ÉTATS-UNIS - Au cours de l’année passée, tous les candidats démocrates à l’élection présidentielle -dont le nombre n’a cessé de fluctuer, souvent à la hausse et parfois à la baisse- ont tenté de convaincre un électorat nerveux et indécis qu’ils pouvaient l’emporter face à Donald Trump.
Chaque candidat a une idée bien à lui de la manière la plus efficace d’évincer le président sortant. L’ancien vice-président Joe Biden soutient que son CV et sa réputation auprès de nombreux électeurs le placent dans une position idéale pour l’emporter face à Trump. Le sénateur du Vermont Bernie Sanders affirme quant à lui que proposer une politique progressiste audacieuse susciterait une participation sans précédent et permettrait de convaincre les électeurs démocrates qui ont soutenu Trump en 2016. Avant d’abandonner la course, la sénatrice de Californie Kamala Harris avait déclaré que l’actuel président pourrait être mis en échec en mobilisant les électeurs afro-américains désengagés dans les États-clés.
Mi-décembre, la sénatrice Elizabeth Warren a, à son tour, dévoilé sa théorie: pour vaincre Trump, le candidat ou la candidate démocrate devra mettre l’accent sur la lutte contre la corruption institutionnalisée, un phénomène qui a propulsé Trump au pouvoir et que son administration n’a fait qu’exacerber.
Argument intéressé
“Quelles que soient leurs orientations politiques, les Américains cherchent tous un candidat déterminé à lutter contre la corruption à Washington. Ils savent que tant que personne ne s’en chargera, rien d’autre ne pourra être accompli. Démontrer une réelle volonté de réforme est le meilleur argument que nous puissions opposer à un candidat corrompu lors d’une élection nationale. C’est de cette manière que nous pourrons convaincre les modérés, les indépendants et les républicains mécontents”, a assuré Elizabeth Warren.
Cette position, tout comme celle des autres candidats, est quelque peu intéressée: la lutte contre la corruption est son cheval de bataille politique. Elle a également fait remarquer qu’en vue des primaires démocrates, “aucun autre candidat n’avait présenté un plan aussi ambitieux [que le sien] pour éradiquer la corruption à Washington.”
Dans les médias, Elizabeth Warren souligne souvent le caractère particulièrement ambitieux de son programme visant à taxer les riches de manière plus radicale –pour investir davantage dans les soins de santé et l’éducation scolaire et périscolaire–, des idées qui mettent mal à l’aise les démocrates modérés, qui craignent d’aliéner les bailleurs de fonds du parti et les électeurs indépendants.
Bien que sa campagne ne renie jamais cette partie du programme (sa campagne vend, après tout, un mug “larmes de milliardaires”), il ne s’agit pas là de sa thématique centrale.
Dès le départ, Elizabeth Warren a mis l’accent sur la lutte contre la corruption, un phénomène qui bloque l’adoption de toutes les législations populaires, des armes à feu au climat en passant par les soins de santé. Une lutte qu’elle a encore promis de mener ce mardi 21 janvier en dévoilant que, si elle était élue, elle renverrait toutes les personnes nommées par Trump dans l’administration et créerait une commission indépendante pour enquêter sur la corruption qui a eu lieu depuis l’élection du magnat de l’immobilier en 2016.
“Priorité absolue”
Pour Warren et son équipe, le meilleur moyen de capter les électeurs indécis est de leur proposer un plan de lutte crédible contre la corruption. L’histoire politique récente ainsi que les sondages suggèrent qu’ils pourraient bien avoir raison: une étude d’opinion réalisée par End Citizens United, un comité du parti démocrate œuvrant pour une réforme du financement des campagnes électorales, a révélé que 89 % des électeurs interrogés dans 26 circonscriptions clés considéraient la lutte contre la corruption comme une “priorité absolue” ou une “préoccupation majeure”. Cette problématique devance donc toutes les autres, y compris l’accessibilité des soins de santé et le niveau de protection de l’assurance-maladie et de la couverture sociale.
Toutefois, les responsables démocrates ont bien conscience qu’ils devront redoubler d’efforts pour gagner cette bataille, en particulier contre un président républicain qui, en 2016, a réussi à convaincre de nombreux électeurs qu’il avait l’intention de s’attaquer au problème de la corruption.
“Il ne faut pas compter sur Trump pour arrêter de mentir sur la manière dont il a pompé les réserves”, selon Tiffany Muller, présidente du comité End Citizens United, qui restera neutre lors des primaires de 2020. C’est aux démocrates d’expliquer comment ils comptent réformer le système et comment cela affectera la vie quotidienne des électeurs.”
