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Pourquoi la fake news d’une journaliste du Washington Post sur les musulmans français n’est pas anecdotique

«Rédatrice en chef de la rubrique opinion du Washington Post, Karen Attiah a ainsi estimé sur Twitter qu’Emmanuel Macron avait pour projet d’attribuer des numéros d’identification aux enfants musulmans.» Eduardo Munoz/REUTERS

FIGAROVOX/TRIBUNE - La rédatrice en chef de la rubrique opinion du Washington Post, Karen Attiah, a prétendu à tort (avant de retirer son tweet et s’excuser) qu’Emmanuel Macron avait pour projet d’attribuer des numéros d’identification aux enfants musulmans, rappelle Mathieu Slama. Selon l’analyste politique, il est désormais habituel dans la presse anglo-saxonne de lire des articles à charge contre la politique française à l’égard de l’islam.

Consultant et analyste politique, Mathieu Slama collabore à plusieurs médias, notamment Le Figaro et Le Huffington Post. Il a publié La guerre des mondes, réflexions sur la croisade de Poutine contre l’Occident, (éd. de Fallois, 2016).


C’est désormais une routine dans la presse anglo-saxonne que de lire des articles à charge sur la laïcité à la française, soupçonnée d’être le paravent de politiques racistes et islamophobes. On se rappelle, par exemple, de cette tribune du New York Times du 31 octobre, titrée «Est-ce que la France nourrit le terrorisme islamiste en essayant de le prévenir?», accusant Macron et sa loi sur le séparatisme de discriminer les musulmans et d’alimenter ainsi leur ressentiment.

Le même New York Times analysait, le 26 octobre, la décapitation de l’enseignant Samuel Paty sous le prisme de la «faillite de l’intégration», mettant en cause le modèle laïque français comme inadapté à sa diversité démographique grandissante. Ces critiques ne datent pas d’hier. Déjà en 2015, le New York Times s’attaquait à la vielle tradition laïque française opposée à la «nouvelle réalité de la France».

C’est une journaliste du Washington Post, éminent journal de centre-gauche américain, qui a hier remis le couvert sur cette question, cette fois en relayant purement et simplement une fake news. Rédatrice en chef de la rubrique opinion du Washington Post, Karen Attiah a ainsi estimé sur Twitter qu’Emmanuel Macron avait pour projet d’attribuer des numéros d’identification aux enfants musulmans.

La ministre pakistanaise des droits de l’Homme Shireen Mazari (...) a osé comparer la France au régime nazi

Cette fake news (car c’est évidemment faux) est née de plusieurs sources sur Twitter déformant un article de la BBC sur les mesures envisagées par le gouvernement français pour lutter contre l’islamisme, parmi lesquelles le fameux numéro d’identification. C’est en s’appuyant sur cet article que plusieurs personnalités anglaises et américaines, dont Karen Attiah, ont créé cette fake news qui a aussi été relayée par le média londonien Muslim Vibe, puis reprise notamment par la ministre pakistanaise des droits de l’Homme Shireen Mazari qui a osé comparer la France au régime nazi (avant de rétropédaler face à l’ampleur de la polémique et aux réactions officielles du gouvernement français).

Cet épisode serait anecdotique s’il ne participait pas à une critique plus globale de l’islamophobie supposée du gouvernement français, critique qui, dans son exagération et ses outrances, contribue à la mise en danger des Français sur leur sol ainsi qu’à l’étranger. Mais surtout, cet épisode est important parce qu’il révèle l’immense malentendu qui existe entre la France et les pays anglo-saxons (du moins son élite libérale et «éclairée») sur son rapport aux religions et à la question laïque. Mais ce malentendu, en réalité, n’en est pas un. C’est un combat idéologique, assumé, qu’il faut reconnaître et mener frontalement sans lâcher un bout de terrain à l’adversaire.

