseudo-psychologiques et sermons culpabilisants s'enchaînent, dans une ambiance pesante et malsaine. À un moment, on entend même une femme hurler, probablement lors d'une séance d'exorcisme. 

On découvre aussi des témoignages édifiants, poignants, de personnes traumatisées par ces homothérapies, en France, aux États-Unis, au Canada, en Allemagne et en Pologne. Toutes étaient persuadées que "quelque chose était brisé chez elles". Toutes ont fait confiance à leur famille, qui les a poussées vers ces groupuscules un temps surveillés, en France, par la Miviludes. Comme Benoît Berthe, qui a suivi plusieurs camps de conversion d'été, ou Deb Cuny, qui a subi un exorcisme violent. Tous ont réussi à en sortir, mais sont marqués à vie. 

Jouer sur les maux

La logique des homothérapies mélange une psychologie datée, de bas-étage, fausse, avec une foi exaltée. Elle est insidieuse, perverse : l'homosexualité est une manifestation de "l'Adversaire", du "Mal", du Diable. Un péché, donc. Prêtres, pasteurs, psychologues adhérant à la cause font croire qu'en soi, les homosexuels ne sont pas un problème, mais l'homosexualité, si. Surtout si l'on décide de ne pas en avoir honte. La limite est ténue, entretenue.

Ces personnes promettant de guérir ou maîtriser l'homosexualité vendent comme Grââl ces "anciens" homosexuels qui ont fini dans un mariage hétérosexuel, utilisés comme outil marketing. Pour les personnes gay mal dans leur peau, c'est agiter sous leurs yeux un mensonge, celui que la sexualité se décide. Qu'il suffit d'y mettre du sien. S'ouvre alors devant eux une vie de frustrations et de souffrance.

Selon ces organisations, l'homosexualité a des "causes" psychologiques, et il suffit de les traiter : un père absent, une mère trop présente, un climat d'insécurité émotionnelle, etc. L'intimité de ces personnes est fouillée, tordue, instrumentalisée. Elles finissent par être persuadées qu'elles doivent "guérir".

La honte de soi

Ces homothérapies font basculer les victimes dans une intense honte de soi, parfois symbolisée par des voiles noirs dans un groupe de parole. Cette honte est aussi exprimée lors de rencontres en tête-à-tête où un prêtre, en plein Paris, donne deux voies possibles au journaliste infiltré : l'abstinence, ou bien, "se forcer" à regarder le corps des femmes plutôt que ceux des hommes dans les  films pornographiques. 

Le documentaire met aussi à jour les origines de ces mouvements, qui se sont notamment développés après la libération sexuelle des années 70. L'un des intervenants les plus forts du documentaire est Alan Chambers, ancien directeur de l'organisation Exodus, qui a raccroché en 2013. Depuis, il sillonne les États-Unis pour s'excuser, et l'affirmer : aucune personne homosexuelle ne peut, et ne devrait, "devenir" hétérosexuelle.

Homothérapies : conversion forcée, de Bernard Nicolas, écrit avec Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, diffusé sur Arte le 18 mai à 20h50.