Mathieu Gallet, splendeur et misère d'un prince charmant

À force de travail et de séduction, Mathieu Gallet avait mené un parcours sans faute à la tête de Radio France, avant d’être condamné pour favoritisme puis révoqué par le CSA. SOPHIE DES DÉSERTS a rencontré les protagonistes de ce roman balzacien. Ils livrent, pour la première fois, sans rien éluder, leur part de vérité.
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Stephane GRANGIER/Corbis via Getty Images

Voilà, c’est fini, comme dans cette chanson de Jean-Louis Aubert si souvent fredonnée à l’adolescence. Plus de job, retour à la case départ après une décennie de conquêtes au cœur de la haute société parisienne. Dans la file d’attente de Pôle Emploi, personne ne le calcule. Une conseillère l’appelle, voix d’automate noyée dans la paperasse :
« Alors, vous cherchez dans quel domaine ?
– Dirigeant d’entreprise. »
Elle lève le nez. Il se tient droit comme un mannequin de papier glacé, épaules fières, mandibules serrées et, sous l’épais sourcil, l’œil noisette habitué à faire des ravages. « Votre visage me dit quelque chose... » cherche l’employée. « Oui, je dirigeais Radio France. »

Mathieu Gallet, bien sûr, le nom inscrit sur la fiche prend soudain du relief – un parfum de scandale même. Ce beau monsieur en pardessus marine a régalé la presse avec ses histoires de bureaux à 100 000 euros, son appétit pour les conseillers en communication et cette folle rumeur de liaison avec Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle. Tant de publicité pour un patron du service public... Le PDG de Radio France a visiblement résisté à tout jusqu’au jour où la justice a fini par le rattraper. Le 15 janvier 2018, il a été condamné pour « favoritisme » à un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende. Après quelques hésitations, la ministre de la culture, Françoise Nyssen, l’a appelé à « prendre ses responsabilités ». Mathieu Gallet n’a pas voulu se retirer. Seuls les sages du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), qui l’ont nommé à l’unanimité, pouvaient le démettre. Ils l’ont fait.

Voilà, c’est fini. Ce vendredi 22 février, Mathieu Gallet s’en va. Bon débarras, sans doute. C’est ce qu’on se dit en longeant la Seine jusqu’à la Maison de la radio. On se demande qui pourrait bien regretter ce dirigeant que la presse a souvent décrit comme un Bel-Ami des médias, sans trop dire s’il relevait ou non de l’imposture. Comment ce jeune homme a-t-il pu ainsi faire fausse route, valser sans vergogne avec l’argent public ? Le pouvoir lui est-il monté à la tête ? A-t-il des regrets ? Qu’a-t-il laissé au juste à Radio France ? On voudrait comprendre. « Passez voir Mathieu avant son départ », avait proposé sa communicante, Monique Denoix, une ancienne d’Image 7, agence qui conseille de nombreux dirigeants. Dans le hall d’entrée, les employés filent, visages fermés. Il flotte comme un air de tristesse, perceptible le matin même à l’antenne. À 7 h 50, Léa Salamé, voix solennelle, a tendu le micro de France Inter à son PDG déchu ; les humoristes aussi ont voulu lui rendre hommage. « Aujourd’hui, je ne suis pas venu seul, a gémi Daniel Morin. Non, je suis venu accompagné d’un homme lâchement sacrifié sur l’autel un peu borgne de l’hypo­cri­sie ambiante. » Posté à ses côtés, Gallet a lu un texte foutraque de Morin à sa propre gloire. Fous rires émus, l’auditeur était un peu paumé, mais dans le studio, on se faisait plaisir. Charline Vanhoenacker et ses complices s’y sont mis. « Ah là là... Ben, Mathieu... Qu’est-ce que t’as foutu... T’avais survécu à toutes les tempêtes... On t’avait dit qu’il fallait lâcher les pompes de Macron, mais ça, c’était au-dessus de tes forces... » Des adieux jusqu’à la dernière seconde. Sur France Musique, Elsa Boublil a même programmé une heure entière avec le patron, confessions intimes au rythme de ses morceaux préférés, de la cinquième symphonie de Mahler à la déclaration de Barbara : Dis, quand reviendras-tu ?

« Mathieu, c’est la grâce »

Des deux côtés, visiblement, la séparation est difficile ; il y aura encore des pots, des e-mails, des SMS qui clignotent à l’instant même sur son Iphone. « Ça m’aide à tenir, ça me touche », confie Mathieu Gallet du bout des lèvres. Il est là pour quelques heures encore, dans ce fameux bureau qui, trois ans plus tôt, a fait la « une » du Canard enchaîné. Le lambris de palissandre à 70 000 euros se remarque à peine dans le bazar ambiant, entre les piles de dossiers et les cartons. Gallet jette un regard vers la Seine. La voix détonne avec le visage de marbre. Elle est sans panache, douce, scolaire : « Je ne sais pas si je ne ferais pas mieux de tourner la page. Cette histoire, vous savez, c’est comme un mauvais film. » On le sent, ce chemin de vie balzacien où tout se mêle et se bouscule : la beauté, le désir, le pouvoir et les règlements de compte. Il veut bien remonter le fil, s’expliquer, ne rien éluder parce qu’il a « la certitude d’être dans le vrai ». Il ajoute, sourire prêt à percer : « Sinon, je n’aurais pas tenu. » On se reverra, promet-il, mais le soir même, il s’envole vers le soleil d’Argentine.

