Coronavirus : « Humilité, rigueur, révolte »
LES SOIGNANTS FACE AU CORONAVIRUS, épisode 23. Le Dr Alexandre Bleibtreu est infectiologue à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris. Chaque jour, un soignant témoigne dans « Les Echos ».
Par Elsa Freyssenet
« Depuis quelques jours, nous avons moins de patients qui arrivent et moins de décès dans le service d'infectiologie. Surtout, nous avons des dizaines de patients qui sont sortis « guéris », y compris des personnes dont on pensait qu'elles ne passeraient pas le cap.
Notamment un homme de plus de 75 ans, hospitalisé depuis 21 jours qui n'avait pas été transféré en réanimation du fait de comorbidités (un cancer évolutif et des troubles cognitifs). Impossible de lui donner des traitements supposés antiviraux à cause de contre-indications.
Guérisons spontanées
Pendant une semaine, il est resté sous 15 litres par minute d'oxygène, le débit maximal que l'on peut faire en salle. Puis, on a diminué progressivement jusqu'au sevrage. Ce vendredi, il quitte le service pour aller dans une maison de repos.
Ce genre de guérison spontanée fait relativiser la frénésie actuelle sur des traitements présentés comme changeant la donne. Après l'hydroxychloroquine , la communauté médicale se divise sur des substances qui pourraient éviter l'orage cytokinique (la phase immunitaire) mais peuvent aussi créer des complications plus tard.
« On ne sait pas grand-chose »
L'héroïsation malsaine dont nous sommes l'objet nous fait parfois perdre de vue qu 'on ne sait pas grand-chose et que oui, on peut guérir tout seul d'une forme grave de Covid-19. Quand je débutais en infectiologie, mon patron d'alors m'avait dit : « Les patients sont beaucoup plus résistants qu'on ne le croit. Ils survivent à tout, même aux médecins ». Cette phrase, je me la répète en ce moment. En d'autres termes, on doit essayer d'être humble et rigoureux.
Relativiser l'accalmie
Il faut aussi relativiser l'accalmie ressentie en ce moment car on a énormément créé de lits Covid. A La Pitié-Salpêtrière, nous les avons multipliés par dix, avec désormais 258 places en infectiologie et 123 en « réa ». Mais on ne peut malheureusement pas encore accueillir en infectiologie des patients des départements franciliens en tension extrême, car, si leur état se dégrade, on manque de places dans les unités de « réa », toujours pleines. Et pourtant cela les soulagerait, notamment la Seine-Saint-Denis.
Le Covid 19 est de plus en plus une épidémie de la précarité.
Dans ce département dense où j'ai travaillé un an, beaucoup de gens doivent sortir pour bosser car ils ne font pas des métiers « télétravail compatible ». C'est là qu'il y a le moins de lits hospitaliers par habitant et le plus de morts. Le Covid 19 est de plus en plus une épidémie de la précarité et cela, vraiment, me révolte. Un copain d'un hôpital du 93 a un patient de 38 ans, sans antécédent ni comorbidité, qui n'a pas pu être transféré en « réa » par manque de places . Le même malade à Paris intra-muros, lui, l'aurait été. »
Propos recueillis par Elsa Freyssenet