"Je préfère fermer les yeux sur l'infidélité de mon compagnon"

Par marie claire Corine Goldberger
mystère des femmes qui partagent
Pour la plupart d’entre nous, c’est un vrai cauchemar... Mais qui sont ces épouses ou maîtresses qui arrivent à vivre en paix avec un homme qui aime aussi ailleurs ?

Peut-on accepter l'infidélité de l'autre et simplement vivre avec ? Difficile d'être catégorique. Des sentiments s'emmêlent. "Quand on est délaissée pour moins bien que soi, ça porte au mépris. Pour la maîtresse, évidemment, pour l’homme, bien sûr, mais aussi pour soi-même. Une belle rivale, au contraire, provoque la haine mais entretient le désir. On regarde alors son homme autrement, comme un étranger que l’on découvre, ou plutôt comme sa maîtresse le voit... On le trouve plus viril, on se rappelle qu’il est beau », a ainsi décrypté Catherine Laborde, lors de la promo de son ouvrage La Douce Joie d’être trompée, sorti en 2007. 

Quand on a des sœurs, comme moi, on a l’habitude de partager. On n’est jamais l’unique. Au mieux la préférée... 

Accepter l’infidélité de l’autre, cela demande une bonne dose d’estime de soi. "Notamment savoir se mettre à l’abri du regard des autres, de l’étiquette "femme bafouée", a rajouté Catherine Laborde. Il faut savoir sortir de la complaisance masochiste et cesser de culpabiliser le traître jusqu’à plus soif. Ne pas l’accabler non plus lorsqu’il vous revient. Car ce n’est pas sa défaite, c’est le triomphe de l’amour !" 

Fermer les yeux est un réflexe de survie du couple, moins rare qu’on ne l’imagine. Voilà plusieurs années, en effet, que les sociologues nous annoncent la fin du couple fusionnel, au profit du couple  "fissionnel", comme l’appelle Serge Chaumier*, où chacun a droit à une vie en dehors de l’autre. Ce n’est alors plus la "monogamie" sexuelle qui est le socle de l’amour, c’est la longévité d’un couple. Pour certains même, sur le mode : "Fais ce que tu veux, pourvu que je n’en entende pas parler".. Mais on connaît les limites de cette nouvelle fidélité. Et quand, en plus, il s’agit de la vivre à sens unique, le pari semble encore plus risqué. Le partage, carrément scandaleux, insupportable.

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Pour percer leur mystère, nous les avons interrogées. Femmes trompées à répétition ou maîtresses à durée indéterminée... Elles racontent.

Nathalie, 38 ans : « Même trompée, on ne souffre pas à plein-temps »

Cela fait dix ans que Nathalie, cartographe de 38 ans, est en couple avec Bertrand. A l'entendre, ce dernier l'a toujours trompée, et elle s'en est toujours doutée. Mais Bertrand n'était pas son premier coureur de jupon. Nathalie a même du théorie là-dessus : "quand on a des sœurs, comme moi, on a l’habitude de partager. On n’est jamais l’unique. Au mieux la préférée... ". Une rengaine qui l'a habituée à partager. Bref, donc, Bertrand toujours eu des “aventures”, souvent avec des collègues de travail. Deux ou trois fois même, il a avoué. "Naïve, j’en déduisais que sa liaison était terminée. Pas du tout. Il me mettait juste au courant...", avoue-t-elle. 

Je crois que quand un homme infidèle fait l’amour à sa femme, c’est bien elle qu’il aime à ce moment-là. 

Curieusement, passé le cap du choc, de la colère, finalement, elle y trouvait mon compte. "Car cet aveu renforçait mon rôle de compagne officielle. C’était paradoxalement une preuve de complicité et d’amour. Sinon il m’aurait quittée. Qu’il me trompe ne signifiait pas qu’il ne m’aimait plus, mais qu’il me préférait", confie Nathalie, pensive. Avant de poursuivre, "j’ai beaucoup souffert, j’ai cassé de nombreux vases dans l’appartement avant de l’admettre". 