L’équipe d’Elizabeth Warren n’est pas la seule à soutenir l’argument anticorruption. Si son projet d’impôt sur la fortune, son soutien à la mise en place éventuelle du plan “Medicare for All” (un système de santé pour tous, sans mutuelle privée) et son opposition à la fracturation hydraulique vont sans doute refroidir les démocrates modérés, les nouveaux élus démocrates de la Chambre des représentants comme les candidats démocrates au Sénat proposent des lois pour lutter contre la corruption.
D’autres candidats démocrates à la présidence abordent au moins occasionnellement le thème de la corruption. Outre Warren,Tiffany Muller rappelle que Pete Buttigieg a également promis de faire de la lutte anticorruption une priorité de son mandat. Nul doute que ce dernier en ferait certainement une question encore plus centrale s’il finissait par affronter Trump. Toutefois, la victoire d’Elizabeth Warren aux primaires garantirait la place centrale de la lutte contre la corruption dans la bataille politique acharnée des démocrates pour le contrôle de la présidence, des deux chambres du Congrès et des États-clés lors des élections de novembre 2020.
Limiter l’influence des lobbyistes et industriels
“Je pense que les démocrates qui se présentent en 2020 doivent s’engager encore plus sur la question de la lutte anticorruption. Je ne crois pas que nous puissions surestimer l’importance de cette problématique pour les électeurs, affirme Muller. Elle doit constituer le cœur de notre marque. Elle doit faire partie de notre récit quotidien, qui raconte ce qui ne fonctionne pas dans ce pays et ce que les démocrates vont faire pour le réparer”.
Dans l’Iowa, Bernie Sanders a diffusé un spot dans lequel il qualifie Trump de “président le plus corrompu de l’histoire des États-Unis”. Tout comme Sanders et Warren, Buttigieg et Biden ont intégré à leur programme un plan de réforme du système de financement des campagnes électorales, y compris leur financement public.
Toutefois, aucun d’entre eux ne s’est montré aussi focalisé sur la question qu’Elizabeth Warren. Ses mesures avaient fait beaucoup de bruit avant d’être éclipsées du devant de la scène. Presque toutes, de l’agriculture à l’approvisionnement du Pentagone, prévoient des dispositions visant à limiter l’influence des lobbyistes et des industriels sur le gouvernement.
En décembre, elle a également rendu public un autre plan de lutte anticorruption axé sur le blanchiment d’argent et les sociétés-écrans basées à l’étranger. Lors de ses discours, la sénatrice cite souvent l’influence des frères milliardaires Koch pour expliquer pourquoi Washington a ignoré les changements climatiques, ou encore le pouvoir de la National Rifle Association pour expliquer l’inaction du gouvernement fédéral face aux fusillades de masses.
“Toutes les autres solutions en découlent”
L’été dernier, Jon Donenberg, principal conseiller politique de la campagne d’Elizabeth Warren, a déclaré au HuffPost américain: “Nous donnons l’impression de tenter de résoudre un grand nombre de problèmes différents, mais nous ne nous attaquons qu’à un seul d’entre eux, celui d’un système truqué, celui d’une économie et d’un gouvernement corrompus qui ne profitent qu’à ceux qui sont au sommet. Toutes les autres solutions en découlent”.
Son plan le plus ambitieux pour lutter contre la corruption, présenté cet automne avant son discours au Washington Square Park de New York, contient plus de 100 dispositions, allant de l’interdiction pour les fonctionnaires de réaliser des opérations boursières à titre personnel pendant leur mandat à une législation empêchant les lobbyistes du secteur privé d’occuper un emploi au sein du gouvernement fédéral au cours des six années suivant l’arrêt de leurs activités de lobbying, en passant par la création d’une taxe pour les entreprises dépensant plus de 500.000 dollars par an en lobbying.
Warren doit encore convaincre les électeurs de la primaire démocrate que son plan est le plus efficace pour battre Trump. Après avoir atteint son point culminant au début de l’automne, sa campagne attire aujourd’hui moins de voix, mais elle se maintient tout de même dans le peloton de tête, derrière Joe Biden et Bernie Sanders.
Son programme anticorruption est même devenu une arme contre les autres candidats. Elle a notamment laissé entendre que les efforts considérables déployés par Biden et Buttigieg pour séduire de riches donateurs leur feraient du tort lors de l’élection générale. Le maire de South Bend a aussi le droit à une remarque sur ses levées de fonds “avec des milliardaires dans les caves à vin” (vidéo ci-dessous).