Soyons cash, il l’est aussi. Mathieu Gallet a percé avec une drôle de réputation. Le mignon de Frédéric Mitterrand, voilà ce qu’on disait de lui. « Tout Paris a ri sous cape, lâche-t-il lors de notre second rendez-vous, devant une tasse de darjeeling. On a tellement daubé sur moi... » Dans les dîners en ville, on évoquait d’un air entendu ce beau brun qui a tant plu au ministre de la culture de Sarkozy. Gallet fut, en 2009, son directeur de cabinet adjoint. Frédéric Mitterrand l’appelait secrètement « Tancrède », comme le ténébreux tombeur du Guépard de Visconti. Il écrira à son sujet, dans La Récréation (Robert Laffont, 2013), des mots doux qui plomberont plus encore sa réputation : « Tancrède séduit tout le monde et je n’échappe pas à la règle. On s’épuiserait à dresser la liste des raisons qui expliquent ce succès : mettons que ses qualités intellectuelles sont à la mesure de l’attirance qu’exerce son physique. » Frédéric Mitterrand s’en est parfois voulu d’avoir ainsi, malgré lui, fait du mal. « Que voulez-vous, soupire-t-il au téléphone. J’ai écrit ce que je ressentais. Mathieu, c’est la grâce. »

Dès la première seconde, tout l’inspire chez lui, ce port altier, sa douceur de mélomane et cette féroce ambition de provincial, né à Villeneuve-sur-Lot, d’un père commercial et d’une mère adorée, employée de La Poste. À l’époque, Gallet a tout juste 30 ans, un diplôme de Sciences Po Bordeaux et un DEA de droit public. Pas grand-chose face aux énarques, mais il a roulé sa bosse, travaillé dans une maison de disques classiques, Erato, puis chez Pathé, avant d’atterrir à Canal +, au contrôle de gestion d’abord puis aux relations publiques­. Là-bas, il a tapé dans l’œil du big boss, Bertrand Meheut, et de son directeur de cabinet, Alexandre Bompard, l’actuel­ PDG de Carrefour, devenu un ami. À l’étage du dessus, le patron de Vivendi, Jean-Bernard Lévy, a même recommandé le jeune homme à François Loos, alors ministre délégué à l’industrie en quête d’un conseiller audiovisuel. À Bercy, puis rue de Valois où il atterrit en 2007, Bel-Ami se promène. Frédéric Mitterrand apprécie ce calme tacticien, sa déférence, cette façon de toujours l’appeler « monsieur le ministre », de pouvoir compter sur lui, même quand il fait des bêtises, quand il s’empêtre dans l’affaire Polanski, quand il peine à allumer un ordinateur – lui, le ministre chargé de la communication de la France. Un geek vient, la nuit tombée, lui donner des cours d’informatique. C’est un secret. Le conseiller sait les garder. Il assure, il délivre, il charme.

Un soleil ce Gallet, brûlant mais distant. Toujours, il se protège. Quelques années plus tôt, il avait envoûté un autre sexagénaire, Bob Wilson. Le célèbre metteur en scène américain cherchait un assistant. Mathieu Gallet lui fut recommandé par le théâtre du Châtelet où il avait effectué un stage. Entretien d’embauche dans une berline à Roissy, plongée immédiate dans une vie folle entre les avions, les palaces et les crises de jalousie de « Bob » pour un rien, parce que Giorgio Armani, dont il tournait la pub, s’approchait trop près. Au bout de trois mois, Gallet suffoquait. « J’étais mal, se souvient-il. Ma famille me manquait. Ce n’était pas mon monde. Je découvrais la pusillanimité des artistes. Eux, c’est comme les politiques, il ne faut pas les fréquenter dans l’intimité. J’ai préféré partir. Bob a hurlé. » Ce jour-là, à Bilbao, les parents Gallet ont failli venir le chercher en voiture. À l’époque, Mathieu était plus fragile ; il venait de leur révéler son homosexualité après une belle histoire avec une fille de son âge. Ce ne serait plus un sujet, même s’il ne l’évoque jamais en public. Pas question d’être un porte-drapeau : il est libre, Gallet. Quand il a rendu son tablier, Bob Wilson l’a salué, bouche amère : « Romantic child lost in a romantic world ! »

Des archives du KGB à celles de Mandela

En réalité, il a sacrément les pieds sur terre. En 2010, Frédéric Mitterrand cherche un nouveau directeur de l’Institut national de l’audiovisuel à proposer à l’Élysée. « J’ai une idée, lance Gallet. Moi ! » L’Ina, a priori, ça ne fait pas rêver : un bâtiment à Bry-sur-Marne, des stocks de vieilles images... Mais enfin, Gallet y voit du potentiel, le poste est bien payé, avec chauffeur et notes de frais ; c’est aussi une première marche pour pénétrer le monde de la culture, obtenir un jour une place à l’Opéra de Paris ou ailleurs. Ça va être dur : il n’est pas énarque, il n’a aucune expérience de gestion d’un établissement public, mais, après tout, ça se tente. Il faut bousculer la « techno­structure », scande toujours Frédéric Mitterrand. Le ministre ne peut rien lui refuser. « J’ai bataillé ferme, se rappelle-t-il. Fillon [alors premier ministre] ne voulait pas de Mathieu, et j’ai dû m’y reprendre trois fois avec Sarkozy. » En mai 2010, Mathieu Gallet est nommé à l’Ina. Rue de Valois, les hauts fonctionnaires sont indignés : « On considérait qu’il n’avait aucune légitimité, admet l’un d’eux. Il était là par le seul fait du prince. »