"Une fois, j’ai même compris qu’il ait craqué pour une autre : elle était vraiment sublime. Sa beauté m’a évité de tomber trop bas. Elle, c’était une "bombe". Je suppose que ça flattait mon ego. Plusieurs fois, à bout, j’ai proposé qu’on prenne de la distance. En réalité, j’attendais que l’histoire s’éteigne d’elle-même", explique alors la trentenaire, magnanime. Absorbée par son boulot, leurs enfants, la maison... elle découvre que, même trompée, on ne souffre pas à plein-temps. "J’attendais juste le moment où l’on se redécouvrirait. Et jusqu’à présent, les retrouvailles ont toujours eu lieu. Tout ça, au fond, est loin d’être aussi humiliant qu’on ne l’imagine. Ça peut même enrichir. La présence du danger, le fantôme de l’autre corps, en fait, érotise la relation", confie-t-elle, presque gênée. En tout cas, quand il me touche, je ne me dis jamais : "Là, il pense à elle." Je crois que quand un homme infidèle fait l’amour à sa femme, c’est bien elle qu’il aime à ce moment-là. 

Florence, 32 ans : « S’il avait été libre, il ne m’aurait pas plu autant »

A 32 ans, Florence a fait partie de ces femmes amoureuses d'un homme marié pendant deux ans. Elle était "sa favorite officielle" comme elle se plaisait à le lire alors. Cette militante engagée avoue aussi avoir très mal vécu leur rupture. "Eric, je l’ai rencontré dans une réunion politique : trois heures à refaire le monde, coup de foudre immédiat. Il dégageait une fantastique énergie physique et intellectuelle. Il était marié, mais ça ne changeait rien. Je n’ai jamais songé à l’avoir pour moi toute seule. Peut-être même que s’il avait été libre, il ne m’aurait pas plu autant...", débute-t-elle. L'indisponibilité de cet homme, faisait sensiblement partie de son charme aux yeux de la jeune femme. 


Mais Éric ne semble pas à l'aise avec le mensonge pour autant. Très vite, il parle de Florence à sa femme, lui expliquant qu’il était très attiré physiquement. Il lui montre même des photos... "J’avais accepté la situation, j’aimais bien mon rôle, et ce qu’il me donnait me suffisait. Mais l’officielle a été très forte, une redoutable stratège. Elle lui a dit : "Je vois que c’est sérieux, je ne peux pas lutter. Vas-y, vis cette relation à fond." Et on a continué à se voir, au grand jour. Comme elle voyage souvent, c’était divin : cinoches, balades enlacés et même vacances ensemble ! Je n’étais pas jalouse de ce qu’elle avait, elle : le quotidien, les couches-culottes..", raconte la trentenaire. 

Mais cette "tolérance" affichée était en fait un piège. "Elle m’a installée dans le rôle de la favorite officielle. Et quand je partais avec lui et qu’il l’appelait pour avoir des nouvelles de leur fille, elle ne lui faisait aucun reproche. Mais la petite était toujours patraque, elle-même n’allait pas fort... Lui culpabilisait. Bref, autant nous nous étions épanouis dans le secret, autant cette permissivité a fichu notre histoire en l’air", se souvient Florence. Et puis un jour, sentant qu’Eric était mûr, elle a sifflé la fin de la récré. A un retour de vacances, il m’a retransmis l’ultimatum : soit il me quittait, soit elle déménageait avec leur fille. "Nous avons beaucoup pleuré, ambiance "ce n’est qu’un au revoir", mais il a choisi la première option", conclut-elle, amère. 

Béatrice, 55 ans : « à moi le sexe et les virées, à elle sa mauvaise humeur ! »

Béatrice, divorcée, fait également partie de celles que l'on nomme "maîtresse" et ce depuis vingt-cinq ans déjà. Elle a rencontre Willy, celui qui fait battre son coeur depuis tant d'années à l'université de Glasgow. "Lui était enseignant, et je venais d'obtenir un poste de lectrice", débute-t-elle. Avant de poursuivre, "ça a été clair dès le départ : une histoire de sexe, un truc torride. Je ne savais pas comment ça se passait dans son couple – et je n’en sais toujours pas plus !"

