ELLE. Pour vous, s’autoriser à être soi, c'est « dingue ». Pourquoi ?  

Fabrice Midal. À cause de la pression de la norme, dont on ne se rend pas compte, qui nous fait croire que l’on doit être d'une certaine façon pour être accepté, que si l’on se met un tout petit peu à nu, on va perdre le contrôle. Nous croyons donc que si nous gardons le contrôle en toute situation, alors on sera sauf. C’est une profonde erreur, parce que plus on veut garder le contrôle, moins on est soi-même, moins on est heureux.  

ELLE. C’est un mirage de se dire que l’on est déjà soi ? Quand on est seul, par exemple.  

F.M. Même quand on est seul, on a tendance à se censurer, le poids de la société est extrêmement fort. On se dit, « je n’ai pas le droit de ressentir ça, de vouloir ça, je suis complètement fou... ». On ne s’autorise pas. […] On n’est pas soi. Parce qu’on est prisonnier des injonctions de notre famille, de la société, on grandit avec une certaine vision du genre, les petites filles sont élevées d’une certaine manière... Et puis il y a beaucoup de pression, c’est très difficile de savoir ce que l’on aime, quels sont nos besoins, ce qu’on veut. Cela prend beaucoup de temps.  

ELLE. Respecter la norme, cela rassure non ? Alors pourquoi est-ce aussi important de prendre le risque d’être soi, de s'autoriser à l'être ?  

F.M. Quand on est soi, on est créateur de sa vie, on connaît sa propre puissance, on est détendu, et on est plus heureux. Quand on est soumis à la norme, on se sent mal, on sent qu’on n’est pas capable, alors qu’en réalité personne n’arrive jamais à être totalement dans la norme. Vous êtes dans un état de plus en plus inquiet, vous avez peur que ça déborde, vous êtes tout le temps obligé de vous surveiller. C'est quand même beaucoup plus simple d'être soi que de devoir jouer un rôle en permanence, c’est épuisant. Je pense que beaucoup de gens souffrent de dépression, d’angoisse, de souffrance, et de découragement. Ils ne se rendent pas compte, ils pensent que c’est peut-être dû à des problèmes circonstanciels, mais la cause de leurs problèmes c’est qu’ils ne sont pas eux-mêmes.  

ELLE. C’est dur d’identifier ces mécanismes-là, la pression de la norme. Comment fait-on pour s’en rendre compte ?  

F.M. La première chose à faire ici, c’est de se rendre compte qu’être soi, ce n’est pas une faute. Parce qu’on a l’impression qu’on n’a pas le droit d’être soi, qu'il faut se sacrifier pour les autres, qu’il faut obéir aux normes sociales sinon c’est mal. Or on se rend compte qu’au contraire, plus je suis moi-même, plus je suis libre, plus je connais ma force, plus je peux aider le monde et les autres. Ça c’est déjà une première étape.  

ELLE. Quand on s’est rencontré soi-même, que l'on est soi-même, qu'est-ce qui change dans notre rapport aux autres ?  

F.M. On est libre. On a moins peur du jugement de l’autre en permanence. On sait qu’être dépendant du jugement des autres, c’est être complètement inhibé, on ne peut plus rien faire. […] La norme finalement, c’est une illusion. Nous sommes tous singuliers. Tout le monde a quelque chose de singulier, d’un peu étrange, d’un peu bizarre, une blessure... 

ELLE. En réalité, on n’arrête jamais de s’autoriser, de se rencontrer.  

F.M. Être soi, c’est un travail de toute une vie, on se rend compte régulièrement qu’il y a des choses qu’on ne s’autorisait pas, qu’on n’osait pas toucher. S’autoriser à être soi, c'est une vie exaltante. C’est un travail, tout le temps à reprendre, qui est passionnant. 

ELLE. Si l’on veut approfondir la question, quelles lectures suggérez-vous ?  

F.M. Il faut lire les contes de fées. Parce qu’il est toujours question de ça. Le Petit Poucet n’est pas dans la norme, il accepte sa singularité, il accepte d’être soi, d’être petit, malin, de ne pas répondre à l'attente de ses parents... Et il trouve une solution. Tous les contes de fées disent des choses extrêmement profondes, il suffit de relire les contes sous cet angle, c’est-à-dire comment quelqu’un d’abord obéit aux autres et finalement ose être un peu lui-même. Un autre exemple : la Belle et la Bête. La Belle est prisonnière de la convention qui établit qu’une bête est horrible, et puis doucement elle découvre son besoin et tout se transforme.