À 33 ans, Gallet débarque dans le Val-de-Marne, moulé dans ses costumes italiens et sa novlangue de Canal qui parle « process », « valorisation de marque », du chinois pour la plupart des mille salariés de cette maison héritée de l’ORTF. Il veut accélérer la numérisation, tirer davantage profit du fonds d’archives unique, qui peut être vendu aux chaînes de télévision, aux firmes, aux publicitaires. Il faut augmenter les ressources propres, qui constituent alors 30 % du budget de 130 millions d’euros. Il pulse, ce nouveau patron, même s’il est un peu froid. On dirait qu’il se prend pour un ministre. Peu à peu, il vire des gens, embauche des consultants, dont Denis Pingaud, un drôle d’oiseau, ex-trotskiste, jadis journaliste, conseiller de Laurent Fabius puis de José Bové, avant d’atterrir chez Havas. L’homme lui vend une étude sur les internautes du site Ina.fr, puis il se propose de peaufiner la stratégie, les discours, l’image. Contrat signé pour 5 000 euros sur dix mois, car Gallet ne veut pas payer les deux mois d’été. Il recrute une nouvelle directrice de la communication venue d’Image 7, qui porte de la fourrure. « Vous devriez lui dire de mettre des jeans », souffle un syndicaliste. Le patron s’en moque. À ses yeux, seuls les talents comptent. Une pointure de la radio, Frédéric Schlesinger, dit « Schles’ », ancien directeur d’Inter alors entre deux jobs, rejoint l’équipe pour développer les contenus. Ainsi entouré, Gallet rayonne à l’extérieur. Le matin, il est à Paris, multiplie les rendez-vous, déjeune avec des clients, des partenaires potentiels, des importants du PAF. Il voyage aussi en Russie, avec l’espoir de numériser les archives du KGB ; en Afrique du Sud, pour celles de Nelson Mandela ; à Cuba où il signe un accord avec la télévision d’État. Gallet court les avant-premières, les soirées huppées. Il monte les marches du festival de Cannes, au côté de Steven Spielberg, pour lequel il a concocté un « hommage numérique ». Avec lui, l’INA devient presque glamour.

« Moi, je ne le sentais pas, ce bureau »

Mais il mérite mieux, tout le monde le lui assure. Pourquoi ne pas tenter Radio France ? C’est Jean-Marie Cavada, ancien patron de la Maison ronde, qui lui souffle l’idée. Il disait qu’il avait vécu là ses plus belles années. « Noël 2013, je pars seul en vacances à Los Angeles avec de la doc’, se souvient Gallet. Au retour, j’ai pris ma décision. » Radio France, sept chaînes, 4 300 salariés : le défi est de taille, plus encore avec la gauche au pouvoir. Mais enfin, il y a un coup à jouer. L’air de rien, pour tâter le terrain, Gallet convie les membres du CSA à déjeuner à Bry-sur-Marne. Il revoit en tête-à-tête le président, Olivier Schrameck, qui fut l’ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin. Gallet lui dit combien il admirait ce socialiste protestant à qui il a donné sa voix en 2002. Il lui faut casser son image de jeune loup libéral. Son fidèle conseiller Denis Pingaud s’y attelle aussi auprès de François Hollande, un copain. Le samedi matin, il passe à l’Élysée pour nourrir l’essai qu’il prépare sur lui : L’Homme sans com’ (Le Seuil). Au passage, il évoque la candidature de Gallet. « Je me suis assuré qu’il n’y avait pas de veto de la part de Hollande, indique Denis Pingaud. Je lui ai dit : “Mathieu n’est pas un sarkozyste. C’est un type tout à fait apte à faire le job.” » Le soir, le week-end, il rejoint Gallet chez lui ou au café. L’offensive se prépare avec Frédéric Schlesinger qui a déjà un projet avancé pour Radio France, sans vouloir apparaître en première ligne. Tous les candidats l’ont approché. Mais lui a choisi Gallet. « Le meilleur », dit-il. Ensemble, ils bétonnent le programme : relance de France Info, résurrection du Mouv’, rajeunissement de l’antenne, féminisation, numérisation à fond avec des « podcasts » (sic) sur Facebook et Youtube, du « digital management », du « live streaming » et tant mieux si les sages du CSA ne captent pas tout. C’est fait exprès. « Emploie des mots compliqués, tu dois incarner la modernité, lui ont soufflé ses conseillers. Il faut faire battre les paupières des femmes, donner l’impression que tu es un personnage magique. » Au début, Gallet est « mauvais comme un cochon », de l’aveu même de ses répétiteurs, mais il bosse. Ce 27 février 2014, il est prêt. Une heure et quart de grand oral. Les sages sont bluffés. Victoire à l’unanimité.

