Menu
Libération
Réactions

«Le restaurant de Bocuse n'a pas besoin de promotion culinaire, c’est un lieu de pèlerinage»

«Libération» a fait réagir deux chefs, Bruno Verjus et Ghislaine Arabian, à la perte de la troisième étoile du restaurant Paul Bocuse à Collonges-au-Mont-d'Or (métropole de Lyon).
par Kim Hullot-Guiot
publié le 17 janvier 2020 à 17h27

A la suite du retrait par le guide Michelin de sa troisième étoile au célèbre restaurant de Collonges-au-Mont-d'Or de Paul Bocuse (1926-2018), le rétrogradant parmi les établissements doublement étoilés, l'émotion a été vive dans la famille du chef et dans son équipe : «Bien que bouleversés par le jugement des inspecteurs, il y a une chose que nous souhaitons ne jamais perdre, c'est l'âme de M. Paul, a commenté le directeur général du restaurant, Vincent Le Roux. [Il] était un visionnaire, un homme libre, une force de la nature. Depuis Collonges et du fond du cœur, nous continuerons à faire vivre le Feu sacré avec audace, enthousiasme, excellence et une forme certaine de liberté», ont-il fait savoir par communiqué. Libération a fait réagir deux chefs à cette annonce, dix jours avant la proclamation officielle des résultats 2020.

Bruno Verjus, chef du restaurant Table (Paris XIIe), une étoile au guide Michelin 2018

«En réalité, ça fait presque un an et demi qu’on en parle. La question qu’on peut se poser, c’est : est-ce que trois étoiles continuent de récompenser des lieux de mémoire où on fait perdurer les vieilles recettes de la cuisine française, plus que des lieux vivants ? Le restaurant de Bocuse perpétue un souvenir et il n’a pas besoin de promotion culinaire. C’est un lieu de pèlerinage.

«On peut s’interroger sur le système des étoiles. Peut-être que ce que le guide veut dire, c’est qu’elles sont en rapport avec la dynamique [du restaurant]. Sans que ça n’enlève rien à Bocuse, il est peut-être plus intéressant de redéployer, de récupérer une étoile pour la distribuer à quelqu’un qui va apporter, comme Bocuse à son époque, quelque chose à la haute cuisine française, lui donner du potentiel. C’est une gestion [des étoiles] plutôt intelligente.

«Je ne vis pas cette décision comme une sanction : [le restaurant de Collonges-au-Mont-d’Or] n’a plus besoin d’étoile car c’est une lieu musoégraphique extraordinaire ! Les gens continueront à y aller : ce qui vaut le voyage, c’est de retrouver un lieu, une époque. C’est comme pour un vieux film, on ne va pas lui donner un césar ou un oscar alors qu’il les a déjà eus à son époque, on va le donner à des gens dynamiques, contemporains, en devenir.»

Ghislaine Arabian, cheffe des Petites Sorcières (Paris XIVe), doublement étoilée entre 1995 et 1998 au Pavillon Ledoyen (Paris VIIIe)

«J’étais sciée, ahurie. Bocuse, c’est une icône. Je me souviens, quand ma mère mettait une pluche de cerfeuil sur un plat, mon père lui disait "tu te prends pour Bocuse !" C’était une expression qui était entrée dans le langage usuel. Il était entré chez tout le monde.

«Bocuse représentait la cuisine française à l’étranger. Sans lui, on aurait fait quoi ? Il faut voir l’aura qu’il avait ! Les étrangers y allaient parce que c’était Bocuse, c’était un art de vivre, une manière de voir la restauration, de voir arriver les plats… C’était tout un imaginaire. Il n’avait que des meilleurs ouvriers de France dans ses cuisines, des gens qui le suivaient, qui lui étaient fidèles. Il a formé beaucoup de cuisiniers…

«Je suis allée plusieurs fois chez Bocuse, on était comme des gamins, c’était extraordinaire. J’avais emmené mon fils de cinq ans, à qui il avait fait un potage aux poireaux. Bocuse lui a demandé s’il avait aimé, mon fils avait répondu "bah non, celui de ma grand-mère est meilleur", ça l’avait fait rire.

«J’aimerais bien savoir sur quels critères le Michelin lui a retiré l’étoile. Je trouve ça dur. Ce n’est pas parce que maintenant on estime que sa cuisine est un peu surannée qu’on peut détruire un monument comme Bocuse. Ce qu’ils ont fait n’est pas élégant. Bien sûr que c’était des classiques, et alors ? Son choix était de faire ce qu’il aimait, de garder un patrimoine culinaire que bien des cuisiniers sont incapables de reproduire. Heureusement qu’il y a des jeunes qui arrivent avec leur cuisine, heureusement qu’on évolue, mais ce n’est pas une raison pour piétiner un symbole.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique