Après Michel Piccoli, c’est un autre monstre sacré du cinéma français qui vient de nous quitter. C’est toute une génération qui s’en va.
Dans la vie, il y a des rencontres qui vous marquent et d’autres moins. Celle de Jean-Loup Dabadie en est une. La première fois que je l’ai rencontré, c’était à Paris avec son fils Clément il y a près de 28 ans. Je me souviens de cette soirée inoubliable comme si c’était hier. Il faisait nuit, le froid était glacial et il pleuvait comme dans les films de Claude Sautet. A l’intérieur, il y avait un feu de cheminée, le repas était délicieux et les anecdotes pleuvaient. C’était un moment rare. Nous étions bien.
J’ai eu la chance d’avoir été un spectateur privilégié. La télévision rendait hommage à Michel Piccoli le dimanche 24 mai en projetant les Choses de la vie. C’est le même jour que partait Jean-Loup Dabadie rejoindre les étoiles, lui qui avait écrit le scénario et les dialogues de ce film. Un film qui nous a marqués, comme tous les scénarios de ses films. Il aimait tellement la vie qu’il préférait le présent au passé, les rires aux larmes, la lumière au brouillard, le tennis à la boxe. Beaucoup de ses amis n’étaient déjà plus là, les souvenirs et les émotions restaient. Il aimait tellement les comédiens, les comédiennes qu’il était toujours ému de les voir jouer sur scène ou sur grand écran. Il ne s’en est jamais lassé. Il était ainsi. Il disait: “Je pense profondément que les acteurs sont les souffleurs des auteurs.”
Les relations fusionnelles qu’il avait eues avec Claude Sautet ou Yves Robert leur permettront de réaliser des films qui resteront gravés à jamais dans la mémoire du cinéma français. Comment ne pas se souvenir de la scène magistrale du gigot dans Vincent, François, Paul et les autres...
Il écrivait pour les comédiens afin de leur donner davantage de singularité dans les personnages qu’ils joueraient. Il faisait du sur-mesure en adaptant les dialogues pour chacun d’entre eux. Les metteurs en scène appréciaient. Les résultats seront là avec des films et des scènes cultes. Comment ne pas se souvenir de la scène magistrale du gigot dans Vincent, François, Paul et les autres. Les relations fusionnelles qu’il avait eues avec Claude Sautet ou Yves Robert leur permettront de réaliser des films qui resteront gravés à jamais dans la mémoire du cinéma français comme “Une histoire simple” avec Romy Schneider et Claude Brasseur ou “Un éléphant ça trompe énormément” avec Guy Bedos, Jean Rochefort, Victor Lanoux et Claude Brasseur. Jean-Loup Dabadie adaptera le livre “Les Choses de la vie” de Paul Guimard et le déposera un vendredi soir sous le paillasson de chez Claude Sautet aux Gobelins dans le 13e arrondissement à Paris. Jean-Loup voulait que Claude recommande le scénario à d’autres metteurs en scène. Il connaissait du monde dans le milieu. Suite à l’échec de son précédent film “L’Arme à gauche” en 1965, Claude Sautet voulait arrêter le cinéma. Le lundi matin il appellera Jean-Loup Dabadie en lui disant “Si tu es d’accord, je veux bien y revenir pour réaliser les Choses de la vie”.
L’aventure du film pouvait commencer. Ils allaient faire vivre cette histoire d’accident de la route autour de Michel Piccoli et de Romy Schneider. Un couple mythique du cinéma était né. On les retrouvera un an plus tard dans “Max et les ferrailleurs” avec les mêmes metteur en scène et scénariste. Le jeune Philippe Sarde composera la musique des “Choses de la vie” et deviendra le compositeur attitré de Claude Sautet jusqu’en 1995 pour son dernier film “Nelly et Monsieur Arnaud”. Philippe Sarde écrit le climat en La mineur afin que la tonalité fasse bien ressortir le drame des “Choses de la vie”. Un homme qui meurt dans un accident de voiture est toujours dramatique même si l’absurdité fait partie des choses de la vie. La chanson d’Hélène écrite par Jean-Loup Dabadie et composée par Philippe Sarde sera chantée par Romy Schneider et Michel Piccoli dans les “Choses de la vie”.
Il aimait tellement les comédiens, les comédiennes qu’il était toujours ému de les voir jouer sur scène ou sur grand écran. Il ne s’en est jamais lassé.
Jean-Loup Dabadie était un homme subtil, drôle, rare, élégant, sensible, curieux et passionné. Il respirait la vie à chaque instant. Il racontait des histoires comme personne. Ce n’est pas un hasard si François Truffaut l’appelait l’écrivain du cinéma. Il était amoureux des mots et avait le souci du détail. Ses scénarios étaient détaillés avec précision. Tout était écrit et il ne manquait aucune virgule, aucun point. Ainsi, dans le scénario des “Choses de la vie”, à propos du camion qui cale au milieu de cette petite route de l’Ile-de-Ré, il écrit en majuscule le camion “CALE”. Cet accident n’est pas fortuit et frappe un homme privilégié.
Claude Sautet dira à propos du responsable de l’accident: “Aucun personnage n’est entièrement coupable. Même le conducteur du camion à bestiaux est à la fois conscient qu’il est objectivement responsable de l’accident et que, d’un autre côté, il n’y peut rien. En réalité, le seul responsable, c’est le personnage[1] Claude Sautet filme ses personnages avec beaucoup d’humanité, d’amour. Il les rend attachant et émouvant. Avant de commencer un film, il pouvait par exemple se fondre discrètement au fond d’une brasserie et observer les serveurs, les clients, les passants… Il prenait des notes et il conservait ses carnets. Il avait l’habitude d’utiliser des stylos de toutes les couleurs. C’était un observateur de la vie et de nos vies. Dans “Les Choses de la vie” comme dans ses films, nous retrouverons la campagne, la ville, le bord de mer avec l’Ile-de-Ré, les bars enfumés, les repas de famille, les bistrots bondés, les voitures, la pluie, l’alcool, les hommes, les femmes, et les enfants. Le thème de l’amitié sera également présent dans ses films. “Les Choses de la vie” fera l’objet d’un remake en 1994 sous le titre “Intersection” réalisé par Mark Rydell avec Richard Gere et Sharon Stone. Le film “Les Choses de la vie” recevra un grand succès public avec 574.000 entrées sur Paris et obtiendra le prestigieux prix Louis Deluc.
Jean-Loup Dabadie est parti rejoindre Claude Sautet dont on célébrera en juillet prochain le vingtième anniversaire de la disparition.
[1] - Gérard Langlois. Les choses de sa vie. NM7 Editions. 2002.
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