Face au confinement, la Cité des dames se réorganise pour aider les femmes sans-abri

Confinement Cité des dames
Alors qu'une quarantaine de femmes sans-abri sont confinées à La Cité des dames (Paris XIIIe), et encadrées par des équipes sociales et médicales, des bénévoles poursuivent leurs maraudes et appellent à la générosité pour que davantage de femmes SDF soient hébergées en hôtels sociaux. Interview.

Se confiner lorsque l'on est sans-abri. Terrible paradoxe. Deux sans domicile fixe sur cinq sont des femmes, selon les chiffres de l'Insee. La statistique étonne, on ne les voit pas, ces femmes seules qui se cachent et errent d'une zone à l'autre pour échapper aux agressions.

C'est pour elles que la Cité des Dames a ouvert fin 2018, dans le treizième arrondissement parisien. Pour qu'elles aient un refuge, une tranquillité, un espace dédié. La structure, telle qu'elle a été pensée par les associations ADSF – Agir pour la Santé des Femmes et la Fondation de l’Armée du Salut, n'avait pas vocation à les héberger continuellement. Elles y étaient accueillies inconditionnellement, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour prendre leur douche, se connecter à un Wi-Fi, parler à d'autres femmes seules, ou se reposer. 

Des femmes sans-abri, de 20 à 85 ans, confinées ensemble

En pleine pandémie du nouveau coronavirus, et des mesures de confinement nationales, la Cité des Dames s'est organisée dans l'urgence, pour n'abandonner aucune de ces femmes âgées de 20 à 85 ans.

Le centre a dû fermer, il ne peut plus recevoir d'autres femmes sans-abri. Mais l'ADSF – Agir pour la Santé des Femmes continue d'aider celles à la rue et à mobiliser pour elles des hôtels sociaux. 

Nadège Passereau, déléguée générale de l'ADSF - Agir pour la santé des femmes et ses bénévoles n'oublient pas non plus les femmes en errance rencontrées les années précédentes, réinsérées fragilement depuis. Interview.

Marie Claire : Comment s'est organisée la Cité des Dames à l'annonce du confinement ?

Vidéo du jour

Nadège Passereau, déléguée générale de l'ADSF (Agir pour la santé des femmes) : Dès lors que le confinement a été annoncé, nous avons réorganisé l'espace, les salles. Puis nous avons fait l'analyse des antécédents médicaux des femmes recueillies, pour les répartir : les plus vulnérables en salle d'accueil, au plus près de nos équipes médicales, et celles semblant moins l'être, dans le dortoir. 

Nous sommes devenus, avec la pandémie et les mesures de confinement, un centre d'hébergement

Combien de femmes sont actuellement confinées à la Cité des Dames ? 

43 femmes sont confinées à la Cité des dames. Nous ne pouvons plus accueillir, nous avons fermé l'accueil. Ces 43 femmes ne sortiront qu'à la fin de la période de confinement. Si notre projet initial est d'être un centre de recueillement, une mise à l'abri, nous sommes devenus, avec la pandémie et les mesures de confinement, un centre d'hébergement.

Comment les femmes recueillies ont-elles réagi aux mesures de confinement ?

Nous avons ensuite, tant bien que mal, tenté d'expliquer aux dames qu'il ne fallait pas sortir. Ça n'a pas toujours été simple. Chacune a un parcours de vie compliqué, un niveau d'information, de compréhension différents. Certaines ont vécu Ebola dans leur pays d'origine, c'était il n'y a pas si longtemps. Elles ont été traumatisées par cette pandémie-là.

Et puis, d'autres femmes recueillies ont un trouble psychique, ou un handicap mental. Elles n'ont pas compris pourquoi tout était soudain très réglementé. Nous avons eu le cas d'une jeune femme qui a très mal vécu ce confinement, qui a été prise d'une anxiété très forte. Elle a fait une tentative de suicide, en ingurgitant du savon liquide, et nous avons dû l'emmener aux urgences. Là-bas, elle a pu être dépistée. Elle a été testée positive au Covid-19, mais asymptomatique. 

