Lous and the Yakuza, Aloïse Sauvage, Chilla... Ces chanteuses qui bousculent les genres

Les artistes francophones sont nombreuses à multiplier les millions de vues. Toutes âgées d’une vingtaine d’années, elles représentent la nouvelle génération d’interprètes musicales de la langue de Molière. Qui sont-elles ?
Lous and the Yakuza Aloïse Sauvage Chilla... Ces chanteuses qui bousculent les genres
Capture d'écran

Elles sont à mi-chemin entre pop, rap et chanson française. Peu importe l’étiquette : elles sont incasables, inclassables et incassables ; tantôt kickeuses à la plume acerbe, tantôt interprètes à la voix ensorcelante. Modernes, libres et talentueuses, Lous and the Yakuza, Aloïse Sauvage, Chilla, Bonnie Banane ou encore Aya Nakamura sont le futur de la musique francophone. Parlons peu, parlons musique.

Passage obligatoire pour « percer » et bénéficier d’une reprise médiatique : les studios berlinois de la chaîne YouTube COLORS, qui définissent les tendances musicales du moment. Lous and the Yakuza y a interprété son single « Bon acteur », issu de son premier album, Gore, sorti le 16 octobre dernier.

Tatouée sur le front d’un Y avec un point au milieu, symbolisant « les mains levées vers le ciel », Lous and the Yakuza chante sa rupture avec un « très bon acteur », qui a joué la comédie avec elle. Pas grave. Accompagnée de son équipe de Yakuza, Lous (comprendre « soul » en verlan et « âme » en anglais), continue son chemin vers le succès.

Son album, intitulé Gore, parle de son expérience de 24 années douloureuses passées sur Terre. Née en République Démocratique du Congo, elle voit dès ses deux ans sa mère arrêtée et enfermée en prison pour des raisons politiques. Court séjour en Belgique, puis retour en Afrique, au Rwanda, jusqu’à ses 15 ans. Bac obtenu en Belgique ; prix d’excellence en physique et latin, Marie-Pierre Kakoma est bonne élève, mais elle ne souhaite pas être médecin comme ses parents (son père est gynécologue, sa mère pédiatre), elle veut être chanteuse.

Alors, elle se trouve un job alimentaire pour subsister à ses besoins. Problème : plus le temps de se consacrer à la musique quand de 8 heures à 17 heures elle travaille. Dégringolade. Elle se retrouve à la rue, passe des soirées à chanter avec d’autres SDF, subit des agressions sexuelles, se rapproche des travailleuses du sexe, fait des allers-retours à l’hôpital, se met à vendre de la drogue pour se faire un peu d’argent…

Cette période de sa vie paraît loin aujourd’hui : elle a défilé à la dernière Fashion Week de Paris pour Louis Vuitton. Mais cette sombre partie de son existence est racontée dans l’album. Sa chanson « Quatre heures du matin » raconte un viol, adoptant à la fois le point de vue de la victime et le point de vue de l’agresseur. Saisissant, glaçant, troublant. Elle aborde également des thématiques raciales dans « Dilemme » : « Ma peau n’est pas noire, elle est couleur ébène » et s'interroge dans « Solo » : « Pourquoi le noir n’est-il pas une couleur de l’arc en ciel ? »

Elle apparaît également sur le titre « CŒUR EN MIETTES », issu du nouvel album de DamsoQALF, avec qui elle partage des points de ressemblance dans son expérience de vie. Avant ça, son duo avec Hamza « Laisse-moi » avait lui-aussi aussi été remarqué.

Les langues se délient

L’expression décomplexée des artistes féminines actuelles est résumée par Aloïse Sauvage dans une interview au journal belge L’Echo : « Ce qui m’apparaît, c’est que les femmes de ma génération sont plus décomplexées quant à leur liberté d’expression. On dit les choses plus frontalement. J’aime beaucoup le rap qui a déconstruit la manière de faire une chanson. Avant, tu faisais six phrases et un refrain. Aujourd’hui, la liberté de ton est plus grande. »

Alors, la fille de documentaliste et de proviseure originaire de Seine-et-Marne s’applique à exercer cette liberté de ton dans ses musiques. Après un premier EP remarqué intitulé Jimy, elle sort son premier album fin février, Dévorantes, dix jours avant le confinement lié à la pandémie de coronavirus. Elle dit faire de la chanson française.