Trump, vraiment plus corrompu que les autres?
Les démocrates pourraient être tentés de penser que l’argument de la corruption sera facile à défendre face à Trump. La tenue d’un procès en destitution a permis de mettre en avant les pressions sur un gouvernement étranger pour organiser sa campagne de 2020. Son hôtel de Washington pourrait intéresser un acheteur potentiel, notamment en raison des évènements somptueux qui y organisés par des gouvernements étrangers. Un avantage fiscal accordé par le président officiellement destiné à venir en aide aux plus pauvres sert en fait à la construction d’appartements dans une marina appartenant à un donateur républicain. Un juge a contraint le président à payer une amende de deux millions de dollars pour avoir détourné des dons versés à la Fondation Trump.
Toutefois, le parti démocrate a du mal à persuader les électeurs que Trump est vraiment plus corrompu que n’importe quel autre politicien. Si les démocrates sont parvenus à convaincre les indécis qu’ils étaient mieux placés que les républicains sortants de la Chambre des représentants pour assainir Washington lors des élections de mi-mandat de 2018, ils ont beaucoup plus de difficultés à imposer cette idée concernant l’actuel président. D’après les sondages, les groupes de discussion et les entretiens menés auprès des représentants politiques, l’image de l’homme d’affaires venu de l’extérieur qui cherche à “assainir le marécage” surprend par sa persistance.
Bien que les démocrates aient fait quelques progrès, de nombreux électeurs sont encore enclins à penser que le président n’est ni plus ni moins dévoué au combat contre la corruption que n’importe quel autre politicien. En ce qui concerne les élections de 2020, un autre sondage d’End Citizens United réalisé cet été a révélé que 31 % des électeurs des États-clés accordaient leur confiance à Trump pour ce qui est de la lutte contre la corruption, contre 30 % pour les démocrates. La majorité, soit 39 %, ne s’est pas prononcée.
Au mois d’octobre, un sondage du New York Times mené dans six États-clés a constaté qu’une grande partie des électeurs (46 %) estimaient que le comportement de Trump à l’égard de l’Ukraine était caractéristique de la manière dont les politiciens se comportent. Seuls 42 % considéraient que ses actions étaient plus graves que les pratiques des autres élus.
Inefficacité des démocrates
Une partie des difficultés rencontrées par les démocrates relève d’une simple logique partisane: les républicains ne sont évidemment pas disposés à accuser le chef de file de leur parti de corruption. Mais une autre partie découle également de la rhétorique de Trump et de la manière dont ses critiques d’un “système manipulé” lui permettent d’adopter un comportement qui anéantirait une présidence classique.
Comme Liam Donovan, un stratège républicain, l’écrit dans une publication partagée sur la plateforme Medium: “D’une diplomatie commerciale brutale à une vulgaire ‘pêche aux informations’ internationale, rien de ce que le président ne fait ou n’a fait ne dépasse l’entendement; il reconnaît tout au plus l’ordre des choses. Tout le monde ment, triche et vole. Trump est juste plus honnête que les autres, vous comprenez?”
Jeff Hauser, stratège démocrate à la tête du projet Revolving Door, soutient que le problème est exacerbé par l’incapacité des démocrates à mener des audiences de surveillance efficaces sur la corruption au sein de l’administration Trump.
“Les médias ont fait du bon travail, contrairement aux démocrates”, a-t-il affirmé, citant comme exemple l’échec du président de la commission de l’Éducation et du Travail Bobby Scott (Parti démocrate, État de Virginie) à enquêter sur les liens de la présidence avec les universités à but lucratif. “Aucun effort n’a été fait pour établir un lien entre l’influence des entreprises, la corruption de Trump et les retombées économiques pour les citoyens.”
Il y a toutefois quelques signes encourageants: Priorities USA, le plus important super comité d’action politique (super PAC) a dévoilé dans un récent sondage que 53 % des électeurs des quatre États considérés comme les plus déterminants pour le scrutin (Floride, Michigan, Wisconsin et Pennsylvanie) estimaient que la corruption constituait un motif de voter contre Trump, alors que seuls 30 % considéraient qu’il s’agissait d’un argument jouant en sa faveur.
