Reportage

Free party dans les Cévennes par temps de Covid: «La fête avant nos vies»

Déconfinementdossier
Au grand déplaisir des riverains et des autorités, des milliers de fêtards ont débarqué samedi à Hures-la-Parade, en Lozère, pour plusieurs jours de musique et de danse, malgré la menace du Covid-19.
par Elsa Souchay, envoyé spécial à Hures-la-Parade (Lozère)
publié le 10 août 2020 à 19h01

Sur le causse Méjean, on se sent tout de suite ailleurs. Tandis qu'en contrebas les touristes s'ébrouent dans les gorges du Tarn, les 340 km2 de nature immense du parc national des Cévennes sont rarement troublés par les moins de 500 habitants à l'année, leurs troupeaux ou les randonneurs de passage. L'endroit idéal pour exalter une irrépressible envie de liberté ? L'idée d'une grande free party dans le sud se murmurait depuis des semaines. Samedi 8 août, hors réseaux sociaux, c'est un unique point GPS qui circule dans la soirée et dès 23 heures des centaines de camionnettes suivies de la sono débarquent dans un creux de vallon près du hameau de Drigas, commune d'Hures-la-Parade (Lozère), au milieu du causse. Près de 5 000 personnes vivaient encore ce lundi «la teuf de l'année».

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Pas de quoi ravir Didier Agrinier, l'un des propriétaires des parcelles occupées par les «zomzoms», selon lui, trop chevelus et turbulents. Il constate des «dégradations des clôtures et le piétinement de dix hectares de parcours» pour ses brebis. «Là, c'est sûr, qu'elles n'iront pas y goûter à l'herbe», lance-t-il avec un brin d'humour noir. Soutenu par la chambre d'agriculture et les syndicats agricoles, il demande réparation du préjudice aux autorités. Certains gardent en mémoire les 15 000 personnes du teknival de 2001, près de Florac. «Pas question de revivre ça», dit André Baret, le maire : «Ces gens qui ne respectent rien doivent s'en aller.»

Photo Sandra Mehl pour

Libération

«C’est une techno guinguette !»

Sauf qu'on ne déloge pas si facilement plusieurs milliers de personnes décidées à danser nuit et jour et à profiter de la vie à l'heure de la France post-confinement. Sur place, Esther s'enthousiasme ainsi de vivre ce «un formidable espace de liberté». Le principe des free partys est toujours celui de l'autonomie et de l'autogestion. Chacun fait ce qu'il veut, «dans un esprit de tolérance» avec pour seul but de «danser libre, quel que soit ton âge, ton genre, ton origine», rappelle la pancarte à proximité des stands de prévention. Libre aussi de consommer les produits qu'il veut, mais avec le matériel mis à disposition pour «limiter les risques».

Seule différence en 2020 : la présence de gel hydroalcoolique et quelques stocks de masques en réserve «si des gens en veulent». De fait, dans la foule vibrante, personne n'en porte et les gestes barrières sont rarement respectés. Sur le sujet, les avis sont partagés entre ceux qui «s'en foutent royalement» et d'autres plus précautionneux : «On garde chacun nos bouteilles, on ferra gaffe en rentrant chez nous, assure Mimi. Mais si on est ici, c'est qu'on accepte quelque part de faire passer l'expérience et les risques de la fête avant nos vies.»

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Céline, venue de la Marne, voit dans le contexte épidémique une raison supplémentaire pour «un gros lâchage», au moment où les clubs et discothèques restent désespérément fermés. Corollaire de cette liberté, le milieu ne vit que dans le respect strict de l'anonymat et du secret. Silence radio donc du côté des initiateurs. La grande free party lozérienne renoue avec les origines pirates et revendicatives du mouvement. «C'est plutôt les anciens qui sont là, confirme Marie, l'ambiance est plutôt cool, loin d'être hardcore.» Cleetus, son voisin, se marre : «C'est une techno guinguette !»

Qui dit habitués, dit aussi familles, avec quelques enfants, et en prévision, au pied des voitures, des sacs-poubelles déjà remplis. Alors que ces fêtes sont parfois décriées pour leur manque d'hygiène et un rapport plutôt distant avec la préservation de l'environnement, celle-ci a des allures plutôt écoresponsables. «Pas de montagne de déchets pour l'instant», constate Anne Legile, directrice du parc national des Cévennes, qui a fait dépêcher sur place plusieurs containers en prévision d'un nettoyage futur.

Photo Sandra Mehl pour

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Trois escadrons de la gendarmerie

Mais si le lieu de la fête a bien évité de quelques kilomètres la «zone cœur» la plus sensible du parc, elle déposera néanmoins plainte pour les dégradations de «certaines pistes et terrains riches en biodiversité floristique» classés Natura 2000. A cela s'ajoutent les nuisances sonores, «qui troublent la quiétude de l'avifaune». Pour la préfète de Lozère, Valérie Hatsch, l'enjeu est surtout que «cela s'arrête dès que possible». Prises de court au départ, alors que les manifestations de plus de 5 000 personnes sont en principe interdites jusqu'au 31 août, les autorités assurent «avoir tout mis en œuvre pour étanchéifier la zone et en empêcher toutes nouvelles arrivées».

Pas moins de trois escadrons de la gendarmerie (120 hommes) multiplient les contrôles systématiques à la sortie, et relèvent les plaques d'immatriculation. La représentante de l'Etat promet de «sanctionner toutes les infractions». Ont été également transportés sur place «15 000 masques et des litres de gel hydroalcoolique», avec une invitation aux participants à se faire «tester au Covid dans un centre dédié sous une semaine». Ce lundi, si des premiers départs étaient constatés, les participants espéraient rester jusqu'en milieu de semaine, malgré les orages. De quoi ravir Céline : «On va danser sous la pluie !»

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