Mathieu Gallet en janvier 2016 – crédits : MARTIN BUREAU / AFP

Pour la gauche, c’est un hold-up. Consternation rue de Valois : l’intrigant a encore frappé, piétiné l’énarque donné gagnant, Martin Adjari, alors numéro 2 de France Télévisions. La ministre, Aurélie Filippetti, enrage. Au moins va-t-elle pouvoir confier la présidence de l’Ina à l’une de ses fidèles, Agnès Saal, l’ancienne directrice de la Bibliothèque natio­nale de France et du centre Pompidou, militante chevronnée durant la campagne. Elle aurait dû devenir sa directrice de cabinet si l’Élysée n’en avait pas décidé autrement. Gallet sent le mépris de la Hollandie. Il n’a pas oublié cette confidence du président, juste après sa victoire, lors du dîner du Crif : « Rassurez-vous, je ne suis pour rien dans votre nomination ! » Réplique effrontée : « C’est bien parce que vous n’y êtes pour rien qu’on parle de moi. »

Le jeune président de Radio France flotte sur un nuage. Il s’installe en mai 2014, avec ses fidèles de l’Ina. L’indispensable Schles’ est en première ligne, chaleureux, grande gueule. « C’est lui qui m’a convaincu d’occuper le bureau du président, se souvient Gallet. Il m’a dit : “Symboliquement, le pouvoir c’est ici.” Moi, je ne le sentais pas. C’est con. C’est comme en amour, il faut suivre ses intuitions. » Gallet rapatrie aussi sa communicante, et Denis Pingaud, toujours employé comme consultant à 8 000 euros par mois cette fois, l’équivalent des deux contrats dont son prédécesseur, Jean-Luc Hees, disposait pour son image. L’Ina, par contre, ne veut plus de Pingaud. Agnès Saal l’a remercié d’un « moi, je n’ai pas besoin de gens comme vous ». Lors d’un déjeuner avec des journalistes, elle a balancé quelques piques sur Gallet, promis une gestion plus rigoureuse. Ses propos sont revenus aux oreilles du PDG de Radio France. « Elle exagère, Agnès ! » s’est-il exclamé.

Il l’appelle par son prénom. Il la connaît bien depuis le temps où elle dirigeait Beaubourg. C’est même lui qui a insisté pour qu’elle soit nommée au conseil d’admi­nis­tra­tion de l’Ina avant qu’elle n’en prenne la présidence. Saal est son exact contraire, une énarque maigrelette, chaleureuse, besogneuse, mère de trois enfants qu’elle a élevés quasi seule. Gallet lui envoie un petit SMS courroucé pour la forme. Réponse à la cool : « Les journalistes exagèrent toujours ! » C’est vrai et, d’ailleurs, il n’a pas de soucis à se faire, à Radio France, tout est géré au cordeau. Gallet a embauché comme bras droit, au poste de secrétaire générale, une jeune énarque vive et carrée, Maïa Wirgin, ancienne de la Cour des comptes. Il a besoin d’elle : les déficits sont plus lourds que prévu, plus de 20 millions d’euros attendus si rien n’est fait. « J’ai tiré la sonnette d’alarme à l’Élysée, à Matignon, indique Gallet. On n’obtenait pas de réponse. Et soudain, la ministre de la culture [Fleur Pellerin] faisait mine de découvrir le problème et me sommait de remettre un projet. » Toutes les hypothèses circulent : plan de licenciements, suppression d’un des deux orchestres (dont le coût total s’élève à 60 millions d’euros par an). Forcément, il va y avoir de la casse. Début 2015, l’angoisse monte. Un avis de grève est déposé pour le 22 mars.

« Gallet dehors ! »

La veille, Le Canard enchaîné a titré « La trop belle facture du bureau du pédégé de Radio France ». Plus de 100 000 euros, détails à l’appui. Deux jours plus tard, Libération révèle que Gallet a aussi voulu remplacer les sièges en cuir de sa Citroën C6 de fonction avant de commander un véhicule hybride. Scandale. Le PDG a beau tenter de s’expliquer point par point – mensonge, cette histoire de sièges en cuir, et la C6, usée, devait être changée –, rien n’y fait. Quant aux travaux du bureau, ils ont été décidés par son prédécesseur, afin de préserver ce lieu classé, dont la restauration – 70 000 euros rien que pour le lambris en palissandre – a été supervisée par un architecte des Monuments historiques. Certes, il aurait pu, il aurait dû sans doute tout arrêter. Ne pas faire repeindre les murs, ne pas changer la moquette aubergine, éviter d’acheter ces meubles de designer italien. Mais enfin, rien d’illégal, comme le jugera un rapport de l’Inspection générale des finances. Trop tard. La défense du PDG est inaudible, d’autant que la presse avance qu’il a aussi fait refaire son bureau à l’Ina et, auparavant, celui de la rue de Valois – visiblement, c’est une manie. L’affaire prend une ampleur kafkaïenne. Un reporter du New York Times se présente pour tâter le bois de palissandre. « Si tu veux refaire un burlingue, un plan social, ce n’est pas dingue », chante un humoriste d’Inter sur un air de Cabrel. La Maison ronde brûle et la grève dure. « Gallet dehors », scandent les grévistes devant le PDG venu présenter des excuses, blême. Motion de défiance à la quasi-unanimité. Les syndicalistes sont remontés à bloc. La ministre, Fleur Pellerin, les rencontre en douce à Radio France. Elle aussi veut la peau de Gallet. « L’un de ses conseillers nous avait promis : on va vous débarrasser de lui », se souvient un syndicaliste.