Guy Cecil, président de Priorities USA, a déclaré que la communication anti-Trump du comité se concentrera bientôt davantage sur la corruption. Par exemple, il a dévoilé qu’il fallait s’attendre à des spots soulignant les liens du gouvernement avec les universités à but lucratif, qui ont entrainé l’affaiblissement de la protection des étudiants, ainsi qu’avec les industries polluantes, qui ont fait pression sur l’Agence de protection de l’environnement pour rendre plus complexe l’adoption de nouvelles réglementations sur la pureté de l’air et de l’eau.
“Vous verrez que nous insisterons plus sur la corruption”, a déclaré Cecil, ajoutant que le comité était peu enclin à financer une campagne de communication axée sur la procédure d’impeachment ou le comportement de Trump envers l’Ukraine. “La clé est d’expliquer comment la corruption impacte les gens à qui nous nous adressons”.
Un problème plus tangible
Max Rose, représentant démocrate de New York, s’il jure ne pas prêter attention à la présidentielle, diffuse cependant un message pour sa propre réélection ressemble beaucoup à celui de Warren. “Il est évident que nous ne pourrons rien faire d’autre tant que le monde politique ne sera pas débarrassé de l’influence omniprésente et corruptrice de l’argent”, affirmait-il après avoir déposé un projet de loi visant à interdire totalement les comités d’action politique des entreprises.
Depuis, Rose a également présenté un projet de loi aux côtés de la représentante de Californie Katie Porter –nouvelle élue plus progressiste, protégée et soutien politique d’Elizabeth Warren– afin d’exiger une plus grande transparence financière des membres de la famille du président et des fonctionnaires politiques.
Sa position révèle à quel point les élus et les candidats démocrates sont à l’aise avec la volonté de Warren de s’attaquer à l’influence des lobbyistes, des entreprises et de l’argent en politique. Sur les 40 démocrates (modérés pour la plupart) ayant remporté des sièges à la Chambre des représentants en 2018, 27 avaient renoncé à des fonds de la part des comités d’action politique des entreprises –un point que presque tous ont souligné dans leurs spots télévisés.
Meredith Kelly, stratège démocrate et directrice de communication du Comité des midterms de 2018, a affirmé que les électeurs se préoccupaient davantage de l’influence des contributions aux campagnes politiques et de la manière dont elles avaient empêché le pays de progresser sur des questions telles que le contrôle des armes à feu depuis l’élection de Trump.
“Les électeurs ont commencé à percevoir le lien direct qui existe entre l’argent en politique et le manque de progrès dans les domaines qui leur tiennent à cœur”, a-t-elle déclaré en pointant que ce phénomène coïncidait avec l’émergence d’End Citizens United en tant qu’acteur majeur du parti démocrate. “Avant, c’était un concept obscur. Il est beaucoup plus palpable depuis l’élection de Trump”.
Un argument pour unifier le parti
Certains signes indiquent que les républicains sentent la menace: au cours des derniers mois, les groupes républicains se sont attelés à minimiser l’impact du refus des fonds des comités d’action politique, en faisant remarquer que les entreprises et lobbyistes disposaient d’autres moyens pour influencer les politiciens.
Rose, ancien lutteur universitaire et vétéran de la guerre en Afghanistan, a affirmé que la lutte contre la corruption consistait à choisir un camp entre “les gens qui ne peuvent pas se payer un lobbyiste” et les intérêts des puissants, comme les sociétés pharmaceutiques.
“Les citoyens américains sont intelligents. Ils peuvent sentir un virtuose de l’enfumage à des kilomètres à la ronde. Nous ne nous arrêterons pas tant que les gens ne seront pas élus à leur poste sur la base de leurs idées et de la volonté des personnes qui les soutiennent, et non en fonction de la taille de leur chéquier”, a-t-il déclaré.
Le déroulé de la campagne montre que le message de Warren est capable d’unifier le parti. Un parti qui commence à se déchirer entre Biden, Sanders ete Warren alors que la pression augmente.
Lorsque le représentant du Nevada Steven Horsford, un membre du Caucus progressiste du Congrès et de la Coalition néo-démocrate modérée, a présenté Elizabeth Warren lors d’un évènement organisé à l’automne à Las Vegas, il a souligné qu’il la soutenait davantage dans sa lutte contre la corruption que sur n’importe quelle autre question.
“Sommes-nous tous prêts à dénoncer la corruption?”, a-t-il répondu aux grondements de la foule. “Sommes-nous prêts pour Elizabeth Warren?”
Cet article a été traduit et adapté d’un article original de Kevin Robillard publié sur le HuffPost américain.
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