Culture

Marina Rollman, drôle d’époque

A Paris, l’humoriste suisse stigmatise avec vivacité et un joli brin de folie les travers de la vie contemporaine, du crossfit à la menace climatique.
par Sandra Onana
publié le 23 janvier 2020 à 17h46

Comme on dit «tourner sept fois sa langue dans la bouche», on sent qu'avant d'arriver à nous, les blagues de Marina Rollman ont fait plusieurs fois le tour de ses synapses. Non pas qu'elles s'engagent sur un terrain particulièrement cérébral, ou qu'elles sentiraient l'effort. C'est même en toute décontraction que l'humoriste, dont le Spectacle drôle a pris ses quartiers au Théâtre de l'Œuvre en début d'année, compare l'ambiance traumatisante d'une ancienne prestation à «un condensé de Nuit et brouillard» (le documentaire d'Alain Resnais sur la Shoah), ou se réfère l'air de rien à l'Ubermensch de Nietzsche au détour d'une anecdote. Disons plutôt que la sémillante Suissesse paraît investiguer sur ses sujets en même temps qu'elle les attrape au lasso de l'humour, et prend soin d'amener ses vannes au terme de ce qu'elles ont à dire.

Burrata

Par exemple, quand elle raille les nouveaux catéchismes de la culture bobo (du crossfit aux tote bags estampillés féministes avec des clitoris dessinés dessus), Rollman nous réveille joyeusement au constat que l'expérience du contemporain est d'une extrême violence. Les exaltés du fitness agressif recourent à des entraînements de type commando pour «se vider la tête» et tenir à distance l'angoisse de la perte de sens au quotidien. Les enterrements de vie de garçon consistent à subir persécution sur persécution le temps d'un week-end entre potes à Budapest qui, à entendre Rollman, tient plutôt du stage à Guantánamo. Ah, et l'apocalypse climatique nous guette. L'ultime refuge de tendresse disponible nous est vendu sous la forme de savons féminins intimes «à l'extrait de nuage», ou serait à trouver dans la bouffe «molle et régressive» servie par les néo-bistrots parisiens où l'on rivalise de burrata, purée d'avocat et patate douce au sirop d'érable.

Qu'on ne s'y trompe pas : Rollman, qui a fui la lobotomie d'une première brève carrière dans la pub, a réglé ses comptes avec la dépression il y a cinq ans (définition personnelle : «Avoir toujours envie de mourir, mais avoir la flemme») et dit avoir testé divers types de thérapies. Dans sa bouche, «Alors, je ne juge pas, hein, mais il me semble…» ne ressemble pas à un excès de prudence par lequel s'attirer la bienveillance d'un public allergique aux opinions catégoriques, mais signale que l'observation délirante à venir a déjà fait l'objet d'un examen pesé au trébuchet.

Vices

Pas des plus mobiles sur scène, celle qui appartient au vivier bien fourni des comiques radiophoniques de France Inter reste avant tout une voix - plutôt flûtée -, et mène ses blagues à vive allure comme pour leur faire danser le pas chassé. Certaines prennent la forme d'invites pleines d'inconséquence qu'il faudrait idéalement s'empêcher de vouloir suivre. Notamment celle par laquelle l'humoriste, taraudée par la fin du monde, suggère, «foutu pour foutu», d'acquiescer joyeusement à l'autodestruction et céder à ses vices comme un assentiment décomplexé au pire. D'autres accouchent de conseils plus recommandables. «Regardez les profs d'art plastique, les gens les moins déséquilibrés sont ceux qui communiquent avec leur folie», retiendra-t-on moins coupablement à l'issue d'un spectacle où Marina Rollman n'aura effectivement eu de cesse d'illustrer splendidement cette maxime.

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