Et les révélations du Canard enchaîné continuent. Cette fois, sur la gestion de Gallet à l’Ina. Il est question de contrats signés sans appel d’offres, pour plus d’un million d’euros. Un proche collaborateur le prend entre quatre yeux : « Il y a quelque chose ? J’ai besoin de savoir. Ma réputation aussi est en jeu. » Il lui jure qu’il n’y a rien, pas de fautes graves, pas de vols dans la caisse. Il le croit. Le Canard est bien informé, mais pour arriver au million, il a compté les contrats signés à l’Ina avant l’arrivée de Gallet. Il a aussi omis de préciser que la plupart des consultants, certes coûteux, ont été engagés après des appels d’offres, visés par les comptables de l’institution. L’un d’entre eux, devenu contrôleur à Bercy, a appelé Mathieu Gallet au lendemain du scandale : « C’est fou ce qui vous arrive ! À part le contrat de Pingaud que je ne connaissais pas, tout a été validé dans les formes par nos services. » Mathieu Gallet promet alors de porter plainte contre Le Canard enchaîné. Il ne le fait pas. « Ç’aurait été remettre une pièce dans la machine », plaide-t-il aujourd’hui. D’ailleurs, dans la foulée, Mediapart révèle un pré-rapport de la Cour des comptes concernant les années de Gallet à l’Ina. Le tout est accablant : séjours dans des « hôtels de grand standing, voire de luxe », au Shangri-La de Dubaï, au Sofitel de Washington, au Carlton de Cannes pour 660 euros la nuit, déjeuner dans des restaurants étoilés, blanchisserie passée en note de frais... Fleur Pellerin retweete l’article. Aurélie Filippetti écrit un message à Agnès Saal qu’elle envoie par erreur à Mathieu Gallet. « Tu as lu l’article de Mediapart... J’espère que ça ira au bout. » Il y répond, avec des smileys philosophes, comme toujours : « Chère Aurélie, je pense que tu t’es trompée de destinataire ;) – La vie est à la fois injuste et drôle parfois ;) »

Pas de doute, la Hollandie veut le sortir, mais, sur le fond, que répond-il ? Mathieu Gallet vous dévisage, comme un enfant désarmé : « Ben... Je me rends compte aujourd’hui que j’étais un blanc-bec de 33 balais avec mes beaux costumes. Je n’ai peut-être pas été assez attentif à l’image que je renvoyais. J’ai pris des consultants, mais mon prédécesseur aussi en avait. Il faut comprendre la solitude du dirigeant. Quand vous êtes tout en haut, vous ne pouvez tester vos idées sur personne. » On insiste : tout de même ! Seize personnes œuvraient déjà à la communication de l’Ina ! Et les notes de grands restaurants, les voyages à Cuba, en Afrique du Sud ? « C’était pour développer l’Ina, dit-il, tranquille. J’avais une enveloppe globale de frais pour la présidence que j’ai respectée. Mon job, c’était aussi de chercher des clients. Si j’en emmène un, parfois, dans un bon restaurant, que j’invite un interlocuteur dans un bar d’hôtel, c’est normal. » Pause. « J’étais le premier à voyager en seconde classe pour les trajets courts. Mais quand on est invité au festival de Cannes, les organisateurs nous demandent de choisir entre le Carlton ou le Martinez. Quand on va à Dubaï, on ne peut pas descendre dans une auberge de jeunesse. » Gallet ne lâche rien, sûr de son bon droit. Il note d’ailleurs que la justice ne l’a poursuivi ni pour enrichissement personnel ni pour détournement de fonds.

Il apprend à sourire

C’est Agnès Saal qui tombe. Révélations du Figaro fin avril 2015 : 40 915 euros de frais de taxis pour la présidente de l’Ina. Un courrier anonyme de 36 pages a été envoyé au domicile des administrateurs, avec les relevés de course. Gallet jure qu’il n’y est pour rien ; Saal aussi a beaucoup d’ennemis, notamment ceux qu’elle a licenciés. Voilà, telle est prise qui croyait prendre. L’énarque donneuse de leçons, celle qui contrôle tout et déjeune d’une pomme devant son ordinateur, a fait exploser les compteurs de G7. Inimaginable. Saal devient la honte de la République. Elle démissionne, promet de rembourser. Mais sa réintégration au ministère de la culture scandalise la France. Fleur Pellerin doit réagir, vite. Elle lance une enquête administrative sur l’Ina et saisit le procureur de la République. L’association Anticor, spécialisée dans la lutte contre la corruption, dépose plainte pour « détournement de fonds » et « délit de favoritisme ». Pour son avocat, Jérôme Karsenti, « les deux dirigeants de l’Ina doivent être jugés ensemble ». Il parle d’« un système qu’il faut démonter, celui de ces responsables publics qui vivent grand train sur le dos des contribuables ». Mais la justice sépare les deux affaires. Agnès Saal sera mise en garde à vue la première. Devant les enquêteurs, elle charge Mathieu Gallet : « Si vous saviez tout ce qu’il a fait... À côté, moi... »

En cet été 2015, la tempête s’éloigne à Radio France. La grève aura duré vingt-huit jours, mais Gallet a tenu le choc. « Bravo pour ton courage et ta résilience », l’a félicité Pierre Bergé, comme d’autres puissants. Le PDG a présenté son projet, digne, devant l’Assemblée nationale. Pas de départs forcés, pas de suppression du second orchestre, réformes en douceur. Les traîtres, ceux qui ont soufflé sur les braises, Olivier Poivre d’Arvor ou le journaliste Philippe Meyer, seront écartés. Gallet reprend le pouvoir. Ces nœuds de cravate « half-Windsor », chroniqués dans Le Monde, sont toujours impeccables. Il apprend même à sourire un peu plus large. « Tombe la veste, va voir les équipes », lui chuchotent ses conseillers. Le patron change. « On le voit débarquer au bureau, partager une bière avec nous, se souvient Charline Vanhoenacker. Au début, c’était pas naturel, mais il y prend goût. Il nous soutient ; il nous laisse une liberté totale. » Désormais, on rigole de ce bureau devenu l’une des attractions des journées du patrimoine. On se dit qu’après tout, le patron n’a pas que des idées fumeuses : le nouveau restaurant ouvert dans la Maison ronde crée de la vie, la location des studios pour des séminaires ou des défilés, pourquoi pas ? Et les concerts qui se multiplient rapportent de l’argent. Surtout, les audiences sont excellentes. Gallet a nommé des bons à la direction des antennes : Laurent Guimier à France Info et des femmes de tête, Laurence Bloch à Inter, Sandrine Treiner à France Culture. « Ces années Gallet sont celles d’une petite révolution culturelle, ­réalise cette dernière. La question financière est entrée dans notre quotidien avec une logique de marque, sans lâcher sur la qualité ni perdre de vue notre mission de service public. » À les entendre, elle et beaucoup d’autres, Gallet est un patron en or. Il valorise ses équipes, il envoie des SMS avec des cœurs quand une émission lui plaît, il est sur tous les fronts, à la matinale pour les invités impor­tants, à Avignon, à Cannes, mais pas forcément au premier rang. Il s’applique à ne pas prendre toute la lumière. Elle vient à lui naturellement.

La peine de Brigitte

La rumeur palpite dès l’automne 2016 : Emmanuel Macron aurait une liaison avec le PDG de Radio France. « Pourquoi m’avoir désigné, moi ? » s’interroge encore Mathieu Gallet. Il fait comme s’il ignorait ce qu’il a de commun avec Macron : le charme, la jeunesse, l’habileté à tricoter les réseaux tout en prétendant casser les codes... Ces deux-là appartiennent aux mêmes cercles. Ils se sont évidemment reniflés, croisés à l’Élysée, quand l’un était secrétaire général adjoint, l’autre fraîchement nommé à Radio France ; ils se sont aussi vus à Bercy pour discuter des finances de la Maison ronde. « Mon interlocuteur, c’était surtout Alexis Köhler », insiste Gallet, visiblement soucieux de ne pas trop rentrer dans les détails. À l’approche de la présidentielle, la rumeur s’emballe. Gallet le sent chaque jour dans sa vie. Des photos vont sortir dans la presse, a entendu dire sa grand-mère de Villeneuve-sur-Lot. Sa sœur esthéticienne en rigole, tout comme ses proches. Ils savent que Mathieu est en couple avec un étudiant en droit, son sosie, qu’il adore. Mais les autres l’interrogent : « Alors ? Toi et Manu, c’est vrai ? » Tout Paris jase et Gallet se marre, pas ravi des paparazzis qui le suivent, mais un peu flatté quand même. « Ah, vous savez... Si l’on croyait les rumeurs... », glisse-t-il, l’œil sibyllin. Ou encore : « Macron ? Non. Dieu sait si j’aurais bien aimé... » Puisque Paris est un village, tout revient aux oreilles des Macron. Lui s’en moque ; Brigitte, moins. Cette histoire blesse légitimement son orgueil de femme. Tout le monde fait comme si de rien n’était et quand Macron vient débattre à France Inter, Gallet l’accueille ; sa communicante contrôle les photographes. Un soir, quand même, elle met les pieds dans le plat : Ne faudrait-il pas réagir ? Couper court à tout ça ? « On en discute, se souvient l’ancien dirigeant de Radio France. Mais pour moi, la réponse était clairement non. J’étais une arme pour atteindre Macron. Ce n’était pas mon sujet. » Monique Denoix appelle tout de même Sylvain Fort, le communicant de Macron. « Je lui dis : “C’est plus possible. Il faut répondre. Il faut qu’on se coordonne.” Il me répond, un peu gêné : “Oui, sûrement... Bon, je vous rappelle.” » Au QG d’En marche !, Mathieu Gallet devient un sujet politique. Macron ne le traite plus à la légère comme il le faisait au début, devant son équipe, d’une boutade : « Ben dis donc, on va vite en besogne, pour un mec que j’ai vu trois fois dans ma vie... » Là, ça ne va plus. La France s’interroge et son épouse souffre. Il prend le micro sur la scène du théâtre Bobino : « Si, dans les dîners en ville, si, dans les boucles d’e-mails, on vous dit que j’ai une double vie avec Mathieu Gallet ou qui que ce soit d’autre, c’est mon hologramme qui m’a soudain échappé. » Aussitôt, la rumeur s’éteint.

Macron a gagné, une nouvelle ère s’ouvre. Mathieu Gallet revient tout doré du festival de Cannes, quand il apprend, par la presse, qu’il sera finalement jugé à Créteil. La plainte d’Anticor l’a rattrapé. Il y pensait, bien sûr, de temps à autre, en espérant que l’affaire soit classée. Finalement, Gallet est renvoyé devant la justice pour « favoritisme » pour deux contrats passés à l’Ina. C’est complexe, mais il faut s’y attarder afin de comprendre le fond du dossier. Le premier contrat concerne Roland Berger, un géant allemand du conseil, missionné pour restructurer le département des collections de l’Ina, un service de 500 personnes. Berger, qui avait déjà travaillé pour la maison, aurait été favorisé pour avoir su avant ses concurrents qu’une mission serait proposée et avoir reçu un avenant sans repasser par un appel d’offres pour un montant total de 290 000 euros. Les procédures ont été suivies en interne par les comptables, visées par un contrôleur de Bercy. Gallet n’était même pas présent aux réunions, mais il est le responsable juridique. L’autre contrat, plus problématique, concerne son ami Denis Pingaud. Mathieu Gallet était autorisé à l’embaucher sans appel d’offres jusqu’à 100 000 euros. Mais en trois ans, il a fini par atteindre 130 000 euros. Étrangement, aucun des deux consultants n’est renvoyé en justice. Tout semble indiquer que le tribunal de Créteil a voulu aller vite, comme s’il s’était brusquement réveillé.

Hasard peut-être : une semaine plus tôt, le 9 juin 2017, France Inter révélait l’affaire des assistants du Modem rémunérés par le Parlement européen. L’affaire allait coûter son poste au nouveau garde des sceaux, François Bayrou. Il a téléphoné au chef du service investigation de France Inter pour tenter de faire pression. « La concordance des affaires est troublante, c’est tout ce qu’on peut dire », résume Gallet. Il prépare son procès avec l’avocat Christophe Ingrain, un ami, associé du célèbre Jean-Michel Darrois, le sphinx du droit des affaires qui connaît bien Macron. Le PDG de Radio France est défendu gratuitement par des cadors. Il est confiant, si bien qu’il se positionne déjà pour prendre la tête de la future holding de l’audiovisuel public. Sa vision, écrite par sa plume (un normalien) dans une note de la fondation Terra nova, circule rue de Valois. Macron échange même avec lui sur le sujet, par texto. Quelques jours plus tard, Mathieu Gallet est distingué parmi les hommes de l’année du magazine GQ, catégorie « meilleur des ondes ». Malgré le départ de Frédéric Schlesinger et de Patrick Cohen à Europe 1, les audiences grimpent toujours : 1,2 million d’auditeurs encore gagné. La Maison ronde est le temple de la hype. Barack Obama en personne viendra bientôt y discourir. Gallet pose en nœud pap’ blanc, avant de fredonner des airs de Dalida au karaoké. Le lendemain, son chauffeur le dépose au pied du tribunal de Créteil.

L’avocat d’Anticor est scotché : « Il est beau comme une statue grecque, impressionnant de maîtrise. » Mais, à la barre, Jérôme Karsenti ne faiblit pas, déplaçant vite le débat au-delà des deux contrats litigieux. Il rappelle les abus « de petit marquis », les virées à Cuba avec quatre collaborateurs, les factures de blanchisserie et ce coach pris pour décrocher Radio France. À ses yeux, cela relève du « détournement de fonds publics », même si la justice n’a pas retenu ce chef d’accusation. La procureure acquiesce. Le conseil d’Anticor dénonce « l’hypocrisie du système », une procédure « bâclée, insuffisante ». Sur ce point, les défenseurs de Mathieu Gallet sont d’accord. « C’est une enquête à charge », s’indigne Christophe Ingrain, qui rappelle qu’elle repose surtout sur les témoignages d’Agnès Saal et de ses fidèles. Il plaide la nullité. Mathieu Gallet prend la parole vers 22 heures, pour répéter ce qu’il a toujours dit : « À mon arrivée à l’Ina, je n’avais jamais été confronté à des questions de marchés publics. Je me reposais sur mes équipes. Je ne me suis jamais penché dessus. » Vous auriez dû, vu vos diplômes, gronde la procureure. Le PDG de Radio France quitte Créteil au cœur de la nuit. Des SMS anxieux volent sur le chemin du retour vers ses collaborateurs. Il les briefe le lendemain par Whatsapp devant un steak saignant. « C’était pas la fête », se rappelle Sandrine Treiner.