Évidemment que durant toutes ces années, l'idée de quitter leurs conjoints respectifs a été évoquée, mais Béatrice refuse d'être une briseuse de famille

Depuis vingt-cinq ans que leur histoire dure, ils ont pris eux-aussi, leurs petites habitudes. "On se voit deux fois par semaine, le matin, et parfois, on s’offre un grand tour du lac à vélo. Sa femme est censée ne pas être au courant, mais il est possible, au bout de tant d’années, qu’elle ferme les yeux parce que ça l’arrange. Willy ne me chante pas les louanges de sa femme, mais ne la démolit pas non plus, ce que je trouve très bien", raconte ainsi Béatrice. Évidemment que durant toutes ces années, l'idée de quitter leurs conjoints respectifs a été évoquée, mais Béatrice refuse d'être une briseuse de famille. "Je craignais que Willy ne culpabilise et ne m’en fasse baver. Quant à lui, il avait lâché que, commençant à récolter les fruits de son travail universitaire, il n’était pas disposé à laisser une passion dévorer sa carrière", confie-t-elle. 

Entre eux, rien n'a trop changé. "On a gardé nos petits rituels. Parfois, on va passer des week-ends de trois jours à Paris. Nous dormons dans son pied-à-terre, dans les draps de madame. Et là, je découvre une tranche de quotidien avec lui. Un homme plutôt autoritaire, avec qui ça ne doit pas être drôle tous les jours. J’adore nos escapades, mais chaque fois je me dis qu’il ne faudrait pas que ça se prolonge. Finalement, à moi le meilleur : le sexe et les virées à droite à gauche. A elle ses mauvaises humeurs et ses crises d’autorité. Ça me va très bien", s'amuse-t-elle.

Il y a tout de même des frustrations : l’absence de vie sociale partagée. "Comme cette fête d’anniversaire donnée à l’université pour ses 40 ans. Toute sa famille était invitée. J’ai préféré rester devant ma télé plutôt que de devoir me tenir à l’écart. Parfois je me dis que s’il décédait, ce serait affreux de ne pas être au premier rang, avec la veuve... Pour compenser les manques, je trompe Willy de temps en temps. Récemment, je lui ai annoncé que je partais à Rome, en refusant de dire avec qui. Il a compris qu’il serait gonflé de me demander des comptes. J’applique ses consignes : “Never tell, never explain” (“Ne jamais rien dire, ne jamais rien expliquer”)", lâche-t-elle pour conclure. 

Clara, 40 ans : « L’épouse trompée a toujours une longueur d’avance sur la maîtresse »

Depuis 10 ans, Clara, comédienne de 40 ans, partage sa vie avec un infidèle, que l'on appellera Benoît. Les deux partenaires se sont rencontrés au sein même de leur troupe de théâtre. "J’avais découvert qu’il me trompait quelques semaines auparavant. Sur le coup, j’avais réagi comme tout le monde, entre larmes et colère. J’ai même pensé à me venger : prendre un amant, lui rendre la pareille... Tout bien réfléchi, copiner avec ma rivale m’a semblé plus judicieux, même si ce n’était pas si simple", raconte Clara, malicieuse.

"Je me rends compte aujourd’hui que ce qui m’a aidée, c’est le sentiment, tout au long de l’histoire, de rester la préférée. Moi j’avais dix ans de vie avec Benoît, un passé, une histoire, une complicité. Peu à peu, j’ai découvert que quand on est la trompée, on a le beau rôle, et qu’on peut en jouer sur tous les registres : victime; joueuse, prête pour la reconquête; guerrière, rendant coup pour coup. Avec zéro culpabilité et les bravos des copines. Et j’aimais bien l’imaginer, elle – l’autre –, pesante, barbante, rongée de remords", poursuit-elle. "J’ai aussi réalisé que j’avais toujours une longueur d’avance sur sa maîtresse".

Et puis Clara voit en ces infidélités, des signaux. "Grâce à elle, je savais quand il devenait urgent de changer de coiffure, de m’offrir des nuisettes affolantes, de ne plus traîner à la maison en jogging. Je l’imaginais coincée dans des habitudes étroites, des rituels (chez elle à telle heure, ou toujours dans le même hôtel.). Même dans l’adultère, la routine s’installe", explique-t-elle, très sûre d'elle. "Les maîtresses, en fait, n’ont droit qu’à une facette de leur homme, dans son rôle d’amant, avec obligation de légèreté. Elles ignorent toutes ses autres vies. Moi, j’avais fini par me convaincre que j’avais le meilleur de lui : presque tout le gâteau…".

Cela dit, lorsque, récemment, il lui a annoncé que c’était terminé avec son amante, elle a intérieurement crié victoire. "Mais je sais bien qu’il recommencera, j’en suis même sûre. Au fond, je crois d’ailleurs que je l’ai un peu choisi pour ça : les hommes fidèles sont souvent très plan-plan. Avec les menteurs, tant qu’ils vous aiment encore, au moins c’est l’aventure... ", conclut-elle.

