ART DE VIVRE - Sébastien Demorand est mort ce mardi 21 janvier à l’âge de 50 ans, des suites d’une longue maladie. Le critique culinaire s’était fait connaître du grand public en 2010 en devenant juré de Masterchef, l’émission de TF1 pendant trois saisons. Mais, avant cette expérience télévisuelle, celui qui avait fait ses armes à Europe 1 puis au Gault et Millau avait aussi imprimé profondément sa marque dans le monde la cuisine en inventant le terme “bistronomie”.
En 2001, Sébastien Demorand rejoint l’équipe du Fooding, un guide culinaire tout juste créé. Trois ans plus tard, au cours d’une réunion avec le fondateur du guide et d’autres critiques culinaires, les idées fusent pour trouver le titre du prochain prix décerné au restaurant “Mon vieil ami” situé sur l’île Saint-Louis à Paris.
Bistrot + gastronomie = bistronomie
“Nous étions tous au café Étienne Marcel à chercher comment qualifier ce prix, se souvient Alexandre Cammas pour Le HuffPost. ‘Mon vieil ami’, c’était un bistrot mais en mieux avec un grand chef à sa tête. Et là, Sébastien a lancé ‘bistronomique’ et tout le monde est tombé d’accord.”
Et l’équipe est passée à autre chose. “On l’a un peu oublié et Sébastien aussi, mais ce mot était si efficace qu’il a été récupéré par des médias, un livre est même sorti sur le sujet un ou deux ans plus tard. Raccrocher comme il l’a fait bistrot et gastronomie, c’était un coup de génie”, s’enthousiasme le cofondateur du Fooding.
Derrière ce mot, une tendance forte et durable qui a marqué les années 2000 dans le monde de la restauration. “La bistronomie, c’est la gastronomie débarrassée de ses oripeaux, explique encore Alexandre Cammas. C’est de la très haute cuisine servie dans des assiettes simples et dans un cadre plus ordinaire. C’est un rapport qualité prix parfait.” Et ce mot n’est pas resté dans un petit cercle parisien, il a essaimé partout en France.
La nouvelle bistronomie
Le fondateur du Fooding voit désormais deux âges dans la bistronomie. Le premier âge date des années 2000, il s’agit d’un chef qui prend les mêmes produits et mêmes fournisseurs que les palaces, qui cuisine des plats simples à la perfection et qui ajoute une touche de créativité.
L’incarnation de ce mouvement culinaire, c’est Yves Camdeborde qui a été juré dans Masterchef en même temps que Sébastien Demorand. “Yves Camdeborde, c’est le premier chef star sans étoiles. Son restaurant La régalade, c’est le premier restaurant bistronomique”, précise Alexandre Cammas
Voici comment le chef à l’accent du sud décrivait en 2009 sa cuisine: “Quand j’ai ouvert mon premier restaurant, La Régalade, on était en 1991, en pleine guerre du Golfe. La crise, un peu comme aujourd’hui. Je voulais faire un gastro, comme mes modèles de l’époque, Constant, Dutournier. Mais avec des additions à 500 francs, ça coinçait. Alors, j’ai supprimé l’argenterie et la moitié des serveurs. J’ai rajouté de la chaleur humaine. J’ai enfin pu taper dans le dos de mes clients et faire l’acteur! Dans l’assiette, j’ai fait 50% gastro, 50% bistrot. Le boudin noir, je l’ai réinventé en Tatin. L’amuse-bouche est devenu une terrine, sans assiette, juste la corbeille de pain. La matière première était bistrot : sardine, maquereau, pied de porc... La manière était gastronomique : ordre, rigueur, technique”,disait-il dans Paris Match .
Selon Alexandre Cammas, nous sommes maintenant entrés dans un deuxième âge. “Désormais la bistronomie, ce sont des chefs de grands talents, toujours de très bons produits et surtout beaucoup plus de créativité. Il s’agit d’une cuisine d’auteur. Les tenants de cette cuisine sont Inaki Aizpitarte, du restaurant Le Chateaubriand et Bertrand Grébaut, chez Septime.” Plus de créativité qui coûte aussi plus cher dans l’assiette. La bistronomie deuxième âge se rapproche plus de la gastronomie que du bistrot.
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