TÉLÉ-RÉALITÉ - Vivre de longues journées enfermé dans son appartement avec pour seul contact avec l’extérieur les réseaux sociaux: avant de devenir notre quotidien de confiné, c’était le pitch d’une émission de téléréalité imaginée par la chaîne britannique Channel 4 à l’automne 2018. Depuis ce jeudi 9 avril, l’adaptation française de “The Circle” est à voir sur Netflix et fait étrangement écho avec notre vie à l’heure de l’épidémie de coronavirus.
Après des versions brésiliennes et américaines, “The Circle” est la toute première téléréalité produite par Netflix France. Une douzaine de candidats se retrouvent enfermés individuellement dans les appartements à la déco criarde d’un même immeuble. Ils sont tous reliés par un réseau social, Le Cercle, à travers lequel ils peuvent se parler, mais jamais se voir. Le but du jeu? Devenir “l’influenceur” le plus populaire pour éviter l’élimination, quitte à parfois se faire passer pour quelqu’un d’autre, à l’image de Josette et Monique, deux mamies de 78 et 75 ans, qui jouent le rôle d’un jeune vingtenaire prénommé Nicolas.
“The Circle” sur Netflix
“Maintenant que j’y pense, ‘The Circle’ c’est un peu le confinement qu’on vit tous. Sauf qu’à la fin, on ne gagne pas d’argent”, plaisante une internaute sur Twitter. Et elle est loin d’être la seule à faire ce parallèle. “Le mec qui pleure parce qu’il a parlé à quelqu’un en vrai... Tellement précurseur ce programme”, commente une autre. “Et dire qu’il y a 1 mois je me disais ‘han dans ‘The Circle’ ils sont enfermés tout seuls.. mais comment ils s’occupent?!′ Maintenant j’ai la réponse... et je regarde la version française d’un nouvel œil”, ajoute un autre.
Voir arriver “The Circle” sur Netflix en plein confinement est évidemment un hasard de calendrier. ”La série a été tournée en novembre et livrée en début d’année. La date du 9 avril était fixée depuis longtemps”, explique au HuffPost Lucy Leveugle, en charge de toutes les productions originales “non scénarisées” de Netflix pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. “Mais l’effet miroir est évidemment amplifié avec ce qu’on vit”, concède-t-elle depuis Londres.
Pensée pour pouvoir être “bingewatchée” comme le sont les séries sur Netflix, l’émission de téléréalité “The Circle” accroche rapidement le spectateur. “Si les participants ne jouent pas, l’émission est construite comme de la fiction. L’arc narratif est fait pour donner envie de regarder la suite”, détaille Lucy Leveugle. Mais entre les moments de jeu et de stratégie, on voit aussi ces hommes et ces femmes évoluer dans un petit espace, cuisiner en solitaire, lire, faire des puzzles ou des châteaux de cartes... Bref, s’occuper comme ils peuvent. Et si les candidats de “The Circle” n’ont passé “que” 14 jours enfermés, leur situation évoque forcément quelque chose en nous.
La référence “Loft Story”
D’ailleurs, dès l’annonce des mesures de confinement au milieu du mois de mars, on avait vu fleurir sur les réseaux sociaux des mèmes reprenant des images de “Loft Story” et d’autres télé-réalités d’enfermement pour évoquer notre situation.
“Cette expérience de confinement, on n’a jamais vécu ça, on n’a pas de références ni de normes”, analyse pour Le HuffPost Nathalie Nadaud-Albertini, docteure en sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). “On est dans une situation de trouble, comme l’a défini le psychologue John Dewey, pour laquelle on n’a pas de catégorie de pensée. Alors on est allé chercher des choses qui nous semblaient pouvoir nous permettre d’appréhender un peu cette situation.”
Pour cette spécialiste de la télé-réalité, les références au Loft ont permis de “se faire une idée, certes pas précise, de ce qu’on allait vivre et d’enlever le côté jamais vu inquiétant”. Tout en tentant de dédramatiser avec humour cette annonce.
Du divertissement avant tout
Tandis que Netflix dévoile “The Circle”, les chaînes de télévision ont elles aussi renforcé leur offre de programmes de téléréalité ces dernières semaines. Depuis le 23 mars, NRJ12 rediffuse tous les épisodes de la saison 5 des “Anges de la téléréalité” tournée il y a sept ans et dans laquelle Nabilla prononce son fameux “Non mais allo”. W9, de son côté, propose depuis le 6 avril l’intégrale de toutes les saisons des “Marseillais” de Rio aux Caraïbes sur 6Play.
De quoi offrir une bonne dose de divertissement en temps de crise. “Le contexte est extrêmement anxiogène et stressant. Aux infos, on vous annonce le nombre de malades et de morts, on vous parle de récession économique”, réagit Nathalie Nadaud-Albertini. “La téléréalité est un vrai divertissement dans le sens où ces émissions ne font pas appel à votre réflexion. Elles sont faites pour la détente et pour rire ensemble.”
Alors, tandis que des millions de téléspectateurs se réunissent devant “Koh Lanta”, “The Voice” ou toute la filmographie de Louis de Funès, d’autres se plongent dans des heures de binge-watching de téléréalité. Mais au-delà du rôle de divertissement, ces programmes pourraient aussi nous donner des clés pour appréhender notre quotidien de confinés.
Relations confinées
L’autrice du livre 12 ans de téléréalité: au-delà des critiques morales évoque un parallèle entre les problématiques relationnelles de ces émissions et celles que l’on rencontre aujourd’hui. “Sans en faire un programme philosophique, les émissions d’enfermement permettent de se poser des questions sur notre relation aux autres”, avance Nathalie Nadaud-Albertini. Un point de vue partagé par Lucy Leveugle de Netflix, pour qui “The Circle” entend nous “apprendre quelque chose sur nos rapports humains et aussi avec les réseaux sociaux.”
Les relations d’amour, d’amitié ou parfois d’inimitié qui se jouent dans les émissions de téléréalité sont “assez raccords avec les questions qu’on se pose en ces temps de confinement”. “Et pendant ce temps-là, on ne pense pas au virus”, ajoute la sociologue.
Pour ceux qui sont confinés avec des proches, un(e) colocataire ou un(e) ex petit(e) ami(e), le côté “accélérateur des relations et de sentiments” dont témoignent les candidats d’émissions de téléréalité depuis “Loft Story” ou “Star Academy” donne à comprendre ce qu’il peut se passer dans nos foyers. Pour ceux qui sont confinés seuls et reliés à leur entourage uniquement par un lien numérique, “The Circle” peut être vécu comme “une espèce de co-expérience de confinement”.
Même si pour certains, regarder ces émissions pourrait amplifier le sentiment d’enfermement et rendre encore plus claustrophobe, prévient Nathalie Nadaud-Albertini.
“C’est en tout cas complètement inédit qu’une émission de téléréalité montre cette situation singulière dans laquelle on vit en ce moment même. Avec ‘The Circle’, on se retrouve devant une émission miroir où on peut avoir presque l’impression de vivre dans la fiction”, conclut-elle. “On se croirait dans un épisode de ‘Black Mirror’.”
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