« Les femmes trompées qui restent ont une bonne estime d'elles-même »

L'expert Patrick Blachère décrypte la personnalité de ces femmes qui vivent avec un infidèle et qu'il l'acceptent.

Marie Claire : Qui sont les femmes qui « ferment les yeux » sur l’infidélité de leur compagnon ?

Patrick Blachère : Une minorité de femmes qui n’en souffrent pas, ou peu, parce qu’elles sont bien dans leur peau, qu’elles ont souvent fait un travail sur elles-mêmes. Equilibrées, solides, matures, elles savent contrôler leurs pulsions agressives, ces passages à l’acte, via la vaisselle brisée, qui peuvent déclencher une escalade de violence conjugale. Elles réussissent aussi à gérer leurs affects dépressifs (« Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ? Suis-je si moche et si nulle ? »).

Dotées d’une bonne estime de soi, elles se sentent, même trompées, suffisamment valorisées dans toutes leurs facettes – de mère, de compagne officielle et aussi dans la sphère professionnelle –, pour encaisser le choc. Elles résistent aussi parce qu’elles se voient toujours désirables dans les yeux d’autres hommes, à un moment où elles sont particulièrement vulnérables.

M. C. : Est-ce plus simple d’accepter l’infidélité, si elle est plus sexuelle que sentimentale ?

P. B. : Un patient inconstant me disait : "Je ne vais pas embêter ma compagne avec les flatulences de l’inconscient." Les femmes trompées qui n’en font pas un drame savent comme c’est difficile, pour les deux sexes, de rester fidèle au long cours... Pour elles, l’infidèle écrit une poésie avec sa maîtresse, tandis qu’avec elles il bâtit un roman. Avec de nombreux chapitres. Elles pensent que leur compagnon ne partage que le lit avec sa maîtresse. C’est pourquoi elles se sentent les préférées.

M. C. : Plus ou moins facile d’accepter selon l’âge...

P. B. : Entre 25 et 35 ans, les femmes trompées ferment souvent les yeux pour ne pas perdre ce qu’elles ont à peine commencé à construire. A 40 ou 50 ans, c’est parce qu’elles comprennent, qu’elles peuvent "positiver" l’infidélité, relever le "défi" : en faire une excitante reconquête de leur homme, par exemple. L’infidélité peut alors agir comme un électrochoc à effet cathartique.

C’est un classique de voir des femmes trompées retrouver du désir pour leur partenaire. Mais il y a aussi des femmes chez qui ce regain de désir apparent est juste une forme d’hypersexualité dépressive : le plaisir, l’orgasme apaisent, comme la masturbation compulsive, l’alcool... Après 50 ans, le pacte de liberté amoureuse devient plus difficile à supporter pour les femmes, car leurs propres possibilités de jeu – prendre un amant à leur tour, par exemple – se réduisent.

M. C. : Y a-t-il des points communs entre les femmes trompées et les maîtresses qui acceptent de rester dans l’ombre pendant parfois des années ?

P. B. : Il faut aussi se méfier des rationalisations de celles qui revendiquent leur statut de "back street girl". Certaines affichent un bonheur apparent en se contentant de miettes. Il y a parmi ces femmes des profils "abandonniques", d’anciennes mal-aimées, un peu comme d’ex-enfants de la Ddass : elles ont terriblement peur de la rupture et ne peuvent se résoudre à mettre un terme à une relation, même frustrante, voire perverse et destructrice. Certaines femmes ne peuvent partager le quotidien avec un homme, parce qu’elles idéalisent la relation de couple et veulent la vivre hors réalité, sur le mode de la séduction permanente, ce qui est le propre des relations débutantes.

Or la relation parallèle, c’est une relation éphémère... qui recommence à chaque fois – contrairement à celle du couple solide, qui, elle, n’est pas un conte de fées. Oui, c’est un exploit permanent de garder une relation érotique au fil du temps, tout en devant penser à sortir les poubelles, acheter le pain et lancer une lessive. 

(*) auteur de « L’Amour fissionnel, le nouvel art d’aimer » (éd. Fayard).

Article publié initialement dans le magazine Marie Claire, en juillet 2008

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