Récit

Un an après Lubrizol, rien de bien neuf contre le risque industriel

Les ministres de la Transition écologique et de l'Industrie, Barbara Pompili et Gérald Darmanin, ont rappelé jeudi à Rouen le «plan d’action» gouvernemental mis en œuvre depuis l’accident de Lubrizol il y a un an. A la grande déception des professionnels concernés.
par Coralie Schaub, Photo Denis Allard
publié le 24 septembre 2020 à 19h32

Peu d'avancées pour la prévention du risque industriel. C'est ainsi que l'on pourrait résumer le «plan d'action» gouvernemental mis en œuvre depuis l'accident de Lubrizol il y a un an, et détaillé à Rouen ce jeudi par la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili et son collègue de l'Intérieur Gérald Darmanin. Celui-ci comporte cinq axes destinés à «améliorer la prévention des accidents industriels et renforcer la protection des populations».

Hausse relative des inspections

L'axe le plus important est celui consistant à «renforcer les contrôles et se doter de moyens d'enquête adaptés». Comme l'avait déjà annoncé la prédécesseure de Pompili, Elisabeth Borne, le 30 juin, l'exécutif prévoit que le nombre annuel d'inspections des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) «augmente de 50% d'ici la fin du quinquennat, ce qui correspond à un passage de 18 000 à 25 000 contrôles».

Cette première annonce était d'ailleurs déjà en juin «un pur recyclage» d'une précédente annonce faite par… le prédécesseur d'Elisabeth Borne, François de Rugy, en juillet 2019, remarque Alexandre Gelin, secrétaire national du Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (Sniim), qui représente plus de 1 500 inspecteurs des ICPE. «Deux mois avant Lubrizol, une circulaire signée par le ministre Rugy annonçait déjà que, face au constat d'une forte baisse du nombre de contrôles sur la dernière décennie, l'engagement était pris d'augmenter de 50% le nombre d'inspections d'ici la fin du quinquennat», rappelle-t-il.

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Avant l'accident d'AZF à Toulouse, en 2001, «il y avait 13 000 inspections par an. En 2005, on est passé à 30 000 inspections par an. Puis de 2005 à 2018, on est descendus à 18 000, quasi au niveau d'avant AZF. Donc même avec une hausse de 50%, à 25 000 inspections par an, on sera toujours sous le niveau de 2005», pointe aussi Paul Poulain, spécialiste des risques industriels. Celui-ci ajoute qu'en réalité, «il n'y avait pas 18 000 mais uniquement 9 000 sites inspectés l'année dernière, dont les 1 300 sites Seveso. Sans compter les 459 000 sites classées ICPE soumis à simple déclaration (usines, entrepôts logistiques, exploitations agricoles, éoliennes, sites stockant des combustibles, etc.), qui ne sont jamais inspectés sauf en cas d'accident ou de demande des élus ou de la population». Il regrette aussi que peu de sanctions soient appliquées, selon lui.

Effectifs 

Jeudi, les ministres ont aussi promis que «50 postes d'inspecteurs seront ouverts d'ici la fin du quinquennat», ce qui avait là aussi déjà été annoncé fin juin. «Cela ne suffit pas du tout», regrette Alexandre Gelin. Il estime que plutôt que de parler «effectifs», il vaut mieux «parler efficience, donc diminuer les tâches administratives, améliorer la place de l'inspection, donner plus d'indépendance à l'inspection des installations classées, pour qu'elle puisse se concentrer sur le travail technique en laissant les choix administratifs à l'autorité préfectorale».

A ce titre, le Sniim réclame depuis longtemps la création d'une «autorité indépendante en charge des entreprises à risque», sur le modèle de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ce qui donnerait davantage d'indépendance à l'inspection et lui permettrait de «gagner en efficience et en transparence».

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Mais rien de tel n'a été prévu par le gouvernement. Celui-ci a, en revanche, lancé la création, qui sera opérationnelle dans un mois, d'un bureau d'enquête accident, sur le modèle de ceux qui existent dans l'aviation, «pour mener des enquêtes sur les accidents les plus importants afin d'en tirer les enseignements, qu'ils soient d'ordres techniques ou organisationnels». Un moyen d'accorder la priorité au curatif, après la survenue d'un accident, plutôt qu'à la prévention des accidents.

«Bilan mitigé», donc, pour Alexandre Gelin: «toutes ces mesures qui n'ont rien de très neuf n'amélioreront pas énormément la prévention du risque». «Elles ne nous mettent pas à l'abri d'un nouveau Lubrizol, d'autant plus qu'avec le dérèglement climatique, les risques industriels vont augmenter», ajoute Paul Poulain. Et de conclure : «Il n'y a d'ailleurs pas que Lubrizol : l'an dernier, 1 098 accidents industriels ont eu lieu en un an, soit environ trois par jour (incendie, explosion, pollution toxique…) et une bonne partie d'entre eux auraient pu être évités s'il y avait eu des systèmes de sécurité adéquats. Or, pour les mettre en place, il faut plus d'inspections et plus de sanctions pour que les industriels s'équipent. C'est aussi simple que ça, mais on voit bien qu'on est très loin du compte.»

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