Cinéma : Mère et astronaute, l'équation impossible de « Proxima »

Dans ce long-métrage présenté aux festivals de Toronto et San Sebastian, Alice Winocour s'intéresse à l'exploration spatiale. L'occasion de subvertir les codes du genre, en faisant rimer préoccupations de mère et d'astronaute.
Eva Green  Mère et astronaute l'quation impossible de Proxima
Pathé

S’il fallait résumer l’année cinéma par un désir, ce serait sans aucun doute celui d’un ailleurs. Loin et en orbite de préférence, pour fêter comme il se doit les 50 ans d'Apollo 11. Dans la lignée de Claire Denis avec High Life, de James Gray avec Ad Astra ou de Noah Hawley avec Lucy in the Sky (attendu le 18 mars 2020), Alice Winocour se frotte au film sur l'espace. Elle y immortalise Eva Green dans la peau d'une astronaute au crépuscule d'une mission d'un an vers Mars, tissant un récit où la tension des préparatifs supplante le voyage en lui-même.

Double combat
À l'infinité de l'espace, Proxima privilégie dès l'ouverture l'intimité familiale. « 1, 2, 3 » scande Stella, accrochée au cou de sa mère, se préparant à un atterrissage autrement moins périlleux qu'un alunissage. Adieu le protagoniste masculin, les daddy issues, et le désespoir de Liv Tyler (cantonnée aux rôles d'épouse d’astronaute, comme le soulignait justement Vulture)... À rebours des Armageddon et autres Interstellar, Proxima bouleverse les codes de la représentation en mettant une femme au centre de l'échiquier. Remarques sexistes (« Il paraît que les Françaises sont douées pour la cuisine »), comportements paternalistes et tentatives de flirt marquent ainsi son arrivée à Star City, le centre d’entraînement des cosmonautes (près de Moscou). Une différence de traitement qui surgit aussi au détour d’un rendez-vous médical où Sarah met un point d’honneur à garder ses cheveux longs et à ne pas interrompre ses règles. Conserver sa féminité est un combat dans Proxima, tout comme dépasser les injonctions de la société. Contrairement à l’endeuillée Ryan (Sandra Bullock) dans Gravity, Sarah doit composer avec la difficulté de la séparation. Quitter sa fille Stella est un déchirement, une source de culpabilité renforcée par cette distance – symbolisée par la scène de la vitre – qui se creuse entre elles. Un poids dont est délesté son cow-boy de coéquipier (Matt Dillon), qui lui incombe de « couper le cordon » après avoir laissé femme, enfants et responsabilités à la maison.

L'espace des sens
Loin de se complaire dans le mélo, Alice Winocour raconte la charge mentale avec délicatesse et un réalisme documentaire, mettant autant en lumière les sacrifices psychologiques que physiques inhérents à la mission. L'héroïsme n'a pas sa place dans cet espace-temps où le corps est mis à rude épreuve, passé à la centrifugeuse, encadré de machines, malmené jusqu'à l'écoeurement. Une brutalité qui contraste avec une mise en scène à hauteur d’enfant – l’espace devenant synonyme de romanesque et de danger – et d’une sensualité exacerbée, portant à l'état de grâce le thème du dépassement de soi. Capturer le son d’une voix, le bruit du vent, la douceur d’une peau deviennent des impératifs, à l’aube du grand départ, aussi capitaux que de recréer un lien détérioré. L'opportunité aussi pour Eva Green de revenir sur un territoire bien plus cartésien que ses habituelles échappées burtoniennes. Délestée de ses atours de sorcière ou d'acrobate, elle se fond avec brio dans ce monde sans artifices.

En salles le 27 novembre.