Les plus vulnérables dépistées

Avez-vous pris de nouvelles mesures de sécurité après cette découverte ?

Lorsque nous avons ainsi découvert qu'une femme de la Cité des Dames était contaminée, nous avons créé une salle d'isolement, avec des règles plus strictes, pour les femmes qui commençaient à ressentir des symptômes.

Nous avons aussi organisé une première action de dépistage ce mardi 31 mars, auprès des dames symptomatiques ou vulnérables, et ce, grâce à un laboratoire partenaire.

Et que va-t-il se passer quand vous recevrez les résultats des dépistages

Vigilance extrême, surveillance des constantes trois fois par jour. Une fois que les femmes testées positives seront restées huit jours en salle d'isolement, nous leur proposerons une chambre à part, au Centre Espoir - Cité de refuge de l'Armée du Salut (un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, à quelques mètres de la Cité des Dames, ndlr). Nous y avons réquisitionné plusieurs chambres, pour qu'on puisse opérer ce déferrement et isoler au maximum les femmes à risques.  

Comment s'organise le personnel de la Cité des Dames ?

Trois types d'équipes sont sur place : médicales, sociales, mais aussi psy. Le personnel médical s'est occupé d'organiser notre espace pour éviter les risques, nos équipes de psy font en sorte que le moral tienne et les équipes sociales assurent les activités quotidiennes, comme des courtes sorties dans notre cour intérieure. Nous avons aussi pensé à organiser un atelier "couture de masques".

Des maraudes sanitaires sans camion

Comment aidez-vous aussi les femmes sans-abri, celles qui ne sont pas confinées à la Cité des Dames ?

Une partie de l'équipe de l'ADSF – Agir pour la Santé des Femmes est mobilisée à la Cité des dames, l'autre, réalise des maraudes sanitaires, mais sans notre camion habituel, car en raison des mesures de confinement, on ne peut plus y faire monter les femmes sans-abri. Mais on continue. Pour proposer aux femmes qui restent seules, avec ou sans enfant, d'être mises à l'abri dans des hôtels, et leur assurer un maximum de sécurité dace aux risques de la pandémie. 

En hôtel, nous hébergeons actuellement 24 femmes

En hôtel, nous hébergeons actuellement 24 femmes. Nous avons lancé, ce mardi 31 mars, une campagne de crowndfunding sur la plateforme KissKissBankBank pour continuer de mettre à l'abri ces femmes dans les hôtels et en héberger davantage.

Nous distribuons aussi des aliments et des kits d'hygiènes à ces hôtels sociaux.

Et pour les femmes en danger chez elles ?

Cinq salariés qui sont en télé-travail, et nos 27 bénévoles médicaux-psy, organisent aussi une grande campagne téléphonique auprès des dames que nous avions accueillies auparavant, pour les informer, leur expliquer la situation, mais aussi, savoir si elles et leurs enfants vont bien, si elles sont en sécurité, parce qu’on le sait : les violences conjugales augmentent avec le confinement.

Nous allons tenter de joindre les 2489 femmes de notre fichier

Nous allons tenter de joindre les 2489 femmes de notre fichier. Actuellement, nous en avons appelé 1769. 1200 femmes nous ont déjà répondu : 118 nous ont demandé de venir leur distribuer de la nourriture, 46 nous ont répondu positivement pour des besoins de santé mentale, et 32 d'entre elles nous ont confié avoir absolument besoin qu'un médecin les rappelle, parce qu'elles ne savent pas comment se soigner ou ont développé des symptômes.

[Dossier] Reconfinement : ce qui est désormais interdit et ce qui est encore autorisé - 135 articles à consulter

La Newsletter Époque

Phénomènes de société, reportages, people et actualités... l'air du temps décrypté.