Ce combat se joue dans les termes suivants: la France a ses propres valeurs qui ne sont pas celles des États-Unis ou de l’Angleterre (ou de tout autre pays), et la laïcité française n’est pas le sécularisme anglo-saxon. Elle est nourrie de combats âpres entre l’État et le catholicisme (ce même catholicisme qui a, paradoxalement, nourri l’émergence de la pensée laïque), entre les laïques et les clercs, entre intellectuels ; elle n’est pas libérale mais étatiste, c’est-à-dire qu’elle implique la possible intervention de l’État pour garantir que les religions ne sortent pas de la sphère privée. Il y a, évidemment, des opposants fermes à ce modèle en France même, et c’est la grandeur démocratique de la France que de permettre de tels débats.

Beaucoup de médias et journalistes anglo-saxons voient dans la laïcité française une forme de racisme. Leur conception multiculturaliste de la nation, cohérente avec la philosophie politique dominante dans leurs pays, implique une approche libérale de la laïcité, vue comme la garantie des libertés religieuses plutôt que comme un garde-fou contre l’intolérance religieuse.

Cette conception libérale de la laïcité aboutit à une approche restrictive, et disons-le liberticide, des libertés publiques

Le grand paradoxe est que cette conception libérale de la laïcité aboutit à une approche restrictive, et disons-le liberticide, des libertés publiques. Car pour protéger les libertés religieuses et les minorités, il faut censurer. Censurer toute atteinte à la sensibilité des expressions religieuses et communautaires. Plusieurs médias anglo-saxons ont ainsi critiqué la diffusion de caricatures moquant les symboles religieux de l’islam, comme celles de Charlie Hebdo. Autrement dit, ces médias et intellectuels voudraient rétablir, en France, l’interdiction du blasphème.

Cette ingérence idéologique est insupportable. La notion de blasphème est totalement étrangère à la France et à ses valeurs. C’est pourquoi la défense des caricatures de Charlie Hebdo est si importante: il en va des valeurs fondamentales qui fondent notre pays et sa culture. C’est un élément non négociable de ce que nous sommes.

Certaines réactions en France à cet épisode sont tout aussi révélatrices du malaise qui existe au sein même de notre pays. Ainsi la journaliste Rokhaya Diallo a estimé que les réactions outrées à la fake news de Karen Attiah étaient dues à «l’expression de non-blanc.he.s (sic) décrivant la France selon leurs propres termes». Autrement dit: on attaque Karen Attiah parce qu’elle est noire. Que les catégories populaires, y compris issues de la diversité, soient sous-représentées dans les grands médias est une évidence, et il faut naturellement le dire sans pour autant tomber dans cet excès racialiste et identitaire dont est coutumière Rokhaya Diallo. Mais en l’occurrence, ce n’était ni le sujet, ni le réflexe approprié.

Là encore, il faut préciser plusieurs choses. La première, c’est que l’on retrouve ici les réflexes habituels de cette gauche obsédée par les questions identitaires (mais qu’on entend si peu sur les inégalités sociales), qui voit dans toute polémique l’expression du racisme systémique français. Cette gauche donne des leçons à la terre entière et s’improvise organisatrice du débat public, de ce qu’il faut dire ou ne pas dire. Tout discours critique sur l’islam devient un «discours de haine» qu’il faut interdire.

La liberté d’expression doit permettre de dire ce que bon nous semble, sans se soucier des sensibilités que l’on heurterait par nos mots

La pauvre Mila en a fait les frais, elle qui s’est permise de critiquer outrageusement (mais c’est son droit!) la religion musulmane, avant de subir un harcèlement d’une violence inouïe et d’être critiquée par une partie de la gauche antiraciste qui voit de l’islamophobie partout et de l’intolérance religieuse nulle part, alors que la pauvre jeune femme est chaque jour menacée de mort pour avoir parlé. Il y avait là un combat pour les libertés essentiel.

Mais beaucoup ont préféré regarder ailleurs, relativiser, dénoncer un «deux poids deux mesures» qui discriminerait l’islam et les musulmans ou pire encore, comme Ségolène Royal qui estimait, dans une interview lunaire sur la chaîne CNEWS, que «la liberté d’expression ne permet pas de dire et de faire n’importe quoi». Alors que justement si, la liberté d’expression doit permettre de dire ce que bon nous semble, sans se soucier des sensibilités que l’on heurterait par nos mots.

