POLITIQUE - “La loi sécurité globale vient affirmer que l’État est autoritaire.” Et c’est Nathalie Sarles, une députée LREM qui le dit, comme une preuve des doutes qui parcourent la majorité à quelques heures du vote solennel de ce texte très contesté.
Fait assez rare depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, plusieurs élus marcheurs affichent publiquement leur hostilité à la politique voulue par le gouvernement, et incarnée par l’omniprésent Gérald Darmanin en matière de sécurité. Et cette inquiétude ne s’est pas apaisée après la diffusion de vidéos de l’évacuation violente de la place de la République, occupée par des centaines de demandeurs d’asile, lundi 23 novembre dans la soirée.
Le timing est de fait désastreux pour le ministre de l’Intérieur qui porte, depuis plusieurs jours, la volonté de réglementer les vidéos de policiers en fonction. L’ancien député UMP, qui s’attache à défendre corps et âme l’image des forces de l’ordre depuis son arrivée place Beauvau, au point de réfuter toute idée de “violences policières”, est placé, de force, devant des scènes aussi brutales qu’éloquentes.
Darmanin confronté aux violences policières...
Publiées sur les réseaux sociaux, de nombreuses séquences montrent pêle-mêle un policier asséner un coup de pied dans le ventre d’un manifestant, un autre s’en prendre physiquement, à plusieurs reprises, au journaliste Rémy Buisine ou encore des forces de l’ordre pourchasser les réfugiés hors de la capitale. Sans parler des croche-pieds distillés çà et là... ou de l’évacuation manu militari de tentes, dans lesquelles se trouvaient encore leurs occupants, comme vous pouvez le voir ci-dessous.
Des “images insupportables”, “un déchaînement de violence” et une “dérive liberticide” pour la gauche, les écologistes et de nombreux observateurs, rejoints par certains élus de la majorité. À tel point que Gérald Darmanin s’est senti obligé de réagir par tweet dans la soirée, exigeant une enquête “circonstanciée” après des images “choquantes”, avant de finalement saisir l’IGPN le lendemain.
Côtés marcheurs, l’embarras est palpable. “Les images de l’évacuation du campement de migrants place de la République hier soir à Paris sont profondément choquantes et inacceptables. On ne répond pas à la détresse et la misère par la brutalité”, estime le député Pieyre-Alexandre Anglade. Yaël Braun-Pivet, la patronne de la Commission des lois à l’Assemblée plaide à son tour pour que “les conséquences” “soient rapidement tirées.”
C’est une des questions qui se posent désormais: que va faire Gérald Darmanin à la réception des conclusions de l’IGPN, attendues d’ici 48 heures? Le ministre de l’Intérieur qui “s’étouffe” quand il entend l’expression violences policières, va-t-il agir contre ces pratiques qui se répètent manifestation après manifestation?
Le communiqué de Marlène Schiappa donne peut-être le ton: la ministre chargée de la Citoyenneté se fend, ce mardi, d’un texte co-signé avec la ministre du Logement Emmanuelle Wargon dans lequel elle promet des solutions pour les réfugiés et... occulte les scènes de violences qui ont émaillé l’évacuation de la place de la République. “Les migrants sont des personnes qui doivent être traitées avec humanité et fraternité”, écrivent-elles simplement à ce sujet.
... et à l’importance des images
Reste que ces événements tombent particulièrement mal pour les locataires de la place Beauvau. Les opposants à l’article 24 de la loi sécurité globale, qui doit être adoptée ce mardi à l’Assemblée, estiment que ces scènes sont le meilleur argument contre la réglementation de la diffusion d’images de policiers. Et ils ne manquent pas de le rappeler à Gérald Darmanin, qui s’est appuyé sur les vidéos de journalistes et militants pour fonder sa demande d’enquête auprès du préfet.
Même une co-fondatrice d’En Marche, dans le sillage de plusieurs députés de la majorité, reprend le ministre de l’Intérieur de volée. “Cher Gérald Darmanin, les conditions d’expulsion des migrants place de la République sont tout simplement indignes”, écrit Astrid Panosyan sur Twitter. Ajoutant: “c’est une bonne chose qu’elles aient pu être filmées pour que les images soient diffusées et que l’enquête que vous lancez soit rendue possible.”
Une petite pique qui s’explique par l’insistance de l’ancien maire de Tourcoing à vouloir réglementer ces vidéos. Le ministre de l’Intérieur a notamment plaidé un temps pour le floutage du visage des policiers, pour “protéger ceux qui nous protègent”, au point de susciter la crispation de son camp, la colère des journalistes, les critiques de l’ONU, la mise en garde de la Commission européenne et les remontrances de la Défenseure des droits.
Claire Hédon estime que cet article en question “crée des obstacles au contrôle de l’action” des forces de l’ordre. Ce qui ne semble pas franchement opportun dans le contexte actuel.
Hasard des agendas, la Défenseure des droits demande dans le même temps, ce mardi, des “poursuites disciplinaires” contre les policiers impliqués dans l’affaire Théo, devenue un des symboles des violences policières. Après trois ans d’enquête, elle pointe une “accumulation de manquements” à tous les niveaux de la hiérarchie et rappelle, au passage, que les forces de l’ordre mises en cause ont pris soin de disparaître hors champ des caméras de vidéosurveillance pendant “2 minutes et 20 secondes.”
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