Aloïse Sauvage utilise de l’autotune, exorcise son spleen dans des textes poétiques dansants, comme dans « Et cette tristesse » et refuse d’être catégorisée comme militante. Mais ses textes sont engagées : « Omowi » (comprendre « homo oui ! ») dont le refrain est : « Les pds sont beaux, j’ai osé rêver que tout le monde enfin le voyait », est une ode à l’homosexualité.

Elle joue avec les expressions populaires comme « va te faire enculer », qu’elle transforme en « va te faire cunnilinguer ». Déjà avec son titre « Jimy », elle montrait son attachement à la liberté d’aimer qui on souhaite. Dans ce nouvel opus, elle exprime son désir foisonnant dans le titre « Dévorantes » : « Moi j’ai envie de toi, t’as envie de moi, j’ai pas compris que toi tu voulais bien » et la nécessité du consentement. Dans « À l'horizontale », elle invite clairement à un rapport sexuel.

Mais les sujets de ses chansons sont aussi plus sombres, comme « Papa » et « Tumeur ». Celle qui a appris la musique au Conservatoire du Mée-sur-Seine, joue de la flûte traversière, de la batterie et du saxophone. Passée par l’Académie Fratellini, la formant au théâtre, à la danse et au cirque contemporain, elle a été sacrée « Révélation scène » aux Victoires de la musique 2020. Également actrice, elle a été remarquée dans le film de Robin Campillo, 120 battements par minute.

Génération post #MeToo

Bonnie Banane est elle aussi comédienne et chanteuse. Après de nombreuses collaborations avec Jazzy Bazz, Nekfeu, Flavien Berger, Myth Syzer et deux EP, elle sort à 28 ans son premier album, Sexy Planet, le 13 novembre prochain. Sa voix suave est identifiable dès la première écoute, son univers planant, comme une volute de cigarette, le rend addictif. Dans un de ses derniers single, « Limites », elle raconte l’agression sexuelle de l’une de ses amies. « Non, c’est non », martèle-t-elle.

Le consentement et la sexualité à l’ère post #MeToo a été un des thèmes les plus abordés par les jeunes artistes, comme Chilla. En janvier 2018, elle lâchait « #Balancetonporc », atomisant les injonctions à la fellation, les invitations à la promo canapé à coup de punchlines : « Y a trop d'faux culs qu'ont capitulé à la Tarantino » (le réalisateur avait admis connaître les viols et agressions sexuelles commis par son producteur historique Harvey Weinstein). Tessae, 19 ans, a également traité ce sujet dans « Salope ».

D’autres artistes comme Meryl se sont complètement approprié les codes du rap, parlant de « moula » (argent) dans son titre « Coucou », agrémenté d’autotune, sorte d'hymne aux prostituées. Tessa B, elle,joue avec son sens de l’humour et tourne en dérision une rupture dans son titre « Fais-moi signe » : « Quand tu m’voudras, tu m’trouveras… ou pas ».

**Wejdene**et Aya Nakamura représentent aussi cette nouvelle génération de chanteuses. La première a sorti son premier album 16 le 25 septembre dernier ; la deuxième dévoilera le 13 novembre prochain Aya, son deuxième et très attendu second album. Un premier extrait a été dévoilé le 9 octobre ; il raconte les débuts d’une relation avec un certain « Doudou ». S’il apparaît évident qu’elle ne parle pas du maire du Havre, Édouard Philippe – dont c'est le surnom – de qui peut-elle bien parler ? Mystère…

De nombreuses artistes avaient, dans les années 2000, ouvert la voie : Diam’s, Keny Arkana, Casey… La place grandissante des femmes dans les maisons de disque françaises (Pauline Duarte chez Epic Records de Sony, Pauline Reignault chez Polydor, Juliette Thimoreau chez Bendo Music) et les initiatives comme « Rap2Filles Souterraine » (une compilation de freestyles 100% féminins de l’underground francophone à paraître prochainement), annoncent une dynamique féminine dans le milieu de la musique urbaine française. Pour le bonheur de nos oreilles.