News : le du coup de trop

publié par Jordane Guignon le 18•01•2020
modifié il y a 3 mois
News : le « du coup » de trop

Bon, voilà, je voulais dire qu’au jour d’aujourd’hui, il faudrait un peu arrêter d’abuser de certaines locutions de façon totalement inappropriée. Non mais des fois !

« DU COUP, tu préfères du lait d’avoine ou du lait d’amande dans ton smoothie ? – Je sais pas, du coup, j’hésite. » A peine le coup est-il parti que je regrette de l’avoir tiré. Le tic de langage est sorti de ma bouche comme un vilain crapaud. A quel moment l’effroyable locution adverbiale « du coup » s’est-elle propagée comme un fléau accablant toutes les couches de la société, devenant un complot pyramidal au réseau plus tentaculaire que la franc-maçonnerie ? Jeunes, vieux, pauvres, riches, lettrés, analphabètes, hommes, femmes, je jurerais même que les chiens dans la rue aboient des « du coup ». Car il en va de certaines expressions comme des jeans taille basse dans les années 2000 : on rêve chaque matin que ce n’était qu’un mauvais rêve, mais le cauchemar reprend sa course folle. Les « du coup » et autres « au jour d’aujourd’hui » et « en fait » sont désormais nos meilleurs amis. Impossible de prononcer trois mots sans s’agripper à nos béquilles favorites.

« Du coup, je dis à Raoul : « Mais je comprends pas, du coup, tu comptes venir en Corse à Noël ou pas ? », et il me répond : « Je suis pas sûr que mon patron me donne des congés, du coup, je peux pas te dire maintenant. » Du coup, tu crois qu’il ment ? Tu crois qu’il me trompe ? Non, mais sérieux, t ‘en penses quoi, du coup ? » Je fais bonne figure, mais cette série d’uppercuts sournois assénés par mon amie a un effet délétère sur mon cerveau : c’est comme s’il avait été passé dans une centrifugeuse et que toutes mes pensées étaient sur le point de resurgir en smoothie kiwi-banane. J’envisage toutes les ripostes possibles :

a) Nul être doté d’un appareil auditif fonctionnel ne pourrait survivre à un Noël avec tes parents.

b) Tout le monde sait que Raoul te trompe avec ta dermatologue.

c) Au jour d’aujourd’hui, rien ne prouve que Raoul soit un menteur. Je ne pense pas qu’il te trompe, du coup.

Le problème, comme dans toute conversation, ce n’est pas ce que l’autre dit, c’est qu’on n’est pas autorisé à répondre ce que l’on veut. Il y a toujours cette putain de bonne éducation qui empêche d’exprimer le fond marécageux de sa pensée – qui n’aura d’autre choix pour se manifester que d’emprunter des chemins tordus : ulcères, psoriasis ou rêves bizarres qu’on ne peut même pas raconter à son psychanalyste. Si les lois de la société m’autorisaient à pousser un hurlement continu aigu en réponse à un excès de « du coup », tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tu me fais saigner des oreilles, je te fais saigner des oreilles. Œil pour œil, oreille pour oreille.

Mais nous sommes bien élevés. Du coup, je propose qu’on fasse un petit détour par le dictionnaire de l’Académie française, qui nous informe qu’on utilise cette locution adverbiale pour introduire la conséquence d’un événement (un pneu a éclaté et du coup la voiture a dérapé), mais qu’à sa valeur consécutive il faut ajouter une valeur temporelle de quasi-simultanéité (« du coup » = « aussitôt »). Et là, pour qui sait lire entre les lignes, le dictionnaire chauffe comme un dingue, pète un câble et hurle : « On ne peut donc pas employer systématiquement du coup, ainsi qu’on l’entend souvent, en lieu et place de « donc », « de ce fait », ou « par conséquent ». On évitera également de faire de « du coup » un simple adverbe de discours sans sens particulier. » Ça laisse songeur… Notre « du coup » adoré ne serait qu’un mot bouche-trou, sans contenu sémantique, un mot vide, un vaisseau fantôme, tout juste bon à ponctuer notre parole, à lui donner relief et expressivité, à ne laisser aucun blanc et à garder le contact avec notre interlocuteur.

 » – Du coup, rien de grave à ton avis ? »

 » – Du coup, non… »

Rien de grave, hormis une exaspération croissante qui reléguera probablement « du coup » aux oubliettes et la remplacera par une autre anomalie de langage. Ne nous reste plus qu’à dompter notre tendance et faire comme ces parents qui inventent des tirelires où ils obligent leurs enfants à mettre des pièces quand un gros mot leur échappe. C’est toujours eux qui finissent par se faire gauler, et les gosses de hurler : « Papa, mets une pièce dans la tirelire ! » Soyons modernes, instaurons une cagnotte Leetchi : à 50 centimes le « du coup », on pourra tous s’offrir un dessin signé Picasso à la fin de l’année.

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