C’est ce qui s’appelle un bon timing. En germe depuis trois ans, l’exposition Histoire naturelle de l’architecture qui s’ouvre ce week-end au Pavillon de l’Arsenal à Paris (entrée libre, voir les éléments pratiques ici) explique notamment comment les épidémies ont façonné les villes et les bâtiments. Mais cette exposition est loin de se concentrer sur ce seul aspect, puisqu’elle retrace depuis le Néolithique comment des éléments extérieurs, non humains (les maladies, l’énergie, le climat...) ont façonné la forme, l’esthétique des villes et des bâtiments.

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Face à une vision très culturelle et intellectuelle de l’architecture, le commissaire scientifique de l’exposition Philippe Rahm, architecte et docteur en architecture, propose une relecture différente de sa discipline en s’appuyant uniquement sur des données objectives, matérielles, physiques ou biologiques. Organisées de façon chronologique, l’exposition se développe sur 13 petites salles avec quelques objets, documents et photos et surtout un intitulé parfaitement concret, souvent d’apparence loufoque, mais qui permet de se cultiver de manière ludique.

Alimentation plus riche et bâtiments plus hauts

On découvre comment le pain mais aussi la bière ont inventé la ville, car il fallait stocker le blé et disposer de matériel dans un emplacement fixe pour faire fermenter les céréales. On en apprend plus aussi sur le lien entre espace public et recherche de fraîcheur. La basilique religieuse et l’église en général sont ainsi un prolongement de la basilique civile romaine, espace public couvert où l’on s’abrite notamment de la chaleur. Vu sous cet angle, la construction en hauteur des églises permet d’évacuer la chaleur et pas seulement de se rapprocher du ciel et le marbre, au-delà de l’impression de puissance qu’il dégage, rafraîchit également l’air.

Et le rapport entre petit pois et architecture gothique évoqué en titre de cet article? Il fait tout simplement référence à l’introduction de l’assolement triennal dans l’agriculture du Moyen-Âge. Jusqu’alors, les paysans alternaient une année de culture de blé avec une année de jachère avant de découvrir qu’ils pouvaient y intercaler une année de culture de légumineuses, comme les pois et autres petits pois. Résultat: une agriculture beaucoup plus productive et surtout plus nourrissante avec un apport de protéines.

Alors que la première partie du Moyen-Âge (avant l’an Mille et l’avènement de ces techniques de cultures) se caractérise par des hommes et du bétail faibles et chétifs et une architecture rudimentaire dont il ne reste pas de traces, les hommes mieux nourris deviennent plus forts et leurs projets de constructions sont plus audacieux. Les flèches gothiques pourront alors s’élever toujours plus haut dans le ciel. Philippe Rahm fait ainsi le lien direct entre énergie et hauteur de construction. Et c’est ainsi qu’il faudra attendre l’arrivée d’une autre forme d’énergie, non humaine cette fois-ci, le charbon avant le pétrole, pour donner naissance aux gratte-ciel.

Feuilles de menthe et parcs urbains

De la même manière, vous apprendrez comment quelques feuilles de menthe ont contribué à la création des grands parcs urbains de Londres, New York ou Paris ou encore le lien entre la viande des Grisons, spécialité suisse de viande séchée et la vogue des sanatoriums. Quant à l’importance des épidémies dans l’urbanisme, l’exposition rappelle que jusqu’aux découvertes de Pasteur, l’ennemi était l’air confiné, cet air «méphitique» qui véhicule la maladie. D’où notamment ces coupoles que l’on retrouve dans les grands hôpitaux comme dans les églises qui ont vocation à évacuer l’air mais aussi tout simplement les grandes percées haussmanniennes qui n’auraient pas eu une vocation exclusivement sécuritaire mais devaient servir aussi à évacuer l’air vicié. À l’époque, ce n’était pas le Covid mais le choléra que l’on craignait car il avait causé des dizaines de milliers de victimes dans les grandes villes et notamment dans les vieux quartiers. Au final, la plus grande aération n’a eu aucun impact réel car la maladie se diffusait en fait par l’eau.

Et si l’exposition ne se prononce pas sur l’impact qu’aura la crise sanitaire sur l’architecture et l’urbanisme, elle ouvre néanmoins des perspectives sur l’évolution de nos bâtiments au temps de la lutte contre le réchauffement climatique. Les exemples sont moins savoureux que pour le passé mais on y rappelle que l’isolation thermique revient au goût du jour après le règne sans partage du chauffage et de la climatisation, tout comme l’inertie des bâtiments ou encore la recherche d’énergies alternatives. Et pour tous ceux qui souhaitent prolonger et/ou approfondir l’ensemble de ces réflexions, le livre «Histoire naturelle de l’architecture», adaptation de la thèse soutenue par Philippe Rahm, reprend en 13 chapitres les 13 salles de l’exposition.