Mais passons. L’essentiel est encore ailleurs. Il est dans cette importation, malheureuse et dangereuse, de valeurs qui sont fondamentalement étrangères à la culture et à l’histoire françaises. Le multiculturalisme, dont la plupart des théoriciens sont anglo-saxons (le canadien Charles Taylor pour ne citer que lui), appartient à un monde idéologique très éloigné du modèle politique français, construit autour d’un État fort et d’une vision de la nation et du peuple comme un bloc.

L’ironie est que cette vision multiculturelle a été développée dans les campus américains à partir d’interprétations des pensées structuralistes françaises, de Derrida à Bourdieu. Ces théories sont certes intéressantes, et doivent continuer à irriguer les travaux universitaires, mais elles ne peuvent pas se traduire politiquement en France. Cela reviendrait, tout simplement, à transformer le modèle français en modèle anglo-saxon, avec pour conséquences la disparition de notre esprit critique, de notre liberté d’impertinence et d’outrance, de notre liberté d’expression, bref de tout ce qui fait de la France une terre de libertés et d’esprit.

L’été dernier, le rédacteur en chef de la page éditoriale du New York Times démissionnait après qu’une pétition avait circulé au sein du journal

Car c’est bien cela qui est en jeu, derrière cette bataille: la sauvegarde de nos libertés et le refus de ce modèle libéral anglo-saxon qui est, en réalité, une énorme machine à produire de l’intolérance et de la censure. Rappelons-nous: l’été dernier, le rédacteur en chef de la page éditoriale du New York Times démissionnait après qu’une pétition avait circulé au sein du journal pour critiquer son choix d’avoir ouvert ses pages à un élu républicain qui réagissait (certes de manière polémique et critiquable) à la mort de George Floyd.

Un an auparavant, ce même journal annonçait, après une polémique sur une caricature jugée antisémite, qu’elle renonçait à publier dorénavant des dessins de presse politique dans les colonnes de son édition internationale. Quelle démission! Quelle régression! Cette gauche-là, bourgeoise, obsédée par la race et les identités, qui a totalement renoncé à la lutte des classes parce qu’elle n’a jamais lu une ligne de Marx et qu’elle n’a aucune idée de ce que vivent les classes populaires, cette gauche défend donc, au nom de la tolérance, des mesures d’une intolérance inouïe.

Les conséquences d’une telle idéologie, on les connait. Donald Trump aux États-Unis est aussi le produit de ce monde qui, dans son obsession de la pureté idéologique et sa traque aux opinions divergentes, s’est progressivement éloigné du peuple et de ses aspirations. Le New York Times lui donnerait presque raison, lui qui n’avait de cesse, pendant ses quatre années de mandat, de critiquer les «fake news media».

Le gouvernement français, quant à lui, a raison de tenir bon sur la défense de son modèle laïque ; il faut, pour cette fois, le lui reconnaître. Et ne pas laisser un bout de terrain aux adversaires de ce que nous sommes, de notre liberté si durement acquise, quand bien même nous aurions le monde contre nous.

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99 commentaires
  • Obélix 59

    le

    Venant d' un pays ou les billets de banque sont tous marqués " nous croyons en dieu ", et ou les nouveaux présidents prêtent serment sur la Bible , ce n' est pas étonnant ... On est loin de ça en France

  • anonyme 29607

    le

    C'est bien écrit et agréable à lire. Les idées sont bien formulées et claires. Cependant j'ai l'impression que cet article n'est pas objectif et laisse peu de place à la réflexion, ce qui est dommage sur un sujet aussi riche que la laïcité France. D'un autre côté qui peut se revendiquer objectif à 100% aujourd'hui... Un mal pour un bien on dira.

  • Oxymore76

    le

    Je suis pour la création d'un CAP de journalisme , voire BP pour les meilleurs au niveau mondial

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