Le jugement, rendu le 15 janvier 2018, est sévère : un an de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende, plus qu’Agnès Saal pour ses notes de taxis. Gallet est « sonné », mais il ne s’imagine pas condamné. Après tout, l’appel qu’il a formulé est suspensif. Et puis son bilan est si bon, dommage de ne pas finir le mandat, qui s’achève en mai 2019. Tous les amis, les anciens de Canal +, les copains des cabinets ministériels et du Siècle, ce cénacle de l’élite parisienne, font passer le message à l’Élysée et à Matignon. Comme d’habitude, Frédéric Mitterrand se mouille, même si « Mathieu » a parfois été ingrat, s’il l’a doucement évincé de France Culture, s’il a fallu ces derniers temps se contenter d’une gentille carte postée d’Amérique, de la maison de Yourcenar. Mathieu, il l’aime comme un petit frère. C’est ce qu’il dit à Françoise Nyssen, en ajoutant que ce garçon ne mérite pas ce qui lui arrive, qu’il a du talent. La ministre le sait. Elle connaît un peu le PDG de Radio France, qu’elle a croisé jadis à Arles, puis dans diverses mondanités, avant de déjeuner avec lui rue de Valois. Elle connaît aussi Agnès Saal, avec qui elle travaille aujourd’hui, pour promouvoir les femmes dans la culture. Françoise Nyssen avance prudemment. Elle prend acte de la décision de justice. « C’est à Mathieu Gallet qu’il revient d’apprécier les éventuelles conséquences de la décision », déclare-t-elle dans un premier temps. Plus tard, à 19 heures, un communiqué rappelle le devoir « d’exemplarité des dirigeants des établissements publics ». Ces deux déclarations ont été, comme d’habitude, visées par la conseillère culture de l’Élysée. Mais bizarrement, le lendemain matin, le ton change. Françoise Nyssen appelle soudain Mathieu Gallet « à prendre ses responsabilités » dans une interview au Monde donnée aux aurores. Séisme dans la Maison ronde. Ils sont désormais nombreux à penser que Mathieu Gallet est le seul capable de tenir tête à ce Macron tout-puissant qui a osé dire que l’audiovisuel public était « la honte de la République ».

Que s’est-il passé ? La cellule de communication du chef de l’État, si sensible aux bruits des réseaux sociaux, s’est-elle inquiétée des tweets qui frémissaient sur le thème : « Il n’arrivera rien à Gallet, son mec le protège à l’Élysée » ? Emmanuel Macron a-t-il donné des instructions dans la soirée, durant ces heures plus calmes où il réfléchit et textote à tout va, au côté de son épouse ? « Brigitte ne supporte pas Gallet, s’avance un proche du couple présidentiel. Elle a convaincu Macron qu’il fallait le lâcher. »

Il est toujours pratique de charger les femmes. Le PDG ainsi lourdement puni pouvait-il continuer à diriger Radio France, lancer les réformes à venir qui demandent de l’exemplarité ? C’est au CSA, légèrement sous pression, qu’il revenait de trancher, après avoir entendu le condamné. Il se présente devant les sages comme s’il jouait sa vie, entouré de quatre avocats, dont le seigneur Darrois en personne. « J’ai donné le meilleur de moi-même », souffle-t-il en sortant. Mais un coup de fil du président du CSA le prévient : c’est terminé.

Les remords d’Agnès Saal

Il n’est plus tout à fait le même ce mercredi d’avril à la gare d’Arcachon. Mathieu Gallet se laisse un peu aller, cheveux plus longs, légèrement grisonnants, polo brique, baskets. Il vient récupérer un copain, nous embarque dans sa Citroën de location. C’était le seul moyen de le voir une dernière fois. Ces temps-ci, il est souvent là, sur le bassin de son enfance où il s’est offert une petite maison moderne, près de la mer. Les amis passent. Il cuisine, se repose, fait du vélo en attendant de trouver du boulot. Les médias, la mode, le luxe... il multiplie les contacts, tout est ouvert. Ce mercredi, au restaurant, il suit sur son téléphone l’audition devant le CSA de Sibyle Veil, qui brigue sa succession à Radio France. C’est lui qui a recruté la jeune énarque. Il l’a coachée pour ce grand oral. Sa victoire lui mettra du baume au cœur. L’histoire finira par le réhabiliter, après le procès en appel. Il l’espère, en se répétant cette phrase de Nathalie Sarraute : « Tu te trompes quand tu vois tout en noir. » Qu’elle est étrange, la vie, tout de même. Un soir, il a reçu un SMS d’Agnès Saal. Elle voulait le voir. Café fixé un matin, à 8 h 45 en face de la Comédie Française. Elle s’est excusée : elle avait simplement répondu aux ordres de sa ministre, pas voulu faire de mal. « C’est vrai, Fleur Pellerin m’avait demandé de sortir tous les contrats de Gallet, me confirme Agnès Saal, un soir, petite chose en Perfecto noir, dans son bureau du ministère. Voilà, je tenais à le dire à Mathieu, soulager mon cœur. Il a payé cher, moi aussi. En somme, on est deux victimes des politiques. » C’est une manière de voir les choses. Mathieu Gallet l’a remerciée. Sur le chemin, troublé quand même, il a appelé sa mère. Ses mots lui reviennent cet après-midi devant l’océan émeraude. « “Tu aurais dû l’enregistrer”, m’a-t-elle dit. » Un ange passe : « Maman voit trop de séries. Qu’est-ce que ça aurait changé ? »

Cet article est paru dans le numéro 58 (Juin 2018) de Vanity Fair France