Coronavirus

Gestion de l’épidémie : une vague de plaintes contre le gouvernement

Déconfinementdossier
La Cour de justice de la République et le parquet de Paris ont été saisis des dizaines de fois. L’objectif des plaignants est davantage la transparence que la condamnation de ministres.
par Nathalie Raulin et Renaud Lecadre
publié le 13 juillet 2020 à 19h21

La crise sanitaire n'est pas encore terminée que, déjà, s'amorce la troisième mi-temps judiciaire. Seule habilitée à juger pénalement les ministres pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions, la Cour de justice de la République (CJR) a déjà reçu pas moins de 90 plaintes mettant en cause la gestion publique de la pandémie - notamment quant à la pénurie initiale de masques - et a jugé recevables neuf d'entre elles, dont celle de trois médecins soutenus par le collectif de soignants C19. Le 7 juillet, une information judiciaire a été ouverte à l'encontre de l'ex-Premier ministre Edouard Philippe et de ses deux ministres de la Santé successifs, Agnès Buzyn et Olivier Véran, pour «abstention de combattre un sinistre», délit passible de deux ans de prison et 30 000 euros d'amende.

«Mesures insuffisantes» et tardives

Le parquet de Paris, à qui échoit d'enquêter sur les responsabilités administratives, croule lui aussi sous les procédures (90 à ce jour), dont certaines initiées par des soignants. Ainsi, une plainte contre X déposée par le collectif Inter-Urgences reproche aux pouvoirs publics d'avoir tardé à mettre en place les mesures préconisées dès janvier par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de dépistage, de port du masque et de confinement - en France, il a fallu attendre le 17 mars pour que soit confiné le pays entier. «Les autorités françaises avaient connaissance de la gravité de la situation et n'ont pas suivi les recommandations de l'OMS qui auraient permis de protéger les soignants contre un risque de contamination», affirment les plaignants. Les trois médecins soutenus par le collectif C19 ont eux aussi déposé plainte auprès du parquet de Paris. Ils estiment que «les mesures prises ont été insuffisantes» autant que tardives : «Si elles avaient été prises avant le 13 mars, elles auraient sans nul doute permis de juguler l'épidémie en réduisant le nombre de personnes contaminées, susceptibles de contaminer les autres.»

Certains de ces plaignants seront reçus à l'Elysée par Emmanuel Macron (lire pages 2-4). «C'est de l'exploitation de la souffrance de braves gens qui seront fiers d'être reçus par le président de la République», peste Fabrice Di Vizio, avocat du collectif C19. Le chef de l'Etat n'est lui-même visé par aucune plainte, immunité présidentielle oblige - sur le papier, il pourrait relever de la Haute Cour de justice, laquelle ne peut être saisie que par les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale, et ne pourrait être poursuivi que pour «haute trahison», et non pour simple «abstention de combattre un sinistre», aussi grave soit-il.

Si l'on se réfère au précédent de l'affaire du sang contaminé, la moisson pénale pourrait être finalement bien maigre (1). Des plaignants interrogés par Libération soulignent qu'ils sont surtout en demande d'une sorte de «vérité judiciaire», leur objectif final n'étant pas d'envoyer des ministres en prison… Vérité qui aurait tout aussi bien pu être parlementaire. Mais les commissions d'enquête en cours, depuis le 16 juin à l'Assemblée nationale et depuis le 1er juillet au Sénat, peinent à établir les responsabilités dans la crise sanitaire, avance MDi Vizio : «Elles se contentent d'auditionner les ministres et les responsables administratifs. Les uns et les autres se renvoient la balle sans qu'on puisse être en mesure de déterminer qui dit vrai. Tout cela est très déclaratif pour l'instant.» Prévus pour durer six mois, les travaux des députés et sénateurs risquent en sus de voir leur périmètre restreint puisque, séparation des pouvoirs oblige, ils ne peuvent enquêter sur des faits qui font l'objet d'une information judiciaire.

Sous pression

Estimant qu'il y a «urgence» pour éviter la «déperdition» de preuves, l'avocat du collectif Inter-Urgences, Me Arié Alimi, a décidé de mettre sous pression le parquet de Paris pour le contraindre à saisir un juge d'instruction, via une plainte avec constitution de partie civile pour «abstention volontaire de prévenir un sinistre», «violence et homicide involontaire» et «mise en danger de la vie d'autrui», déposée le 2 juillet. Et ce, au motif que sa plainte simple déposée trois mois plus tôt n'aurait fait l'objet d'aucune réponse.

Le parquet avait pourtant réagi entre-temps, ouvrant dès juin une enquête préliminaire «chapeau» en vue de synthétiser l’avalanche de plaintes pénales - mais sans répondre formellement à celle du collectif. D’où cette première certitude : en sus du fond des litiges, le traitement pénal de la pandémie promet quelques batailles procédurales.

(1) En 1999, la CJR, jugeant pénalement de responsabilités ministérielles pour la première fois sous la Ve République, relaxera Laurent Fabius (ex-Premier ministre) et Georgina Dufoix (ex-ministre des Affaires sociales), condamnant le seul Edmond Hervé (ex-secrétaire d'Etat à la Santé) tout en le dispensant de peine.

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